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Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse continueront de glorifier le chasseur.










Monday, April 27, 2009

Michel Rocard : « La télé, c'est la mort de la démocratie »


La presse et la crise, c'est le thème de l'entretien accordé par Michel Rocard à Lyon Capitale (entretien paru dans le numéro d'avril de Lyon Capitale). À l'heure de son départ à la retraite, le très « pédagogique » ancien Premier ministre, qui se décrit pourtant comme un « optimiste congénital et combatif », dresse un tableau bien sombre. Selon lui, la télé a tué la démocratie et la crise en sera d'autant plus longue.

Michel Rocard à l'université d'été du PS à la Rochelle le 29 août 2008 (Audrey Cerdan/Rue89)

Longtemps considéré comme un « chouchou » de la presse écrite, vous semblez ne pas avoir réussi à saisir le virage de la télé… Est-cela qui explique vos échecs dans la course à l'Elysée ?

Il importe très peu de considérer les jeux personnels, les jeux de carrière. Le drame c'est que la télé est devenue le média dominant pour fixer les opinions. Et la presse écrite n'a pas su résister en faisant un contrepoids suffisant. Or l'image a des caractéristiques qui ne sont pas celles du texte écrit.

L'image répugne à la complexité, demande du conflictuel, de l'affectif, du dramatique, et sûrement pas du complexe, du sociologique et de l'explicatif. L'image ne sait pas aider une pensée sur le long terme. Il faut de l'événementiel. Du coup, dans notre société, on ne réfléchit jamais à plus de quelques semaines. Et ça c'est tragique. La mort de la démocratie est là ! Mais peu importe qu'ils disent du bien ou du mal de tel ou tel homme politique, c'est un détail.

Dans ces conditions, un nouveau Rocard aurait du mal à s'imposer…

Si vous personnalisez, on ne va plus du tout se comprendre. Le champ politique maintenant par choix médiatique est voué aux gens qui présentent un fort avantage de charisme, homme ou femme. On peut appeler ça des qualités d'ordre théâtral. Tout le système est répulsif à l'idée d'examiner et de présenter les compétences, les choses faites.

C'est un drame absolu. Il est mondial. Il concerne maintenant la totalité des démocraties, et commence à toucher même les dictatures qui voudraient paraître un peu moins brutales. Le professionnalisme est disqualifié, c'est terrible ! Et c'est une des raisons qui font qu'on a du mal à sortir de la crise actuelle.

Un plan de sortie de crise présenté par un gouvernement quelconque - le Français, l'Américain, l'Anglais, l'Allemand… - sera discuté en fonction du combat de l'opposition dans le pays, du charisme du présentateur, et pas beaucoup en fonction de son efficacité potentielle. C'est effrayant.

Les états généraux de la presse peuvent-ils être utiles ?

Ils concernent uniquement la presse écrite que je sache. C'est le petit bout de la lorgnette. Aujourd'hui, ce qui est important, c'est le message de désintellectualisation de la télévision, qui change la façon de penser de nos peuples, les rend sensibles aux problèmes people et casse l'idée que le métier d'homme politique puisse être un métier sérieux. Ça devient un combat de gladiateurs dans un champ clos où l'on admire la performance sportive.

Comment la démocratie peut-elle s'en relever ?

Je ne sais pas. Mais je pense qu'elle est mortellement atteinte. Le système est mondial. Les grandes chaînes de journaux ont des journaux dans 60 pays. Le maléfique M. Murdoch ou le maléfique M. Ranck animent les débats… Ce sont ces deux hommes par exemple qui ont rendu la Grande-Bretagne xénophobe. La Grande-Bretagne a cessé d'être européenne depuis vingt-cinq ans à cause de la canonnade permanente de sa presse. On l'appelle presse bas de gamme, mais c'est elle qui fait l'état d'esprit des électeurs de manière dominante.

Ce système médiatique rend plus difficile la sortie de crise, dites-vous. Passe-t-elle avant tout par une moralisation du système ?

Le drame dans la finance vient d'une perte d'éthique, une détérioration des comportements bancaires. On l'a vu avec les subprimes, avec la tentative de vol qui consiste à cacher les créances douteuses dans des « packages » de créances moins douteuses, pour pouvoir se les vendre, ce qui a infesté tout le système bancaire mondial, alors que les subprimes étaient une crise purement américaine.

On a donc raison de parler de moralisation du système, on en a besoin. Mais ce n'est pas suffisant. Ce sont les règles du jeu elles-mêmes qui nous ont conduits à des déséquilibres insurmontables.

