À Monsieur Nicolas Sarkozy, Président de la République française.
Monsieur le Président de la République, J’avais pris naguère la liberté de vous alerter sur le cas de Thomas-Alexandre Dumas dit le général Dumas en vous demandant de lui attribuer la Légion d’honneur à titre posthume.
Vous avez bien voulu répondre à cette requête par courrier en date du 23 octobre 2008 par lequel, sans écarter explicitement cette demande, déjà formulée à mon initiative, et sans succès, auprès de Monsieur Jacques Chirac, président de la République française, vous rappelez que « Le code de la Légion d’honneur réserve désormais, dans le mois qui suit leur décès aux soldats morts au combat » les décorations à titre posthume.
Ces dispositions, prévues par le Décret n° 81-998 du 9 novembre 1981 art. 1 (Journal Officiel du 11 novembre 1981) ont été effectivement ajoutées par votre prédécesseur, Monsieur François Mitterrand.
Elles ne me paraissent pas, cependant, s’appliquer exactement au cas d’espèce. Je me permets à cet égard de rappeler que l’article 3 du code dispose que « Le Président de la République est grand maître de l'ordre. Il statue comme tel, en dernier ressort, sur toutes questions concernant l'ordre.
Il prend la présidence du conseil de l'ordre quand il le juge utile. » Outre ce pouvoir, le code de la Légion d’honneur peut être réformé par décret du Président de la République. Tel fut le cas récemment pour l’attribution de la Légion d’Honneur aux anciens Premiers ministres.
Vous avez donc toute latitude, Monsieur le Président de la République, d’interpréter le code de la Légion d’Honneur et s’il ne paraît pas adapté à tous les cas de figure, de le réformer par décret.
J’ai noté avec satisfaction qu’il est inutile de vous rappeler les mérites du général Thomas-Alexandre Davy de La Pailleterie dit Alexandre Dumas puisque vous écrivez dans votre courrier qu’il était « un ardent républicain, encore trop peu connu des Français» ; que l’œuvre de Driss Sans Arcidet qui vient d’être inaugurée, à mon initiative, relevez-vous, place du général-Catroux à Paris «mieux qu’une décoration […] rappellera à tous ce que la France doit au général Dumas »
Vous vous réjouissez que, par l’installation de ce monument « s’efface ainsi l’affront fait à sa mémoire en 1943 » et qu’on rende ainsi hommage « à l’un des plus grands hommes que la Caraïbe a donnés à la France.»
Si je me félicite, comme vous, qu’une œuvre monumentale à la mémoire du général Dumas, réalisée, c’est vrai, à mon initiative et après sept années de combat opiniâtre, et financée par la ville de Paris, orne désormais une place de Paris, les amis du général Dumas, chaque jour plus nombreux, apprécieraient que l’État s’engage significativement pour permettre au général Dumas de retrouver sa place dans la mémoire populaire.
S’ils ont salué, à l’inauguration, la présence de Monsieur Yazid Sabeg, commissaire à la diversité et à l’Egalité des Chances, qui avait répondu à leur invitation, les amis du général Dumas n’ont pas eu le plaisir, en revanche, d’y croiser aucun membre du Gouvernement.
Et les mêmes fonctionnaires du ministère de la Culture, qui avaient refusé, en 2006, d’inscrire le bicentenaire de la mort du général Dumas sur la liste des commémorations nationales ont refusé, en 2009, la moindre participation de l’État à l’organisation de cette journée historique.
On pourrait y voir comme une divergence profonde par rapport au sens de votre lettre. Il me semble donc que si la France a une « dette », comme vous le dites, vis-à-vis du général Dumas, rien ne peut se substituer à un geste fort du Chef de l’État pour s’en acquitter.
Et le plus beau geste serait de faire en sorte que le général Dumas figure dans l’ordre national de la Légion d’honneur.
Cela nous semble possible de deux manières. Soit à la faveur un décret modificatif du code pour reconnaître que la Légion d’Honneur peut être, à titre exceptionnel, attribuée à titre posthume à des personnes qui avaient qualité pour faire partie de l’ordre, mais que les préjugés ou une réglementation contraire aux droits de l’homme ont manifestement écartées de manière injuste.
