Pour la première fois depuis 1967, Tel-Aviv ne peut plus compter sur le soutien inconditionnel du président américain. Lequel lui demande de renoncer à sa volonté hégémonique et d’œuvrer à la création d’un État palestinien.
Le premier round du combat entre Barack Obama et Benyamin Netanyahou n’a pas fait couler le sang. Lors de leur rencontre à Washington, le 18 mai, le président américain et le Premier ministre israélien se sont tournés autour avec méfiance, s’efforçant de dissimuler leur mutuelle antipathie sous une politesse étudiée. Ils n’ont cependant pas pu cacher l’étendue de leurs divergences. Les rounds à venir promettent plus de contusions.
Obama représente pour Israël un défi comme le pays n’en a pas connu depuis des décennies. Pour la première fois depuis 1967, au bas mot, Israël ne peut plus compter sur le soutien inconditionnel du président américain. L’administration Obama n’accordera aucun chèque en blanc à l’État hébreu. Il ne s’agit pas d’un simple refroidissement des relations entre les deux pays. Car Obama demande à Israël de renoncer à ses ambitions, à certains comportements et à des doctrines sécuritaires devenues partie intégrante de sa psyché au cours des soixante dernières années. Il exige un changement radical du mode de pensée quant aux frontières, à la sécurité à long terme et à la place du pays dans la région. Depuis la guerre des Six-Jours, chaque gouvernement, quelle que soit sa couleur politique, a cherché à étendre le territoire israélien en s’emparant de terres palestiniennes. Certains ont agi discrètement, d’autres ont déclaré ouvertement que la « guerre d’indépendance » de 1947-1948 n’était pas terminée. De fait, pour de nombreux Israéliens, l’idée d’un « Grand Israël » s’étendant du Jourdain à la Méditerranée demeure l’objectif ultime. Alors même qu’Obama et Netanyahou se rencontraient, des colons israéliens annonçaient que le gouvernement venait d’autoriser la construction de nouveaux logements dans une communauté juive de la vallée du Jourdain. Aujourd’hui, Obama estime que cette expansion doit cesser. C’est le cœur du problème. Tant que les colonies israéliennes se développeront, tant qu’elles ne seront pas démantelées et abandonnées, il n’y aura ni paix ni État palestinien – cet État qu’Obama veut faire exister au côté d’Israël.
Nucléaire : fin d’un tabou
Pour un grand nombre d’Israéliens – et pas seulement de droite –, un État palestinien représente une menace idéologique et existentielle. Ils craignent qu’un tel État ne finisse par ronger Israël – de la même manière qu’aujourd’hui l’État hébreu grignote le territoire palestinien. Au-delà, un État palestinien minerait la légitimité de leur propre entreprise nationale, puisque Israël s’est érigé sur les ruines de la Palestine arabe. Les faucons israéliens, comme Netanyahou, ont toujours cru que le problème palestinien pouvait être résolu par une victoire militaire définitive, assortie d’une dispersion physique des Palestiniens. Certains analystes israéliens évoquent en effet avec candeur l’idée de rendre Gaza à l’Égypte et d’expulser vers la Jordanie les Palestiniens de Cisjordanie. Au grand désarroi de tels faucons, Obama redonne vie aux notions de « la terre contre la paix » et d’État palestinien, qu’ils pensaient enterrées pour toujours.
Depuis sa création, Israël vise l’hégémonie militaire régionale. Maintenir la faiblesse de ses voisins et les frapper à volonté tout en s’assurant d’être plus fort que toute alliance arabe est au fondement de sa stratégie sécuritaire – soutenue par son allié américain via une aide financière prodigue, un soutien politique et un approvisionnement en armes sophistiquées. L’un des éléments essentiels de la domination israélienne est son monopole en matière d’armes nucléaires.
Tel-Aviv et son allié américain se sont habitués à l’idée que la puissance des États-Unis pouvait être mobilisée à n’importe quel moment pour vaincre les ennemis d’Israël, réels ou potentiels. Quand la guerre Iran-Irak (1980-1988) se solda par un match nul, Saddam Hussein et son armée ont soudain fait peur. L’État hébreu a craint une résurgence du militarisme arabe sur son flanc est. Du coup, tout au long des années 1990, Israël et ses alliés néocons à Washington ont œuvré sans relâche pour le renversement de Saddam – première étape d’un remodelage du monde arabe. Le nationalisme arabe, le djihadisme et l’activisme palestinien devaient être éliminés par les États-Unis de manière à rendre la région plus sûre pour Israël. Mais les choses ont mal tourné. La guerre en Irak a été une véritable catastrophe, pour l’Irak lui-même mais aussi pour la stabilité de l’ensemble de la région. Sans le contrepoids de l’Irak, l’Iran est devenu une puissance régionale et représente aujourd’hui un défi bien plus important que ne l’a jamais été l’Irak. L’islamisme politique et l’antiaméricanisme ont connu un essor sans précédent à travers tout le monde arabo-musulman. Quant aux États-Unis, ils ont sacrifié leurs hommes, gaspillé leur argent et terni leur réputation pour une guerre qui n’aurait jamais dû avoir lieu. Obama le sait, et il est déterminé à ne pas se laisser entraîner par Israël dans un nouveau conflit.
Vu depuis l’État hébreu, l’appel au dialogue avec l’Iran et la possibilité d’un « grand marchandage » pourraient menacer l’hégémonie militaire israélienne et son monopole nucléaire. Plutôt que toute forme de compromis sur l’enrichissement de l’uranium, Israël souhaite la destruction des installations nucléaires iraniennes. Comme l’a dit Netanyahou à Washington, Israël conserve le droit de se défendre. Du point de vue d’Obama, la prolifération nucléaire est une menace pour l’ensemble de la planète. Il a fait du désarmement un élément central de sa politique de défense. Il souhaite convaincre l’Iran de renoncer à fabriquer des armes atomiques, mais il sait que cela n’est possible que si, en retour, Israël accepte de soumettre son industrie nucléaire aux inspections internationales. Un haut responsable américain a même demandé à Tel-Aviv de signer le Traité de non-prolifération nucléaire, mettant ainsi fin au vieux tabou qui interdisait d’évoquer publiquement l’arsenal nucléaire israélien.
Le fossé est profond
L’administration Obama veut restaurer l’autorité et la crédibilité de l’Amérique dans le monde arabo-musulman. La sécurité des États-Unis en dépend. Les feux de la colère musulmane doivent être étouffés dans l’œuf. Cela signifie inévitablement une gestion de la situation au Moyen-Orient plus équilibrée et moins favorable à Israël.
Parmi les problèmes les plus brûlants de la région, le plus explosif est celui des Palestiniens, opprimés et spoliés depuis plusieurs dizaines d’années. Aujourd’hui, pour une grande partie de la communauté internationale, c’est une abomination. Obama semble déterminé à faire usage de son pouvoir pour résoudre ce vieux conflit sur la base de la solution de deux États. Il souhaite libérer les Palestiniens de leur servitude à l’égard d’Israël – non seulement parce qu’ils méritent d’être libres, mais aussi parce que c’est le meilleur moyen d’assurer la sécurité à long terme d’Israël comme son intégration pacifique dans la région. Le point de vue de Netanyahou est radicalement différent. Il a une vision apocalyptique d’Israël, État assiégé dont l’existence même sera toujours menacée par des ennemis irréductibles, qui doivent être vaincus et détruits. Le fossé entre Israël et les États-Unis est profond. Il est peu probable qu’il puisse être comblé sans affrontement.
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