Moraliser la finance ne résoudra donc pas la crise ?

Cela peut aider, car la crise financière est une crise partielle et limitée. Mais malheureusement la crise tape sur des économies fatiguées et anémiées. Nous avions bien avant la crise 15% de travailleurs précaires, plus 8% de chômeurs, plus 5 à 6% de pauvres… Dans tous les pays développés, nos économies étaient déjà incapables d'offrir un travail convenable à un quart de leurs populations actives. C'est énorme ! Cela représente 45 millions de personnes aux Etats-Unis !

On a donc deux crises : à la crise économique, est venue s'ajouter une crise financière, due à autre chose. Or, de la crise économique on ne parle pas. Parce que là, l'explication de l'immoralité ne suffit pas. Il faut reconnaître que les règles du jeu étaient mauvaises. Or elles ont été mises en place par tout un consensus dans lequel il y a 15 prix Nobel, des dizaines de milliers de professeurs d'économie recrutés sur le critère de leur croyance satisfaite dans l'optimalité des marchés.

Bref tout l'appareil économique est voué à cette idée que moins l'Etat régule et mieux on se porte. C'est ça qui nous a « foutus » en l'air ! Le système capitaliste se révèle instable.

Le capitalisme a marché un temps…

Le capitalisme a environ 200 ans : c'est la réconciliation de l'économie de marché, de la société anonyme et de la machine à vapeur. Cela nous amène au XIXe siècle. Il y avait alors une crise tous les dix ans. La dernière, la plus connue, celle de 1929, a fait 40 millions de chômeurs là où il y avait le plein emploi… Et elle a fait élire Hitler. D'où la Seconde Guerre.

A la sortie, tout le monde se dit que le capitalisme est trop instable et l'on a mis en place des régulateurs : les politiques de Keynes, la sécurité sociale - qui est un énorme stabilisateur en dehors du marché - et une politique systématique de hauts salaires pour qu'il y ait une haute consommation.

Cela a marché, vous avez raison, mais uniquement un temps déterminé, de 1945 à 1971. En 1971 rentre le désordre financier suite au décrochage du dollar et de l'or, et se produit cette théorie selon laquelle il ne faut pas que les Etats interviennent car, tout équilibre de marché étant optimal, moins on administre, moins on régule, et mieux on se porte.

Une théorie folle, mais à laquelle tout le monde s'est rallié. C'est une faute intellectuelle planétaire. Elle arrangeait des gens : moins il y a de règles, plus on s'enrichit facilement. Mais toute l'administration économique de la planète a été mise en place, pensée, par des gens qui croyaient ça. La sortie de la crise économique où nous sommes, suppose un nouveau diagnostic scientifique. Pour ça, il faudra des années !

En somme, il faut écouter la gauche…

Gauche et droite n'ont plus beaucoup d'importance au regard de ces enjeux. La droite s'était ralliée très unanimement à la règle de l'optimalité des marchés. La gauche restait réticente. Quand elle était bête, on ne l'écoutait pas, c'était fréquent. Quand elle était intelligente, elle se disait keynésienne, c'est-à-dire qu'elle disait qu'il faudrait garder un minimum de régulation. Mais elle était minoritaire et n'a pas été entendue.

Nous sommes maintenant dans un drame où tout le monde cherche. La résolution du dernier G20, réuni en novembre à l'initiative de Sarkozy, est assez extraordinaire : ils ont signé au fond que les règles du jeu, au moins de la finance, étaient devenues fausses.

Pourquoi Bush a signé ? Parce qu'il était vaincu, son successeur déjà nommé et qu'il ne pouvait que suivre le consensus international. Pourquoi Sarkozy a signé ? Parce que son extrême intelligence l'a amené à comprendre, en une semaine, que toute l'économie qu'il avait apprise dans son milieu reposait sur des paradigmes erronés et que ça ne collait pas. Il a mis une semaine à l'accepter.

Mais la plume, qui l'a tenue ? Gordon Brown, un vieux travailliste ! Lui n'avait adopté que récemment les thèses ultralibérales, sous la pression de son électorat, de l'héritage de Margaret Tatcher et parce que, quand même, pendant 15 ans, on a cru que ça marchait.

Il s'est retourné et a tenu la plume pour décrire les remèdes qu'il fallait mettre en place. La résolution du G20 fait 7 ou 8 pages : c'est le plus dense, le plus précis et le meilleur des textes internationaux officiels depuis Bretton-Woods en 1944.

C'est la part d'espoir ?

