L’adjectif se réfère à cette région de l’Europe, les Balkans, tristement célèbre, précisément parce que découpée arbitrairement en petits pays aux frontières mouvantes.

Leur histoire tumultueuse se résume – à ce jour – à des guerres dites balkaniques qui éclatent entre eux, ou même entre les puissances européennes intéressées par l’équilibre – ou le déséquilibre – de cette péninsule balkanique. Véritable poudrière au sud de l’Europe, les Balkans n’ont pas encore trouvé la paix : qui ne se souvient du tout récent éclatement de la Yougoslavie ou de la guerre du Kosovo, encore plus proche ?

Les puissances coloniales européennes se sont partagé le continent africain au XIXe siècle au gré de leurs ambitions et du rapport des forces du moment.

Lorsque l’ère coloniale s’est achevée, le reflux a commencé par le retrait de la France du Maroc et de la Tunisie, en 1956.

La Grande-Bretagne lui a emboîté le pas en libérant le Ghana en 1957.

Puis, le chapelet s’étant défait, ce furent les indépendances en cascade des années 1960, couronnées par celle de l’Algérie en 1962. Les colonies portugaises et espagnoles fermeront la marche quelques années plus tard.

La décolonisation achevée, le continent s’est trouvé couturé de cicatrices et découpé en plus de cinquante pays, dont certains beaucoup trop petits par la superficie et/ou la population. Trop de frontières artificielles, un peu partout, séparant les peuples, rendant difficile, voire impossible, la constitution de nations et favorisant les querelles de voisinage et les guerres à propos du tracé d’une ligne frontière. Ici et là, des pays enclavés qui ont du mal à communiquer avec le reste du monde…

On a cependant décidé de respecter les frontières héritées des régimes coloniaux ; un demi-siècle plus tard, on commence à parler d’États-Unis d’Afrique. Mais sans trouver, à ce jour, la clé qui permettrait de passer de la « balkanisation » à l’union, du réel à l’utopique.

Mais l’Afrique est-elle aussi « balkanisée » qu’on le dit ? Diffère-t-elle sur ce plan des autres continents autant que nous le croyons ?

Les chiffres semblent indiquer que nous sommes victimes d’une illusion d’optique puisqu’ils révèlent que les autres continents sont (presque) aussi mal découpés que l’Afrique.

L’Amérique et l’Europe (Turquie incluse) ont chacune une population équivalente ou presque équivalente à celle de l’Afrique (près de 1 milliard d’habitants) ; elles comptent 35 pays pour la première, 46 pour la seconde.

L’Afrique, elle, en est à 53 pays, donc pas beaucoup plus.

Quant à l’Asie, elle se divise en 47 pays, mais sa population est beaucoup plus importante : elle dépasse les 4 milliards.

Reste la petite Océanie, avec ses 34 millions d’habitants, répartis tout de même entre 10 pays.

Il n’y a donc pas, vous le voyez, une grande différence entre les cinq continents : ils sont tous les cinq divisés en trop de pays, dont certains sont trop petits ou enclavés.

Et dans chacun des continents, il y a trop de frontières artificielles…

Le professeur Paul Kennedy, historien de grande renommée*, a engagé une réflexion sur cette division du monde en pays dont certains sont grands et même trop grands et d’autre petits ou même minuscules. Il fait appel à l’Histoire et aboutit à des conclusions surprenantes dont je voudrais vous faire profiter.

Lisez.

« Depuis toujours, les historiens et les experts en stratégie savent que des puissances petites mais bien organisées peuvent disposer d’une influence hors de proportion avec leur taille réelle…

De 1500 à 1900, le Portugal, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne n’étaient que des “pygmées” géographiques. Cela ne les empêcha pas d’apposer leur empreinte sur une très grande partie du globe.

De nos jours, pour des raisons qui tiennent à l’Histoire et à la géopolitique, Singapour, Hong Kong et Dubaï boxent dans des catégories bien supérieures à leurs poids respectifs.

Cependant, si la petitesse ne prédispose pas à l’insignifiance, s’agrandir ne signifie pas forcément grandir.
Si la seule étendue géographique suffisait à conférer la puissance, alors la Russie, véritable colosse de 17 millions de km², dominerait le monde. Or ce n’est pas le cas. Frappée d’une “malédiction sibérienne”, avec ses millions de kilomètres carrés recouverts de permafrost, elle possède, au contraire, beaucoup trop de terres.

Dans une moindre mesure, le Canada est dans le même cas. Dans de pareils pays, la partie habitable est limitée. Pour des raisons climatologiques inverses, la majeure partie du territoire australien est fermée à la vie.

Toutefois, au cours des cinquante prochaines années, et au contraire de la Russie confrontée à un terrifiant déclin démographique, le Canada comme l’Australie peuvent espérer profiter d’augmentations constantes de populations dans leurs étendues désertiques. Les deux anciennes colonies possèdent de vastes territoires, mais leur population est faible. La Russie est immense, mais fortement handicapée par sa taille et l’effondrement de sa démographie.

La Chine et l’Inde : elles abritent près de 40 % de la population mondiale ; dans le cas de l’Inde, la population est en augmentation constante, au risque d’atteindre un niveau alarmant, voire peut-être insoutenable. Les perspectives pour les deux géants asiatiques à l’horizon des cinquante prochaines années ne laissent rien présager de bon. Pour le dire crûment, tous deux seraient mieux partis si l’on pouvait diviser leur population de moitié.

Le Brésil : l’équilibre général entre sa surface géographique, la croissance de sa population et ses ressources en eau et en terres cultivables fait de lui un pays relativement riche et fiable.

Les États-Unis : les données géopolitiques de base – une situation privilégiée entre deux océans, un voisinage réduit à deux nations paisibles et le meilleur ratio de la planète entre superficie, population et ressources agricoles – lui offrent de nombreux atouts pour l’aider à surmonter les stupidités présentes et futures.

Être très grand, en superficie ou en population, ne garantit pas en soi de devenir et de demeurer une grande puissance. Mais disposer de ressources étendues et d’une position géographique favorable, auxquelles viennent s’ajouter des stratèges intelligents, peut vraiment vous aider à demeurer sur le podium pendant très longtemps. »

* Professeur d’histoire à l’université américaine Yale et directeur de l’International Security Studies. La version française de son Histoire de la Seconde Guerre mondiale est très attendue.