Par Ann Talbot | |
Le 20 aout 2009 | |
La visite en Afrique de la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton l’a conduite, durant onze jours, à travers sept pays du continent. Succédant au voyage du président Obama au Ghana, sa visite souligne l’objectif de son administration de raffermir la position des Etats-Unis en Afrique face au défi posé par leurs rivaux. « C’est d’ici que provient son sang », a-t-elle mentionné, répétant les paroles d’Obama au Ghana lorsqu’il a souligné son ascendance africaine. Elle ferma les yeux sur les conséquences de siècles de dégradation et de pillage pour blâmer la pauvreté actuelle de l’Afrique, comme il est répété de plus en plus à la manière d’une litanie, sur le manque de « bonne gouvernance ». Elle n’a pas reconnu le rôle des Etats-Unis dans l’établissement au pouvoir des régimes corrompus qui gouvernent l’Afrique aujourd’hui. Pas plus qu’elle n’a fait référence au rôle joué par des sociétés basées aux Etats-Unis qui garniraient les comptes en Suisse de politiciens et généraux africains. Elle a condamné le viol qui est utilisé comme arme de guerre dans la République démocratique du Congo (RDC) et a offert un montant symbolique de 17 millions de dollars pour ses victimes lorsqu’elle a visité Goma à l’est de la RDC. Mais la situation que confrontent les femmes et les filles aujourd’hui est le résultat direct de la décision du gouvernement américain de soutenir secrètement l’invasion ougandaise et rwandaise de la RDC en 1998, qui a complètement déstabilisé cette région riche en minéraux. Cette guerre coûta la vie à 5,4 millions de personnes et fit des millions de réfugiés. Les leaders de l’Ouganda et du Rwanda furent désignés par le président Bill Clinton comme faisant partie des chefs de la renaissance africaine. Leurs mandataires sont responsables des atrocités mêmes qu’elle a condamnées. Des atrocités similaires ont été perpétrées par l’armée de la RDC, qui est soutenue par les Nations Unies et les Etats-Unis. Washington continue d’appuyer des régimes qui commettent des crimes contre les civils. Au Kenya, Clinton a rencontré le président somalien Sheikh Sharif Ahmed et lui a promis de l’aide militaire supplémentaire et de la formation pour le gouvernement fédéral de transition (GFT). Des centaines de milliers de civils se trouvent présentement dans des camps de réfugiés qui s’étendent à l’extérieur de Mogadiscio ou au Kenya, car la ville a été la cible de bombardements dans le conflit opposant le gouvernement aux insurgés islamiques d’Al-Shabaab. Il s’agit actuellement de la plus importante crise humanitaire en Afrique. La réaction du régime Obama a été d’augmenter son soutien pour le GFT et d’envoyer davantage d’armement dans la région. Le but de la politique étrangère américaine est de prendre le contrôle de la vitale et stratégique Corne de l’Afrique, à proximité de laquelle passent certaines des grandes voies maritimes du monde. Mais ce qui n’a pas été mentionné par Clinton lors de sa visite en Afrique est le nouveau commandement militaire américain pour l’Afrique, Africom, mis sur pied sous l’administration Bush. Par le passé, les opérations militaires américaines en Afrique étaient divisées sous les commandements du Moyen-Orient et de l’Europe. La décision d’établir un commandement africain séparé signala une intensification de l’intérêt stratégique des Etats-Unis en Afrique. Actuellement, les quartiers généraux d’Africom se situent en Allemagne. L’objectif est de dénicher une base sur le continent africain, mais l’administration Bush n’a pu persuader aucun pays africain de lui offrir les installations nécessaires. Aucun régime africain n’était prêt à risquer une si étroite association avec l’armée américaine après l’invasion de l’Irak et de l’Afghanistan. Clinton ne pouvait soulever publiquement une question politique aussi sensible. Cependant, conjointement à la visite de Clinton, Africom avait mis en place un programme d’activités, y compris la visite du croiseur USS Arleigh Burke à Dar es Salaam en Tanzanie et un séminaire sur la « santé et sécurité » à Lusaka en Zambie. Un récent rapport interne du Bureau de l’inspecteur général du département d’Etat a souligné quelles étaient les différences entre le financement des activités diplomatiques en Afrique et celles d’Africom. « L’armée gère des ressources auxquelles le département d’Etat ne peut que rêver », affirme le rapport. Une équipe de renseignement militaire était financée à hauteur de 600 000 dollars pour un projet en Somalie alors qu’une équipe du département d’Etat ne bénéficiait que de 30 000 dollars. Le rapport concluait que certaines de leurs responsabilités devraient être passées à l’armée. La militarisation de la politique étrangère américaine en Afrique reflète l’incapacité des Etats-Unis à gérer de manière purement économique la compétition à laquelle ils font face. La Chine vient tout juste de dépasser les Etats-Unis pour devenir le principal partenaire commercial de l’Afrique. Le commerce des Etats-Unis avec l’Afrique s’élevait à 104 milliards de dollars en 2008, soit une augmentation de 28 pour cent, mais le commerce de la Chine avec l’Afrique a grimpé à 107 milliards de dollars, une multiplication par dix au cours de la dernière décennie. De plus, le président russe Medvedev a récemment visité l’Angola et a obtenu de nombreux contrats lucratifs pour les sociétés russes. Les pays auxquels on fait souvent référence par l’appellation BRICSA (le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud), qui sont les plus importantes économies émergentes, sont de plus en plus prêts à collaborer malgré les rivalités qui les divisent. En réponse, les Etats-Unis ont voulu démontrer qu’ils pouvaient encore faire