Le CRIF a voulu faire du procès Fofana «celui de notre société». Mais selon Guillaume Weill-Raynal, ancien avocat, ses arguments sont trop politiques pour être légalement recevables. Et pourtant....
Pourquoi la polémique qui a suivi le verdict de l’affaire Fofana fait-elle naître un pareil malaise ? D’abord, en raison des circonstances très inhabituelles dans lesquelles l’appel du verdict a été interjeté. Certes, le ministère de la justice peut demander au parquet de faire appel dans une affaire particulière s’il estime que le verdict contrevient aux orientations de sa politique pénale. Mais c'est, en règle générale et très logiquement, après avoir été informé par le parquet lui-même. L’avocat général qui connaît le dossier pour avoir assisté à l’intégralité des débats est en effet le mieux placé pour signaler un éventuel problème à sa hiérarchie, laquelle peut recevoir en retour de la chancellerie toute instruction utile. Rien de tel, en l’espèce, l’avocat général Philippe Bilger ayant au contraire qualifié le verdict d’ « exemplaire ». La décision de faire appel n’aurait donc été prise par la ministre qu’au vu des seules doléances exprimées par l’avocat de la partie civile. Court-circuitage d’autant plus étonnant qu’en raison du huis clos, aucune autre information concrète, à l’exception de rumeurs, ne pouvait venir inspirer cette décision. Le silence du huis clos, nourrissant tous les soupçons, ne garantirait pas non plus la « version » de l’avocat général ? Ce serait bien la première fois que le ministère de la justice accorderait d’emblée plus de crédit aux déclarations de l’avocat d’une des parties qu’à l’avis de ses propres services.
Un deuxième procès injustifié
Mais il y a plus surprenant, encore. Car après tout, l’avocat d’une partie civile n’outrepasse pas son rôle lorsqu’il se fait le porte-parole de la douleur légitime de ses clients, même en débordant sur le terrain politico-médiatique. La ministre a manifestement cédé aussi aux ahurissantes pressions du CRIF, qui, extérieur au dossier, ne s’en est pas moins cru autorisé, du propre aveu de son président Richard Prasquier, à intervenir directement auprès de Michèle Alliot-Marie et de l’Elysée avant même le prononcé du verdict ! Quant aux raisons de fond qui ont motivé la démarche du CRIF et la décision de la ministre, c'est la confusion la plus totale : on a d’abord soutenu que certaines peines, légèrement en deçà de celles requises par l’accusation, étaient scandaleusement indulgentes. Comme si un jury souverain ne disposait d’aucune marge d’appréciation sur les réquisitions du ministère public ! Et qui peut croire sérieusement qu’une condamnation à neuf ans de prison refléterait un laxisme coupable au regard de l’ordre public, là où la peine de dix ans qui avait été réclamée l’aurait suffisamment préservé ? N’importe quel magistrat ou avocat vous confirmera que le parquet ne fait jamais appel pour des écarts aussi ténus, surtout sur un verdict de cour d’assises. On a aussi soutenu que les peines demandées étaient elles-mêmes trop basses. Et Michèle Alliot-Marie de déclarer sans ciller que « certains des accusés les plus engagés dans l’assassinat » risquaient de recouvrer la liberté « dans quelques mois ». Contrevérité flagrante ! Ceux qui ont tué et torturé ne sortiront pas (s’ils sortent…) avant de longues années. Seuls, certains des comparses (et encore, pas tous), n’ayant joué qu’un rôle secondaire dans la séquestration ont effectivement bénéficié de peines plus légères.