Des minorités éclairées ne font pas un système. Le G20 a beaucoup parlé de la finance, c'est bien. Il n'a pas parlé d'économie encore, celle de la production, des salaires, de la distribution, de la consommation, des revenus, des profits…

Autrement dit mon pronostic sur la crise, c'est : un, elle va être longue, parce que les effets de la crise financière sur l'économie commencent à peine à se faire sentir. Nous étions en récession en 2008 pour des raisons proprement macro-économiques commencées avant. Le contrechoc de la finance sur l'économie ne s'est fait sentir qu'en décembre dernier, c'est tout récent ! Il commence, on en a pour des années.

Deux, dans la grande crise de 1929-1932 qui a fait Hitler, toutes les puissances publiques sont allées à contretemps. Toutes les décisions nationales ou internationales ont été mauvaises, ou aggravantes : Hoover aux États-Unis, Pierre Laval en France avec la déflation. C'est un avantage énorme et un optimisme formidable que la communauté internationale ait cette fois plutôt manifesté de l'intelligence que de la sottise, et que ses premières réactions aillent dans le bon sens.

Combien de temps durera la crise ?

Personne ne peut savoir. Il faut probablement deux ou trois ans pour que se reconstitue un équilibre de niveau inférieur entre une offre, une demande et une capacité de production qui tourne. Et puis qu'on redémarre.

Quel est le risque que nous encourons si nous ne parvenons pas à réformer le système ?

Un historien anglais nommé Toynbee s'était essayé à dénombrer le nombre de civilisations qu'il y avait eu dans l'histoire. Il en dénombrait 27 dont à son avis 17 ou 18 étaient déjà mortes, et dont les restantes étaient en train de fusionner dans une vaste civilisation technico-occidentale. Le déclin, cela existe. Les échecs de civilisations, cela existe dans l'histoire humaine… Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ? Il faut qu'on y arrive, mais l'enjeu n'est pas petit.

Et qu'est devenu votre rêve d'Etats-Unis d'Europe ?

Ce rêve a été tué par l'arrivée de la Grande-Bretagne en 1972. Depuis, elle s'est toujours opposée -et toujours avec succès- à toutes les tentatives de faire émerger une Europe politique. A mon avis, il n'y en aura jamais. Il y a une majorité contre au Conseil de l'Europe actuellement.

Mais l'Europe a en commun son modèle économique et social, c'est-à-dire que la possibilité d'une réponse européenne à la crise existe. Et cela peut suffire à aider, avec les Etats-Unis s'ils acceptent, à sortir de la crise et donc à redonner une formidable identité à l'Europe. Mais l'Europe diplomatique et militaire, c'est mort.

Comment recréer une utopie européenne ?

Je suis en train de le faire en vous parlant ainsi. L'espoir c'est que l'Europe, qui a quand même le meilleur modèle économique et social, arrive non seulement à le préserver, mais à en faire la base de redémarrage d'une économie mondiale perturbée.

C'est un espoir européen fou. Mais les Français sont dans la mythologie : ils pensent qu'on ne fait de la politique que lorsque l'on parle des armées et de la diplomatie. Ce n'est pas vrai. Il va falloir s'occuper d'économie et considérer que c'est de la grande politique.

Vous avez adhéré à la SFIO en 1949, un parti qui avait alors 60 000 membres, dont selon vous « la moitié de conseillers municipaux et le reste de curieux. » Et le PS, dans quel état est-il aujourd'hui ?

Il est un peu plus gros. Il n'a que moyennement changé, mais il est toujours là, à 104 ans.

Le poids des élus locaux y est toujours très fort… Que pensez-vous de l'influence qu'exerce au PS par exemple Gérard Collomb ?

C'est une bonne chose, car ce sont des élus sérieux. On a les deux tiers des mairies de plus de 20 000 habitants. J'aime beaucoup Gérard Collomb, je lui dis bravo, parce que c'est un bon maire. Mais enfin, n'en faites pas un symbole. On a 10 000 maires de villes et de bourgs !

Le PS est-il mieux armé intellectuellement ?

Il est mieux enraciné sociologiquement. Intellectuellement, ce n'est pas sûr, car c'est un parti où le débat est mort.

Vous étiez très critique sur la gestion des 35 heures par Martine Aubry. Comment jugez-vous ses premiers pas au PS ?

Elle fait un parcours pas mal. Mais avant que le parti soit redevenu une force de proposition intellectuelle, Martine a du boulot ! Je pense qu'elle le sait, donc je ne suis pas trop pessimiste. Elle a les outils, et peut-être même les forces, pour y arriver.

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