C'est un événement hautement symbolique des nouveaux rapports de force internationaux, qui a pourtant été largement occulté par le fracas des événements en Iran. Mardi, à Ekaterinbourg, en Russie, les dirigeants des quatre plus grandes économies dites « émergentes » -Brésil [1], Russie [2], Inde [3] et Chine [4], les « Bric“- se sont réunis pour discuter des affaires du monde. Entre eux, sans les Occidentaux.
L'événement n'aurait pas eu grand sens il y a seulement dix ans, lorsque les quatre économies combinées de ces géants (plus du tiers de l'humanité à eux quatre) représentaient à peine 7,5% de l'économie mondiale. Mais leur part a doublé en une décennie, tirée par la locomotive chinoise et sa croissance à deux chiffres, mais aussi de bons scores également des trois autres.
Résultat : les Bric ont pris de l'assurance, et souhaitent que leur voix porte plus sur les affaires économiques internationales. Surtout quand la crise économique et financière est provoquée par celui qui en détenait jusqu'ici tous les verrous : les Etats-Unis.
Concertation avant le G8
La réunion des quatre, intervenant trois semaines avant le sommet annuel du G8 [5] à l'Aquila, en Italie, où ils seront invités pour le café, leur a permis de revendiquer plus d'influence au sein du Fonds monétaire international (FMI) [6], aujourd'hui sous influence américaine et occidentale prépondérante, mais aussi de réclamer un système monétaire ‘diversifié’ [7], c'est-à-dire moins lié au dollar. Une prise de position qui a son importance quand on sait le poids des bons du Trésor US détenus par la banque centrale chinoise [8] : c'est ce point qu'a mis en avant le très officiel China daily mercredi.
Certes, il y a bien des différences entre ces quatre puissances en devenir. Leurs économies n'avancent pas au même rythme et évoluent de manière différente, comme le montre l'impact de la crise qui n'est pas le même dans chacun de ces quatre pays. Et leurs systèmes politiques sont contradictoires, entre le parti unique chinois et la démocratie assez classique du Brésil, en passant par l'autoritarisme russe et la démocratie mâtinée de castes en Inde [9].
Mais ce qui unit ces quatre Etats n'est pas indifférent : une remise en cause de l'hégémonie occidentale, et surtout américaine sur la marche du monde. Sans pour autant rejoindre le rêve des altermondialistes : ils réclament la cogestion de la mondialisation, pas son remplacement. En gros, un G20 prenant la place du G8 et pas seulement ponctuellement quand on a besoin d'eux…
Un rééquilibrage du pouvoir mondial
La crise économique offre à ce bloc hétéroclite une opportunité de rééquilibrer le pouvoir mondial en sa faveur, profitant de l'affaiblissement durable de l'économie américaine, et l'incapacité de l'Europe à peser comme elle devrait. La Chine est la plus motivée des quatre, et il reste à voir jusqu'où les trois autres sont prêts à la suivre dans sa quête de puissance, en particulier l'Inde, l'autre géant d'Asie, qui a des relations toujours ambiguës avec ce grand voisin avec lequel elle a été en guerre il y a quatre décennies.
Plus fortes sont les convergences sino-russes, pour favoriser un monde multipolaire autoritaire, dont on entrevoit avec les soubresauts iraniens et le soutien implicite de Pékin et Moscou à la ‘stabilité’ et donc à Mahmoud Ahmadinejad, dans quel sens il pourrait évoluer.
Signe de l'ambition de Pékin, le numéro un chinois, Hu Jintao, a profité de son séjour à Ekaterinbourg, dans l'Oural russe, pour tenir parallèlement un sommet de l'Organisation de sécurité de Shanghaï (OSC) [10], organisation régionale regroupant la Chine, la Russie, et tous les Etats d'Asie centrale ex-soviétiques. Et Hu Jintao a annoncé à ces derniers une ligne de crédit de 10 milliards de dollars [11] pour les aider à traverser la crise. En diplomatie, ça peut être utile d'avoir les poches pleines.
Les Occidentaux ignoreraient à leurs dépens les dynamiques qui animent cet ensemble, malgré ses fortes contradictions. Il est le reflet d'un monde dans lequel ils ne contrôlent plus tout.
Photo : lLes présidents Lula, Medevedev, Hu et Singh à Ekaterinbourg en Russie le 16 juin 2009 (Sergei Karpukhin/Reuters).
Liens:
[1] http://www.rue89.com/tag/bresil
[2] http://www.rue89.com/tag/russie
[3] http://www.rue89.com/tag/inde
[4] http://www.rue89.com/tag/chine
[5] http://www.rue89.com/explicateur/sommet-du-g8-au-japon-qui-dirige-reellement-la-planete
[6] http://www.imf.org/external/french/index.htm
[7] http://www.chinadaily.com.cn/world/2009-06/17/content_8292873.htm
[8] http://www.e24.fr/economie/monde/article18038.ece/La-Chine-premiere-detentrice-mondiale-de-bons-du-Tresor-americain.html
[9] http://www.rue89.com/explicateur/2009/04/16/elections-generales-en-inde-mode-demploi
[10] http://www.rue89.com/Chine+et+Russie%2C+front+commun+limit%C3%A9+face+aux+Am%C3%A9ricains
[11] http://www.ft.com/cms/s/0/a0af4b70-5a55-11de-8c14-00144feabdc0.html
[12] http://www.rue89.com/chinatown/chine-et-russie-front-commun-limite-face-aux-americains
[13] http://www.rue89.com/explicateur/sommet-du-g8-au-japon-qui-dirige-reellement-la-planete
[14] http://www.ft.com/cms/s/0/f7070dd0-59d0-11de-b687-00144feabdc0.html
[15] http://www.chinadaily.com.cn/world/2009-06/17/content_8292873.htm
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