Un film de Capa montre comment Alain Juillet, ex de la DGSE, a suivi de près l'opération « Noël à Abidjan », qui a viré au fiasco.
Bientôt 500 jours qu'un journaliste français croupit en prison en Côte d'Ivoire. Fasciné par les services spéciaux, à la fois courageux et inconscient, Jean-Paul Ney s'est fourvoyé dans une tentative de coup d'Etat dont il pensait faire le scoop de l'année.
L'opération « Noël à Abidjan » a viré au fiasco. La chaîne Planète diffuse une enquête accablante de Capa sur son déroulement, suivi de près par les services de renseignements français, notamment le responsable de l'Intelligence économique, Alain Juillet. Récit.
Certaines coïncidences stimulent la curiosité. Mercredi 22 avril, Alain Juillet confirme au Point son départ du poste de Haut responsable en charge l'Intelligence économique. Cette annonce « officielle » est ainsi justifiée par l'intéressé :
« Avant même l'élection du président Sarkozy, j'avais indiqué que la fonction que j'occupe depuis décembre 2003 doit évoluer, sans doute en changeant les structures. Une décision en ce sens a été prise et je n'attends que le décret mettant fin à mes fonctions. »
Coïncidence, le soir même, Planète diffuse une longue (1h49) enquête de l'agence Capa sur l'opération « Noël à Abidjan » où plusieurs figures du renseignement français -dont Alain Juillet- sont mises en cause.
Jean-Paul Ney, journaliste le jour, aventurier la nuit…
L'affaire n'a pas fait grand bruit. Elle vaut pourtant à Jean-Paul Ney, 32 ans, d'être incarcéré à la MACA (maison d'arrêt et de correction d'Abidjan) depuis le 27 décembre 2007, date de son arrestation par le Cecos (Centre de commandement des opérations de sécurité).
Le régime de Laurent Gbagbo estime avoir à faire à une tentative de coup d'Etat, dont Ney serait l'un des protagonistes. Le tout, sous la houlette d'une petite troupe de mercenaires français. En pleine phase de normalisation des relations franco-ivoiriennes, l'affaire fait désordre.
D'autant que Jean-Paul Ney a le profil parfait du journaliste barbouzard. Fasciné par les forces spéciales, auteur de plusieurs ouvrages sur le terrorisme, les commandos, le FBI et la cybercriminalité, ce photographe free-lance est connu dans les rédactions pour ses coups souvent tordus. A tel point que même Reporters sans frontières prend ses distances.
Le film des préparatifs avec un « agent » de la DGSE
Comme le montre l'enquête de Capa, la réalité est plus complexe. Jean-Paul Ney a bien suivi les préparatifs d'un « coup », dans lequel est impliqué le sergent IB, Ibrahim Coulibaly, ex-rebelle ivoirien réfugié au Bénin. Dans les images tournées par Ney, le sergent IB apparaît au côté d'un homme qui se présente comme étant de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure). Cet homme, Jean-François Cazé, est le stratège du coup d'Etat, son organisateur en chef. (Voir la vidéo)
Dans les semaines qui suivent l'échec de « Noël à Abidjan », Jean-François Cazé approche à plusieurs reprises les journalistes de Capa pour médiatiser l'affaire en accablant Jean-Paul Ney. Libre de ses faits et gestes, vivant à Paris, Cazé agit, en apparence, pour le compte des Ivoiriens. Mais, il a aussi eu de très nombreux contacts avec des officiels français.
L'enquête des journalistes ne conclut pas de manière définitive sur la nature du coup. S'agit-il :
- D'une tentative française de coup d'Etat contre le régime Gbagbo ?
- D'un contre-coup d'Etat pour sauver le même Laurent Gbagbo ?
- Ou encore d'une vaste escroquerie pour plumer quelques opposants africains et/ou Gbagbo ?
Dans cet imbroglio, Jean-Paul Ney affirme aussi qu'il a été balancé aux Ivoiriens par Jean-François Cazé. (Voir la vidéo)
Des commanditaires mystérieux, mais certains responsables français sont au courant
Quant à l'identité des commanditaires de ce « coup », elle reste tout aussi floue. Dans le documentaire, un M. Rouge et un M. Kaki sont désignés comme étant les officiers traitants réguliers de Jean-François Cazé. D'anciens officiers du renseignement français, à qui Cazé rapporte en permanence l'évolution de la situation. Ils ne sont pas nommés dans le film, mais sont facilement identifiables.
L'un de ces deux « traitants » -en l'occurrence M. Rouge- est… Alain Juillet. Jean-Paul Ney l'a affirmé le 23 mars 2009, sur LCI, lors d'un entretien par téléphone, en direct depuis la Maca :
« Je pense qu'on m'a oublié pendant un an. Je n'en veux à personne. Je pense que c'était très compliqué de démêler les fils, c'est un sac de nœuds, un panier de crabes. Il y a une équipe d'une chaîne concurrente qu'on ne va pas citer qui est en train de préparer un documentaire depuis un an.
« Le Français qui m'a accompagné ici, le mercenaire Jean-François Cazé, était en rapport constant avec Alain Juillet, qui est l'ancien haut responsable de l'Intelligence économique et il y a un réseau qui a monté quelque chose. Et je pense que ce Jean-François Cazé, ce mercenaire, a pris de l'argent à Ibrahim Coulibaly, il a pris de l'argent à Laurent Gbagbo aussi… »
Alain Juillet (ex-directeur du renseignement et donc numéro 2 de la DGSE) dément toute responsabilité dans cette affaire. Il nous a répondu ainsi à la question « quelles sont les raisons de votre départ de votre poste ? celui-ci a-t-il un lien avec l'affaire Jean-Paul Ney ? » :
« C'est complètement absurde et je ne sais pas qui a pu lancer une pareille stupidité. Il suffit de savoir comment s'est préparé depuis des mois mon remplacement dans le cadre d'une modification de la structure de ma mission d'intelligence économique pour le comprendre. »
D'autres haut fonctionnaires français, notamment des diplomates en poste en Côte-d'Ivoire, ont su, bien avant l'arrestation de Jean-Paul Ney, que d'étranges préparatifs allaient animer ce Noël 2007 à Abidjan. Où l'on voit que les pieds nickelés ne sont pas forcément ceux que l'on imagine. Quant à Jean-Paul Ney, il attend toujours sa remise en liberté, suspendue au bon vouloir des relations franco-ivoiriennes.
► Manipulations sous haute tension - Documentaire de Jean-Paul Billault, Emmanuel Razavi et Jean-Pierre Canet, Planète - Rediffusion vendredi 24 avril à 13h35, jeudi 30 avril à 13h30, lundi 4 mai à 22h15, mardi 12 mai à 13h45, samedi 16 mai à 14 heures.
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