Ce lundi, des milliers de personnes sont attendues sur la Place des Nations pour commémorer la Shoah à l'invitation des communautés juives de Suisse. Selon le calendrier hébraïque, le 20 avril marque le jour du souvenir de la Shoah. Chaque année depuis 1959, les sirènes retentissent et les Israéliens se figent pendant de longues minutes. Ce 20 avril 2009 coïncidera avec l'ouverture de la conférence de suivi de Durban. Raison pour laquelle les communautés juives ont voulu donner à cette journée un retentissement particulier. Plusieurs rescapés de la Shoah seront présents sur la Place des Nations lundi dès 18h30, à commencer par le Prix Nobel de la paix Elie Wiesel.1 «L'occasion de rappeler de manière forte que, des formes de racisme, comme l'antisémitisme, peuvent conduire aux pires crimes contre l'humanité», soulignent les organisateurs.
Mais cette commémoration n'est pas du goût des milieux pro-palestiniens, lesquels organisent une contre-conférence sur le thème de l'instrumentalisation de la mémoire2. Parmi les orateurs, l'éditeur français Eric Hazan. Cet ancien communiste, chirurgien de formation, qui a notamment officié au Liban, d'où lui vient son soutien indéfectible à la cause palestinienne, a fondé les Editions de la Fabrique. Lesquelles ont notamment publié le controversé L'industrie de l'Holocauste de Norman Finkelstein. Cette petite maison d'éditions a accédé à la notoriété grâce à L'insurrection qui vient3, ce qui a valu au patron de la Fabrique d'être récemment entendu par la police française. Entre deux sollicitations sur l'affaire Coupat, Eric Hazan a répondu à nos questions.
Que reprochez-vous à la commémoration de lundi devant l'ONU?
Eric Hazan: Je n'ai rien contre les commémorations, je dénonce leur exploitation. En l'occurrence, le souvenir de la Shoah est détourné, de telle façon que les critiques contre la politique de l'Etat d'Israël sont assimilées à de l'antisémitisme.
Mais le programme de la cérémonie ne fait aucune référence à Israël.
Ce n'est pas la peine, tant le lien entre la Shoah et Israël s'est imposé dans les esprits. La présence à la tribune de Bernard-Henri Lévy, soutien inconditionnel de l'Etat hébreu, est éloquente. Le philosophe est un membre éminent de l'influent groupe qui, en France, brandit à tout va le génocide juif. Cette forme de terrorisme intellectuel ne vise pas seulement les avocats d'une paix juste au Proche-Orient, qu'ils soient juifs, comme moi, ou non. Dernier exemple en date, les accusations d'antisémitisme portés contre le journaliste d'investigation Pierre Péan pour son livre ravageur contre Bernard Kouchner4. C'est tout ce qu'avait trouvé le ministre des Affaires étrangères pour se défendre, mais Péan a quand même fini par s'écraser.
A Durban, en 2001, le sommet de la société civile avait bel et bien été l'occasion de dérapages antisémites.
Les croix gammées accolées à l'étoile de David et les comparaisons avec la Seconde Guerre mondiale sont une connerie. En revanche, il n'y a rien d'antisémite à affirmer qu'Israël est un Etat qui pratique l'apartheid. Il suffit d'aller sur place pour s'en rendre compte. Les Palestiniens de Cisjordanie et Gaza sont cantonnés dans des bantoustans dirigés par des autorités fantoches, comme autrefois en Afrique du Sud. Ce constat n'est pas celui d'extrémistes, mais de hauts fonctionnaires de l'ONU et de personnalités sud-africaines.
Les conférences de l'ONU contre le racisme sont-elles le meilleur endroit pour faire avancer le droit des Palestiniens?
Après ce qui s'est passé à Gaza, il faut isoler Israël sur la scène internationale. Actuellement, c'est la seule façon de faire payer à ce gouvernement ses crimes. En effet, si la justice internationale n'était pas une plaisanterie, Ehud Olmert, Ehud Barak et Tsipi Livni auraient déjà été inculpés.
Le noeud du conflit israélo-palestinien, c'est un territoire disputé par deux peuples. Vous n'avez pas l'impression de tout mélanger?
Je maintiens l'accusation de racisme. Le conflit ne sera jamais résolu tant que les Palestiniens seront considérés comme des gens qui ne comprennent que la force et non pas comme des êtres humains qui ont autant de droits à vivre sur cette terre. Malheureusement, la société israélienne ne prend pas le chemin de cette révolution culturelle. Elle a élu le gouvernement le plus à droite de l'histoire du pays, avec au poste de ministre des Affaires étrangères l'extrémiste Avigdor Lieberman, un ancien videur de boîte de nuit, qui déclare vouloir mettre dehors tous les Arabes. Le changement ne pourra venir que par des pressions extérieures.
PROPOS RECUEILLIS PAR SIMON PETITE
Note : 1www.yomhashoah09.org.
2Avec Eric Hazan et Marc Ellis, professeur d'histoire juive à l'université de Baylor, Etats-Unis. Lundi à 19h, Uni Mail, salle MS 150. Organisation: Réseau international juif antisioniste et FFIPP-Genève (Faculty for Isreali-Palestinian Peace).
3Cet opus signé par un «comité invisible» est utilisé comme un élément à charge dans l'enquête contre Julien Coupat, soupçonné d'être l'auteur du texte. Le militant est toujours en détention pour le sabotage de lignes du TGV en novembre dernier.
4Le monde selon K s'en prend aux mandats payés par des potentats africains à l'actuel ministre (notre édition du 13 janvier). Il dénonce aussi la vision politique de Kouchner, alignée sur les Etats-Unis de Bush. C'est l'expression de «cosmopolitisme anglo-saxon» utilisée par Péan qui a motivé les accusations d'antisémitisme.
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