usage de la puissance qu’ils exercent au moyen des institutions financières internationales, comme le FMI et le Conseil de sécurité de l’ONU, pour rappeler les gouvernements africains à l’ordre. La République démocratique du Congo (RDC) a récemment conclu une entente valant 9 milliards de dollars avec la Chine. Celle-ci réalisera de grands projets d’infrastructure en échange de droits sur les ressources minières du pays. Mais le FMI a averti que dans le cas où la RDC allait de l’avant avec cette entente, l’institution serait forcée de revenir sur ses promesses de radiation de la dette du pays. Le gouvernement kenyan a été particulièrement ciblé par Clinton qui a menacé d’utiliser la position des Etats-Unis au Conseil de sécurité de l’ONU pour faire amener des hommes d’affaires et politiques devant la Cour criminelle internationale en rapport avec les événements violents qui ont suivi les dernières élections où 1500 personnes ont été tuées. Ses remarques sur les origines d’Obama furent faites au Kenya. Elle a déclaré devant des étudiants universitaires que son message était brutal, mais « présenté de façon plaisante ». Au Nigeria qui, contrairement au Kenya, est un des principaux producteurs de pétrole de l’Afrique, ses appels pour une bonne gouvernance ont été présentés avec plus de modération. Et de tous les pays africains, c’est le Liberia qui a reçu le meilleur traitement. Sa dette a été réduite de 1,2 milliard, au contraire de la RDC et de la Côte d’Ivoire. Cela malgré le fait que la présidente du Liberia Ellen Johnson Sirleaf ait admis qu’elle avait soutenu le régime de Charles Taylor, qui est actuellement devant la cour de La Haye, accusé de crimes de guerre. La corruption pour laquelle le Liberia était bien connu sous Taylor continue de plus belle sous Sirleaf. On dit que des membres de son gouvernement ont fait fortune avec le registre du pavillon de complaisance libérien et les pots-de-vin des aciers Tata de l’Inde et de Delta Mines Consolidated d’Afrique du Sud. Sirleaf a échappé à la critique parce qu’elle a servilement soutenu la politique des Etats-Unis en Afrique. Depuis que les marines américaines ont envahi le Liberia en 2003 pour renverser le régime Taylor, le pays est dans les faits une colonie américaine. Le voyage de Clinton a aussi été l’occasion d’une discussion sur la loi américaine sur la croissance et les opportunités en Afrique (AGOA, African Growth and Opportunity Act) avec des hommes d’affaires africains. L’AGOA devait prétendument ouvrir le marché américain à toute une gamme de produits africains. En pratique, les marchés américains ne se sont pas ouverts. Toutefois, l’intérêt pour les terres arables africaines augmente en même temps que le prix des aliments et que la demande potentielle pour les biocarburants. La Corée du Sud et l’Arabie saoudite ont toutes les deux acheté de gigantesques terres. C’est en Afrique du Sud que Clinton a insisté sur les avantages potentiels de l’AGOA, ce pays ayant le commerce le plus diversifié d’Afrique. Elle espérait qu’en faisant miroiter un plus grand accès au marché américain, elle pourrait provoquer une division entre l’Afrique du Sud et les autres économies émergentes. Clinton a insisté que l’Afrique du Sud « a une position unique de promouvoir sa propre trajectoire économique et de propulser la croissance économique du continent africain dans son ensemble », pour autant que le gouvernement Zuma s’en tienne à la politique du libre marché. Malgré la carotte qu’elle a agitée devant Zuma, la réalité est que le pétrole demeure la principale préoccupation commerciale des Etats-Unis en Afrique. Le marché américain n’est pas près de sortir l’économie sud-africaine de sa léthargie. Près de 80 pour cent du commerce entre les Etats-Unis et l’Afrique est le fait du pétrole. La récente augmentation de valeur des échanges commerciaux avec ce continent est principalement due à l’augmentation du prix du pétrole. Tout compte fait, les importations de pétrole africain aux Etats-Unis ont presque doublé depuis 2002. En 2006, 22 pour cent des importations de brut aux Etats-Unis provenaient de l’Afrique, c’est-à-dire plus que du Moyen-Orient. C’est pour cela que Clinton était enthousiaste lorsqu’elle est arrivée en Angola, un pays gouverné d’une main de fer par le régime dos Santos. Alors que le Nigeria est maintenant plus instable, le pétrole de l’Angola a gagné en importance dans les importations américaines de pétrole. En juin de cette année, ce pays a dépassé le Nigeria pour devenir le plus important producteur de pétrole en Afrique. Angola exporte plus de pétrole en Chine que ne le fait l’Arabie saoudite. L’an dernier, l’économie de cet ancien terrain de combat de la Guerre froide a crû de 27 pour cent, presque entièrement à cause du pétrole. Les exportations de pétrole comptent pour plus de 90 pour cent des revenus du gouvernement angolais. Produisant 550 000 barils par jour, l’Angola est actuellement le sixième exportateur de pétrole brut vers les Etats-Unis, comptant pour 7 pour cent de toutes ses importations. Malgré cela, environ les deux tiers de la population de l’Angola doit vivre avec moins de deux dollars par jour. La visite de Clinton était une tentative d’utiliser la supposée popularité d’Obama en Afrique pour regagner un peu du terrain perdu lors des années catastrophiques du régime Bush. Mais le changement de l’occupant de la Maison-Blanche ne signifie pas que la politique américaine envers l’Afrique soit changée. La domination de l’Afrique reste une des priorités des Etats-Unis et l’administration Obama cherche à développer les moyens politiques, économiques et militaires pour réaliser cet objectif stratégique.
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