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Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse continueront de glorifier le chasseur.










Saturday, April 25, 2009

L’Amérique latine cordiale mais ferme face à M. Barack Obama

vendredi 24 avril 2009

Sommet des amériques


Moment exceptionnel que ce cinquième Sommet des Amériques qui, réunissant trente-quatre nations (tous les pays de la région sauf Cuba), s’est tenu les 18 et 19 avril à Port-of-Spain, dans l’île de Trinité-et-Tobago. Après la rencontre de Mar del Plata (Argentine), en novembre 2005, au cours de laquelle des milliers de manifestants conspuèrent M. George W. Bush tandis que de fortes dissensions agitaient les pays membres, on attendait avec impatience le premier contact du « sous-continent » avec le président Barack Obama.

En ce sens, les attentes n’ont pas été déçues, la nouvelle administration des Etats-Unis opérant une franche rupture avec la condescendance, l’arrogance et l’interventionnisme de l’ère Bush. L’ambiance a été cordiale – y compris avec des pays comme le Venezuela, la Bolivie ou l’Equateur. On retiendra l’annonce faite par M. Hugo Chávez d’un rétablissement des relations diplomatiques avec Washington, suspendues en septembre 2008 par solidarité avec la Bolivie, qui avait elle-même expulsé l’ambassadeur américain pour ses liens avec une opposition alors en pleine tentative de déstabilisation de M. Evo Morales.

Toutefois, malgré l’a priori favorable manifesté par tous à l’égard du nouveau locataire de la Maison Blanche, la première puissance mondiale n’a pu imposer son agenda.

Cuba, le seul pays non invité, fut en effet très présent. L’ensemble des nations latino-américaines avaient, avant même le Sommet, insisté sur l’importance d’une normalisation des relations entre les Etats-Unis et l’île. Conscient de l’importance de cette demande pour la réussite de sa tentative de « dégel », M. Obama, dès le 13 avril, s’était employé à déminer le terrain en annonçant la levée de toutes les restrictions sur les voyages et les transferts d’argent des Cubano-Américains vers leur pays d’origine, revenant ainsi sur les mesures imposées par M. Bush en 2004. En revanche, il ne paraît pas encore disposé à lever l’embargo économique, commercial et financier imposé à Cuba depuis 1962.

Dès le 16 avril (date anniversaire du débarquement de la baie des Cochons en 1961), marquant leur solidarité avec La Havane, les membres de l’Alternative bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (ALBA) (1), réunis à Cumaná (Venezuela), avaient défini une stratégie commune face à un projet de déclaration finale, en cours d’élaboration depuis deux ans, jugé insuffisant et inacceptable. A cette occasion, ils ont d’ailleurs approuvé et mis en œuvre (avec l’Equateur) le Système unique de compensation régional des paiements (Sucre), une monnaie virtuelle (et éventuellement physique à l’avenir) destinée à échapper au rôle hégémonique du dollar (2).

De fait, il n’y a eu aucun consensus sur le document final du Sommet des Amériques – la « Déclaration d’engagement de Port-of-Spain » –, les membres de l’ALBA refusant, avec le soutien unanime de l’ensemble des autres pays latino-américains et caraïbes, de cautionner un texte qui ne demandait pas la levée de l’embargo imposé à Cuba. Les présidents ont annulé la cérémonie de signature de la déclaration finale et, pour sauver la face, le texte n’a été paraphé que par M. Patrick Manning, premier ministre du pays d’accueil et, à ce titre, président du Sommet.

Passés généralement sous silence par les observateurs, d’autres sujets de dissension expliquent également ce refus : l’absence de perspective claire face à la crise économique et financière déclenchée par « les banquiers aux yeux bleus », selon l’expression du président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva ; et, pour l’ALBA, le refus de laisser au seul G20 (dont font partie l’Argentine, le Brésil, le Canada, les Etats-Unis et le Mexique) le privilège de décider des grandes affaires du monde.

Lors de la clôture du Sommet, le ministre des affaires étrangères du Brésil, M. Celso Amorim, a assuré que le président Lula jugeait « très difficile qu’un nouveau Sommet des Amériques ait lieu sans la présence de Cuba (3) ».