Alors pourquoi le CRIF a-t-il mené cette campagne pour demander (et obtenir) un deuxième procès ? La principale raison avancée fut que le huis clos aurait empêché au premier procès de remplir son rôle « pédagogique ». Qu’en termes délicats ces choses-là sont dites. Mais les autres déclarations faites à cette occasion par Richard Prasquier, surtout si on les replace dans le contexte plus large du discours développé par le CRIF depuis plusieurs années, révèlent des intentions moins nobles. Non pas seulement l’instrumentalisation du « cas Fofana » au soutien de la lutte contre l’antisémitisme (ce qui, à l’ère du story telling, ne serait somme toute qu’un péché véniel), mais une instrumentalisation infiniment plus pernicieuse de la lutte contre l’antisémitisme au soutien de combats politiques qui lui sont totalement étrangers, et dont la manifestation à la mémoire d’Ilan Halimi, organisée au soir du 13 juillet sous les fenêtres de la place Vendôme, (où l’on vit fleurir drapeau du Bétar et tracts de la Ligue de défense juive…) constitue l’illustration la plus détestable.
Regrettant, d’abord, que la circonstance aggravante d’antisémitisme n’ait pas été retenue à l’encontre de tous les accusés - « on ne me fera pas croire qu’il n’y avait que trois antisémites dans le gang » - et insinuant au passage que les réquisitions de l’avocat général auraient pu elles-mêmes être entachées d’un soupçon d’antisémitisme, Richard Prasquier a déclaré, par ailleurs, que le huis clos avait « escamoté un certain nombre de caractéristiques qu’il était important que la société française se révèle à elle-même », le procès Fofana étant selon lui, en réalité « celui de notre société ». A l’appui de cette analyse et sans craindre le ridicule, le Président du CRIF a ainsi déploré que la grande manifestation de février 2006, ait « rassemblé surtout des Juifs » (les a-t-il comptés, et sur quels critères ?) alors, poursuit-il, « qu'on attendait un rejet de l'ensemble du peuple de France ». Amalgame grossier. Par une succession de cercles concentriques élargis à l’infini, on passe donc de certains accusés antisémites, à tous les accusés antisémites, à l’avocat général antisémite, à la société et au peuple de France coupables, à tout le moins, de complaisance…
L'antisémitisme, un argument politique
Ce discours, hélas, n’est pas nouveau. Il s’inscrit dans un schéma maintenant bien rodé qui, je le répète, instrumentalise la question de l’antisémitisme bien au-delà de ses enjeux initiaux. En février 2006, un collectif Primo-Europe, avait publié, un petit livre intitulé Ilan Halimi Le canari dans la mine. Cet ouvrage prétendait expliquer l’affaire du gang des barbares par une « analyse globale de la société française »… Le site du CRIF avait, à l’époque, assuré la promo de ce livre en termes très élogieux. On peut y lire que cet assassinat n’est que l’aboutissement d’ « une longue dégradation qui a débuté il y a près de 40 ans » et dont les causes résident dans « la politique étrangère de la France », ses « choix démographiques » et « la responsabilité des médias ». Entendez – car ces thèmes sont développés dans la suite de l’ouvrage – : la « politique arabe » de la France, d’autant plus inféodée aux lobbys pétroliers et donc encline à sacrifier ses juifs, qu’elle est minée par une « économie mixte sclérosée » et « l’absence de vision libérale dynamique » (sic !). Entendez aussi, la politique d’immigration, le métissage des cultures, le « droit-de-l’hommisme », les intellectuels de gauche, les antiracistes et les altermondialistes. Tout y passe, y compris le « service public de l’information », au premier rang duquel, l’AFP, France Inter, et France 2, coupables, selon les auteurs, de véhiculer une vision du conflit du Proche-Orient défavorable à Israël et d’avoir, ce faisant, armé le bras des assassins d’Ilan Halimi. Rien de moins !
Ce petit livre très orienté idéologiquement a fait l’objet d’une réédition très opportune en juin 2009. On le trouvait encore il y a quelques jours en bonne place sur les présentoirs de la FNAC. C’est ce type de discours « pédagogique » que Richard Prasquier regrette visiblement de n’avoir pas vu fleurir à l’occasion du premier procès tenu à huis-clos.
Guillaume Weill-Raynal est un ancien avocat au Barreau de Paris, auteur de Une haine imaginaire et les Nouveaux désinformateurs, aux éditions Armand Colin.
Samedi 01 Août 2009
Guillaume Weill-Raynal - Tribune
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