Barack Obama et ses conseillers savent bien sûr que quatre musulmans sur cinq ne sont pas arabes et que les Arabes ne sont pas tous musulmans.
L’Arabie est le berceau de l’islam, et sa langue est celle du Coran, certes. Mais l’islam a essaimé et les musulmans sont désormais très nombreux sur tous les continents : ils sont majoritaires dans une cinquantaine de pays et, comme l’a rappelé Barack Obama, représentent l’une des grandes religions de l’Amérique elle-même.
Pourquoi alors le président américain a-t-il choisi de s’adresser le 4 juin au 1,4 milliard de musulmans depuis la capitale d’un pays arabe, l’Égypte, quelques heures après avoir rendu visite à un autre pays arabe ?
En guise d’explication, des commentateurs ont avancé que l’Arabie saoudite est le plus riche et l’Égypte le plus peuplé des pays arabes. Obama et ses conseillers n’ont pas donné les raisons de leur choix de l’Égypte, ni du passage obligé du président américain par l’Arabie. Mais, à mes yeux, l’un et l’autre ont été dictés par deux mots-réalités : pétrole et Israël.


Pétrole : les pays arabes du Moyen-Orient en sont (presque) tous de grands exportateurs. L’Amérique importe la moitié de ce qu’elle consomme, tandis que la plupart de ses alliés en dépendent pour la quasi-totalité de leurs besoins.
Premier exportateur mondial, l’Arabie saoudite est garante de sa disponibilité et modératrice de son prix. Son régime dépend des États-Unis pour sa sécurité ; l’Amérique et ses alliés comptent sur lui pour le bon fonctionnement de leurs économies.

Israël : l’Égypte et l’Arabie saoudite ont une frontière commune avec l’État hébreu. Très longtemps, ils ont été en conflit, ouvert ou larvé, avec lui et ils sont, aujourd’hui encore, à la recherche d’une coexistence avec cet allié privilégié des États-Unis.
L’Arabie saoudite est le parrain du « plan de normalisation » des relations entre les vingt-deux pays arabes et Israël.


Quoi qu’il en soit, Barack Obama et son administration semblent déterminés à entreprendre dès le début de ce premier mandat ce qu’aucun président américain, à l’exception de Jimmy Carter, n’a tenté : aider ou même obliger leur allié israélien et les pays arabes à sceller entre eux un « compromis historique » qui donnera :

• au premier une place dans la région, moins importante mais « sûre et reconnue »

• aux seconds les territoires qu’ils ont perdus et l’impression d’avoir obtenu « la paix des braves ».

Obama pense que c’est l’intérêt de l’Amérique de rechercher ce résultat. Au fameux « diviser pour régner », il substitue le rassembler pour mieux dominer.
S’il n’y a plus de conflit israélo-palestinien, ni de risque de conflagration israélo-arabe, si cette partie du Moyen-Orient est apaisée, alors disparaît ce qui a beaucoup occupé ses prédécesseurs et coûté cher à son pays.

Au lieu d’être l’inconditionnel d’un seul petit État, d’une « tribu blanche », l’Amérique deviendrait le suzerain de tous les pays de la région et le garant de la sécurité de chacun d’eux.


L’Iran ? Obama et son administration ont constaté, comme vous et moi, que le conflit israélo-arabe et le martyre palestinien n’ont fait que, d’une part, radicaliser son régime et, d’autre part, accroître son influence et multiplier ses raisons d’intervenir.
Si le front israélo-arabe s’apaise et si l’Amérique, au lieu de rejeter l’Iran vers « l’axe du mal », lui prodigue marques de respect et assurances pour son régime, ce dernier trouvera, pensent-ils, avantage et intérêt à saisir la main tendue.
Nous ne tarderons pas à savoir si Obama a gagné ce pari-là.

Al-Qaïda ? Oussama Ben Laden et Ayman al-Zawahiri, ses deux dirigeants, se sont adressés aux musulmans, eux aussi. Presque en même temps que Barack Obama.

