Par Louis Girard | |
Le 2 juin 2009 | |
Une journée après le début de l’enquête publique sur la mort du jeune Fredy Villanueva à Montréal, dans le quartier Montréal-Nord, le 9 août 2008 sous les balles d’un policier, le coroner Robert Sansfaçon a décidé de suspendre l’enquête pour une durée indéterminée. Lors de cette même intervention policière, deux autres jeunes avaient été blessés. L’enquête a été boycottée dès son commencement par les familles des victimes et les organismes communautaires qui devaient y participer. Ceux-ci ont toujours été méfiant quant à la volonté du corps policier et des institutions publiques chargées du processus judiciaire qui a suivi la mort du jeune homme. À propos de l’enquête publique, la mère de Fredy Villanueva a dit : « Je n’ai pas confiance, absolument pas confiance. » Le coroner a reconnu que la crédibilité de l’enquête était « en péril ». La journée avant que Sansfaçon prenne sa décision, il avait été révélé que la Sûreté du Québec (SQ), le corps de police de juridiction provinciale qui avait été chargée de l’enquête sur la mort du jeune Villanueva, n’avait même pas interrogé les deux policiers impliqués dans l’intervention qui avait mené à la mort du jeune homme et s’était servie principalement des rapports des deux policiers, rédigés plus d’une semaine après l’évènement. La SQ avait décidé de ne pas porter d’accusation contre le policier Jean-Loup Lapointe, celui qui avait tiré sur Villanueva ainsi que sur deux autres jeunes hommes qui étaient présents lors de l’intervention. Cette révélation confirme que la méfiance et l’opposition populaire qui se sont manifestées dès le lendemain de la mort du jeune homme étaient tout à fait justifiées. Au lendemain du drame, une manifestation spontanée se tenait dans le quartier Montréal-Nord, un des quartiers les plus défavorisés de Montréal, afin de dénoncer la brutalité policière. Cette manifestation populaire avait, par la suite, dégénéré en émeute. La suspension de l’enquête a provoqué une crise politique à l’Assemblée nationale à Québec, l’opposition accusant le ministre libéral de la Sécurité publique, Jacques Dupuis, d’avoir contribué à miner la crédibilité de l’enquête. Pauline Marois, la chef du Parti québécois, le parti nationaliste de droite qui constitue l’opposition officielle, a déclaré : « Si M. Dupuis avait été à l'écoute des gens de ce quartier, de la famille concernée, il ne se retrouverait pas avec entre les mains un risque d'avortement de cette commission d'enquête, qui, à mon point de vue, doit avoir lieu. » Ce qui inquiète l’opposition, ce n’est pas le sort des gens de Montréal-Nord dont tous les partis, par leurs politiques de droite, sont responsables des conditions détériorées qui y règnent. Ce qui les inquiète vraiment, c’est plutôt que l’intransigeance du ministre Dupuis et du parti libéral est en train de contribuer à envenimer le climat social déjà tendu et à faire échouer la tentative de l’establishment de blanchir la police. Quant à l’intransigeance du Parti libéral, elle vient du fait que ce parti cherche à accéder aux demandes de la police, qui ne veut en aucun cas que ses membres soient incriminés ou que ses activités soient restreintes par un cadre légal plus contraignant. L’enquête publique était la réponse de l’élite dirigeante aux évènements survenus dans le quartier Montréal-Nord les 9 et 10 août 2008. Le 9 août, Fredy Villanueva, un jeune hondurien de 18 ans, jouait aux dés avec des amis dans un parc du quartier. Deux policiers du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) se sont approchés d’eux et ont procédé à l’arrestation du frère de Fredy, Dany, sans raison apparente. Lorsque Fredy protesta contre l’arrestation arbitraire de son frère, un des deux policiers dégaina, tuant Fredy et deux de ses amis. Tout de suite après l’évènement, plusieurs témoignages des personnes présentes lors de l’intervention policière ont émergé. Ces témoignages étaient en flagrante contradiction avec la version circulée par la police, qui affirmait que les policiers s’étaient défendus après avoir été agressé par des jeunes (voir « Les médias canadiens cherchent à couvrir les causes sociales de l’émeute de