Valéry Giscard d'Estaing a révélé le 9 juin, sur Europe 1, un des aspects de l'intérêt que portait le président gabonais à la politique française. C'était en 1981. Le président sortant devait affronter à la présidentielle le chef de l'opposition François Mitterrand, mais aussi son ancien premier ministre Jacques Chirac, chef du RPR. Et il avait compris que ce dernier était financièrement aidé par son ami gabonais. "J'ai appelé Bongo, a raconté Giscard, et je lui ai dit : "vous soutenez actuellement la campagne de mon concurrent". Alors, il y a eu un temps mort, et il m'a dit "Ah, vous le savez ?", ce qui était merveilleux. A partir de ce moment-là, j'ai rompu mes relations personnelles avec lui."
En 1974, Jacques Chaban Delmas n'ayant aucune chance de l'emporter à la présidentielle, Foccart mobilise ses réseaux en faveur de Valéry Giscard d'Estaing. Devenu président de la République, ce dernier rencontre Foccart une fois par mois. "Voilà Foccart d'Estaing", ironise le Canard enchaîné. Les réseaux Foccart reconstituent, au sein même d'Elf au Gabon, un service de renseignement capable de concurrencer les services spéciaux de la République. En 1981, Foccart met la manne du Gabon au service du candidat Jacques Chirac. Même si Charles Pasqua assure au Monde : "en tant que responsable de la campagne de Chirac, je n'ai jamais eu aucune indication sur de telles sources de financement".
Mais Omar Bongo a pris soin de tisser aussi des réseaux au sein de la gauche française. Il exhibe volontiers une carte de la SFIO datant des années 1950 en riant : "Je suis un très vieux socialiste." Après l'élection de François Mitterrand, en 1981, il s'exaspère cependant de voir le ministre de la coopération Jean-Pierre Cot plaider la fin de ce que l'on n'appelle pas encore la "Françafrique". Une procédure judiciaire menace par ailleurs le président soupçonné d'avoir fait assassiner en 1979 à Villeneuve-sur-Lot, Robert Luong, l'amant de sa femme Marie-Joséphine. Omar Bongo usera manifestement d'arguments convaincants. En quelques semaines, le parquet conclut au non-lieu dans l'affaire Luong, et Jean-Pierre Cot est poussé à la démission, en 1982.
Roland Dumas, chargé de retisser les liens avec Bongo, résume tranquillement les choses aujourd'hui : "Jean-Pierre Cot n'avait compris ni les gens, ni les enjeux, ni les liens de la France avec l'Afrique." Guy Penne et le fils du président, Jean-Christophe Mitterrand, sont désormais les envoyés africains du chef de l'Etat. A ceux qui s'inquiètent de le voir soutenir des dictateurs qu'il dénonçait dans l'opposition, Mitterrand explique : "A quoi cela sert-il de changer les hommes ? Celui que l'on mettrait à la place ferait la même chose..."
Dès les premiers jours de la cohabitation, en 1986, Jacques Foccart revient installer ses bureaux rue de Varenne, en face de ceux de Jacques Chirac à Matignon. A nouveau, le Gabon financera vraisemblablement la campagne du président du RPR à la présidentielle. En 1989, un an après sa réélection, François Mitterrand demande à Loïc Le Floch-Prigent, nouveau président d'Elf, d'organiser un système de financement pour la gauche, notamment via le Gabon. Au procès Elf, en 2002, Le Floch-Prigent explique à la barre. "On va appeler un chat un chat. L'argent d'Elf part en Afrique et revient en France."
Il explique alors ce financement politique "installé au coeur de l'Etat" : la caisse noire d'Elf. "Il est de notoriété publique que les candidats à l'élection présidentielle avaient accès au secrétaire général du groupe (Elf) et demandaient l'enveloppe correspondante", poursuit-il, en précisant que ce système bénéficiait "essentiellement au parti gaulliste, le RPR". Devant le tribunal, il racontera cette scène : "En septembre 1989, je m'en suis ouvert au président de la République. Je lui ai demandé : "voulez-vous ou non que je ferme le robinet" ? Réponse du président : "Ah ! non, nous continuons ce qui a été mis en place par le général de Gaulle." Il m'a simplement demandé de rééquilibrer les choses, sans toutefois oublier le RPR."
Dès la fin de 1993, Omar Bongo a perçu la rivalité qui se dessine entre Jacques Chirac et Edouard Balladur pour l'élection présidentielle de 1995. Il adore la complicité de son "copain" Chirac. Il n'aime pas la componction de Balladur. Il l'apprécie d'autant moins que celui-ci dévalue le franc CFA en septembre 1993. Edouard Balladur a pourtant choisi comme ministre de la coopération un connaisseur de l'Afrique, Michel Roussin, ancien du Sdece et ex-directeur de cabinet de Jacques Chirac. Celui-ci doit cependant essuyer la colère de Bongo : "Qui es-tu, toi, pour parler au nom de la France !" A chaque accrochage, le président gabonais réitère la menace : "Vous voulez que je donne le pétrole gabonais aux Américains ?" De fait, il continue de préserver les intérêts français. Edouard Balladur tente de son côté d'apprendre les règles africaines.
A l'enterrement du président ivoirien Félix Houphouët-Boigny, en décembre 1993, François Mitterrand lui rapporte cette anecdote : "Margaret Thatcher avait demandé à Houphouët : "mais qu'est-ce qui vous attache tant aux Français, qui vous ont pourtant colonisés ?" Et Houphouët avait répondu : "ils ont fait de nous des ministres."" Après la démission de Michel Roussin, mis en examen dans des affaires de financement du RPR, Edouard Balladur nomme en 1994 à la coopération Bernard Debré qui, comme médecin, soigne Bongo et une grande partie de son gouvernement. Rien n'y fait. Le premier ministre qui, avant la présidentielle, rend visite à Foccart pour lui demander son aide, l'entend énoncer : "Par fidélité, nous soutiendrons Jacques Chirac. Si vous l'emportez à l'issue du premier tour, bien sûr, tous mes réseaux basculeront avec loyauté vers vous."
Chirac élu en 1995, les relations avec le Gabon sont au beau fixe. Omar Bongo ne fait jamais défaut lors des votes à l'ONU. Robert Bourgi, fils spirituel de Jacques Foccart, a repris les réseaux de son maître, à la mort de celui-ci en 1997. La cohabitation avec Lionel Jospin et surtout l'ouverture du procès Elf, en 2002, poussent Jacques Chirac, réélu, à tenter une rupture avec Robert Bourgi : "Celui-là, je ne veux pas le voir ici", a-t-il dit à l'un de ses conseillers. Mais Robert Bourgi, cependant, reste puissant et oeuvre dans l'ombre de Nicolas Sarkozy.
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