Vous ne pouvez ignorer que si Alexandre Dumas est le seul général de l’histoire de France à avoir été privé de cette décoration, c’est à cause de la couleur de sa peau et du fait qu’il était né esclave, fils d’esclave.
Vous ne pouvez ignorer que l’ordre de la légion d’Honneur a été créé le 19 mai 1802 et l’esclavage rétabli le lendemain, que les militaires « noirs » et « de couleur » furent bannis de l’armée française et assignés à résidence par deux arrêtés consulaires secrets du 29 mai 1802.
Vous ne pouvez ignorer que les « nègres et autres gens de couleur » furent interdits à l’entrée du territoire par un texte de juillet 1802.
Vous ne pouvez ignorer qu’une circulaire du 8 janvier 1803 proscrivit les mariages dits « mixtes ».
Je pense donc que vous admettrez que, dans un pareil contexte, il était peu probable que la légion d’honneur fût attribuée au général Dumas, qui pourtant, la méritait plus que tout autre.
Ce serait faire honneur à l’ordre et lui donner tout son sens que d’y admettre enfin le général Dumas. C’est d’ailleurs un grand chancelier, le général Février, qui fut à l’origine du premier monument, abattu par les collaborateurs en 1943.
Les récentes recherches que j’ai pu mener ouvrent une autre voie. Le général Dumas avait reçu en 1798 un sabre d’honneur du général Bonaparte.
C’était au moment de la prise d’Alexandrie. Il en fait mention dans un rapport de captivité que j’ai récemment publié, dont je vous ai adressé un exemplaire (Le Diable noir) et dont l’original est conservé au musée de Villers-Cotterêts.
Au moment de la création de l’ordre, tout titulaire d’un sabre d’honneur y était admis de droit. Ainsi, le général Dumas était-il membre de droit de la Légion d’Honneur. Mais les circonstances plus haut évoquées l’ont empêché de faire valoir ce droit.
Il me semble que lorsque des textes contraires aux droits de l’homme empêchent un Français de faire valoir ses droits, aucune prescription de peut être opposée à la réparation de cette injustice et que, par conséquent, le grand maître de la Légion d’Honneur peut parfaitement ratifier par décret l’appartenance de plein droit du général Dumas à cet ordre.
Vous avez exprimé à maintes reprises votre attachement à la promotion de la « diversité ». Comment pourrait-on promouvoir la diversité sans réhabiliter les plus grandes figures de cette « diversité » ?
La France est aujourd’hui confrontée à une crise grave outre mer. Comment résoudre cette crise si celui dont vous dites vous-mêmes qu’il est «l’un des plus grands hommes que la Caraïbe a donnés à la France » n’est pas enfin reconnu comme un général français à part entière et, à ce titre, décoré de la Légion d’Honneur comme tous les généraux français l’ont été depuis 1802 ?
Les Antillais réclament justice et ils ont raison. Cette justice n’est pas seulement économique. Elle est aussi symbolique, vous le savez bien. Quel symbole plus fort que de rendre enfin justice à ce brave Antillais jusqu’ici méprisé par la nation ?
Et quelle meilleure manière que de rendre hommage aux esclaves et à leurs descendants que de voir le Chef de l’État se rendre, le 10 mai, place du général-Catroux, muni de la croix symbolique qui honorerait l’un des plus valeureux d’entre eux ?
C’est pourquoi, en vous rappelant qu’une demande similaire vient de vous être transmise par Monsieur le maire de Villers-Cotterêts, où repose le général Dumas, (demande qui ne fait que refléter l’opinion de la France dite profonde, révoltée par le racisme et l’iniquité),
j’ai l’honneur de solliciter, Monsieur le Président de la République, à la faveur d’un nouvel examen de ce dossier, l’admission, par décision posthume ou de plein droit, comme vous voudrez, du général Dumas dans l’ordre national de la Légion d’Honneur et je prie les femmes et les hommes de bonne volonté, sans distinction de couleur, de se joindre à cette requête dictée non seulement par l’humanité, mais par le simple par le bon sens.
Veuillez agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de ma très haute considération.
Claude RIBBE, écrivain, historien, philosophe
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