Ce dernier pense que s’il parvient à faire oublier aux musulmans ce qui les a révulsés à l’époque du tandem Bush-Cheney, il enlève à Al-Qaïda ses meilleurs arguments et la prive de nombre de ses recrues.
A condition que les actes soient à la hauteur du discours, le nouveau président américain devrait, sur ce plan aussi, marquer des points.


Comme beaucoup d’entre vous, nous avons écouté le discours que Barack Obama a prononcé avec conviction le 4 juin à l’université du Caire, et nous l’avons lu ensuite en anglais.
Nous vous en proposons le texte intégral en français (pp. 59-66). Je vous engage à prendre le temps de le lire : vous pourrez ainsi avoir votre propre appréciation.

Il y a très longtemps que je n’ai pas lu pour ma part, sous la plume d’un chef d’État, un texte d’une telle élévation.
Barack Obama s’adressait plus particulièrement aux musulmans, car c’est eux que son prédécesseur a heurtés et dressés contre l’Amérique. Mais, en réalité, il s’est adressé à tous les hommes et toutes les femmes du monde, et il a traité de questions qui concernent chacun d’entre nous.
Il a reconnu les torts de son pays et réparti les responsabilités d’une façon qui me paraît juste et équilibrée.

Aux problèmes qui se posent et auxquels il a promis de s’attaquer, il a cherché des solutions qui tiennent compte des intérêts de son pays, mais en même temps de ceux des autres parties concernées. Et il a érigé en principe de toujours tenir le plus grand compte du point de vue, de la sensibilité et des intérêts de l’autre, celui qui est en face.


Cet homme éloquent et cultivé a confirmé – pour que nul n’en doute – qu’il est chrétien. Mais son discours a montré qu’il a fait siennes les valeurs des autres grandes religions.
Ce chrétien est un homme de gauche : sans le dire et sans peut-être s’en rendre compte, il porte en lui les idéaux et les valeurs de la gauche, en particulier le respect de l’autre et la recherche obstinée de l’intérêt général.
Mais ce n’est pas un naïf comme l’insinuent les hommes de droite qu’il dérange parce qu’il n’a pas leur cynisme.
En un mot comme en mille, c’est un homme d’État, à mon avis le plus grand, actuellement en exercice. Pour autant, réussira-t-il à faire avancer les idées qu’il défend et les solutions qu’il propose ?

S’agissant du Moyen-Orient, je ne peux que répéter ce que j’ai déjà écrit : Obama n’a ni chez les pays arabes, ni en Iran, ni en Israël les partenaires dont il a besoin.


Dans ce dernier pays, au pouvoir, en ce moment, des hommes de droite et d’extrême droite décidés à l’empêcher de réaliser ce que lui croit être dans l’intérêt d’Israël. En ont-ils la possibilité ?

Non, écrit Gideon Levy, l’un des éditorialistes les plus tonitruants de Haaretz, le quotidien israélien de centre gauche :
« Un Premier ministre israélien n’a pas la capacité de s’opposer aux États-Unis si ceux-ci ont décidé d’être fermes et de tenir leurs positions. Benyamin Netanyahou le sait mieux que personne… Le seul, le vrai danger, existentiel pour Israël, c’est la perte du soutien américain. Sans les États-Unis, pas d’Israël… Aux Nations unies, nous n’aurions plus que le vote de la Micronésie. Sans les États-Unis et leur aide militaire de 30 milliards de dollars, Tsahal ne serait plus que l’ombre de ce qu’elle est.
Le temps est compté, et la clef est sur le contact : président Obama, s’il vous plaît, menez-nous à la paix… »
.


Le propos de Gideon Levy (dont je ne cite qu’une petite partie) est vif mais je pense qu’il ne se trompe pas. Avec lui je parie sur Obama. Et je dis qu’il y aura plus de juifs en Israël pour adhérer aux vues de Barack Obama que d’Américains aux États-Unis pour épouser celles de Benyamin Netanyahou.