Montréal-Nord »). Le lendemain, une manifestation spontanée avait dégénéré en émeute. Par la suite, un long processus judiciaire, servant à masquer ce qui s’est véritablement passé et à blanchir les policiers, a débuté. Avant même que l’enquête bidon de la SQ ne soit terminée et qu’elle n’annonce qu’aucune accusation ne serait portée contre le policier Lapointe, il était déjà convenu qu’une enquête publique serait lancée tout de suite après l’annonce de cette décision, le gouvernement Charest jugeant la situation « explosive ». En annonçant la tenue d’une enquête publique, le ministre de la Sécurité publique, Jacques Dupuis, avait offert à la famille Villanueva, « par compassion », que le gouvernement paye les frais d’un avocat accompagnateur pendant quatre jours lors de l’enquête publique. Quant aux deux autres victimes blessées lors de l’intervention policière, le ministre a constamment réitéré que le gouvernement ne leur paierait pas les frais d’avocats. Le ministre Dupuis est revenu sur sa décision seulement après que le coroner Sansfaçon ait suspendu l’enquête. Le corps policier, quant à lui, peut bénéficier de six avocats payés par les fonds publics. Devant toute cette mascarade, l’opposition de la population a été soutenue. En plus de la manifestation spontanée tenue le lendemain de la tragédie afin de dénoncer la brutalité policière, d’autres manifestations se sont tenues depuis août 2008 jusqu’à aujourd’hui, réunissant plusieurs centaines de personnes. Les gens ont dénoncé la brutalité policière et le profilage racial et réclament maintenant une commission d’enquête plus large. Will Prosper, le porte-parole de Montréal-Nord Républik, un organisme fondé en réaction aux évènements des 9 et 10 août 2008, a récemment déclaré : « Si on veut prévenir d'autres événements tragiques, il faut mettre en lumière les tensions sociales et la condition socioéconomique à Montréal-Nord, mais également les relations entre les citoyens et les policiers… Si un autre jeune meurt dans des conditions nébuleuses, c'est sûr qu'il y aura encore des émeutes. Et le responsable, ce sera le gouvernement. » Le contexte socioéconomique a effectivement joué un rôle dans la mort du jeune Villanueva. Il en est même à la base. Cependant, il serait dangereux de croire que la solution réside dans la réforme des techniques d’interventions policières, dans les vagues promesses d’aide économique, notamment celles de la Ville de Montréal, ou encore dans la tenue d’une commission d’enquête publique plus large qui se pencherait entre autres sur le profilage racial et les conditions socioéconomiques. Québec Solidaire, un parti qui se dit de gauche, et qui met de l’avant un programme de réformes très limitées, a d’ailleurs repris la demande pour une « commission d’enquête publique au mandat élargi » et a appelé pour que le dossier Villanueva soit confié à la ministre de la Justice, Kathleen Weil, plutôt qu’au ministre de la Sécurité publique. Par ces appels, Québec Solidaire, comme à son habitude, fait la promotion de l’idée que les institutions officielles de plus en plus discréditées comme la police ou l’Assemblée nationale pourraient être réformées pour exprimer les intérêts et les aspirations de la population. En adoptant cette position, Québec solidaire tente de masquer et d’atténuer les conflits de classe entre l’élite dirigeante et les travailleurs, plutôt que de les exposer comme étant la source objective des conditions socioéconomiques dégradées et de la brutalité policière. Tous les partis à tous les niveaux de gouvernements sont responsables des conditions sociales qui sévissent dans les quartiers défavorisés de Montréal et, de manière plus générale, sont responsables de la pire crise économique qui frappe le système capitaliste depuis 1929 et de la dégradation générale des conditions sociales. Le fait qu’un jeune sans défense ait été tué par la police et que la tentative, par le gouvernement, de blanchir celle-ci est en train d’échouer due à la colère populaire est le reflet de profonds changement objectifs et de la montée croissante des tensions entre les travailleurs et l’élite dirigeante. | |
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