Or, après les mesures d’assouplissement prises par l’administration Obama à l’égard de l’île, les Etats-Unis semblent considérer que la balle est maintenant dans le camp de Cuba. Le 16 avril, la secrétaire d’Etat Hillary Clinton demandait la réciprocité et « pressait instamment Cuba de libérer les prisonniers politiques, de permettre le libre flux d’information et la liberté de réunion ».

A La Havane, le président Raúl Castro a déclaré que Cuba était disposé à négocier avec les Etats-Unis, « en terrain neutre, en conditions d’égalité et sans conditions ».

On s’accordera à reconnaître que M. Obama n’a pas forcément les mains libres – la suspension de l’embargo implique un débat au Congrès, sous pression des exilés cubains affaiblis, mais toujours vivants ! – et que les relations entre les deux pays ne peuvent pas changer du jour au lendemain. La Havane, par ailleurs, ne souhaite pas précipiter le mouvement.

Néanmoins, la demande de l’ensemble des pays latino-américains (y compris Cuba) demeure parfaitement légitime : l’embargo doit être levé par Washington de manière « immédiate, unilatérale et inconditionnelle ». Dans cette affaire, avatar d’une guerre froide terminée depuis longtemps, l’agresseur a toujours été la Maison-Blanche. Dix-sept résolutions successives approuvées par l’Assemblée générale des Nations unies ont condamné cet embargo.

Quant à la volonté inébranlable du gouvernement américain, au nom des « droits de l’homme », de contraindre Cuba à renoncer à son système politique – quoi qu’on puisse penser de celui-ci –, elle fait sourire : c’est la Chine – parti unique ; contrôle total de l’information ; mille dix exécutions capitales en 2006 – qui, devenue le premier détenteur de bons du Trésor américain, finance une bonne partie du déficit des Etats-Unis.

Maurice Lemoine

(1) Bolivie, Cuba, La Dominique, Honduras, Nicaragua et Venezuela. Le Sommet de Cumana a entériné l’adhésion d’un nouveau membre : Saint-Vincent et les Grenadines, Etat anglophone (120 000 habitants) des Petites Antilles.

(2) Lire Bernard Cassen, « Le Sucre contre le FMI », La valise diplomatique, décembre 2008.

(3) BBC Mundo, 18 avril 2009.


  • A lire dans notre édition de mai 2009 (en kiosques à partir du 29 avril), « Cette Amérique latine qui assume l’affrontement », par Maurice Lemoine.
  • « Washington a-t-il perdu l’Amérique latine ? », par Janette Habel, décembre 2007.
    Depuis une décennie, les Etats-Unis ont essuyé de nombreux revers dans cette partie du monde. Le rejet des politiques néolibérales a porté au pouvoir des coalitions de gauche, radicales ou modérées, marquant à des degrés divers leur indépendance.
  • « Banque du Sud contre banque mondiale », par Eric Toussaint et Damien Millet, juin 2007.
    Remettant en cause la domination des pays du Nord, six Etats d’Amérique latine ont décidé de créer une Banque du Sud et de prendre leurs distances vis-à-vis de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international et de la Banque interaméricaine de développement afin de retrouver la maîtrise de leurs finances.
  • « Nationalisations en Amérique latine », La valise diplomatique, 18 mai 2006.
    Le 1er mai 2006, M. Morales a nationalisé les hydrocarbures. A compter de cette date, les 26 compagnies étrangères — dont Petrobras (Brésil), Repsol (Espagne), Total (France), ExxonMobil (Etats-Unis) — présentes dans le pays passent sous le contrôle de la compagnie nationale YPFB (Yacimientos Petrolíferos Fiscales Bolivianos).

Toujours disponible :

  • « Amérique latine rebelle », Manière de voir n° 90, décembre 2006-janvier 2007.
    Une vague d’élections a porté la gauche au pouvoir dans nombre de pays d’Amérique latine. Les espoirs de réformes sont immenses au sein d’une population qui attend depuis si longtemps.

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