La question palestinienne est-elle sans appel exclue de l’hémicycle onusien ?
Cette instance n’est-elle rien d’autre qu’un lieu de confrontation entre certains pays arabes et occidentaux ou tout juste un espace où se manifestent tous les exutoires.
Essai de réponse avec Jules Dufour… Le Courrier d’Algérie : Le Conseil de sécurité de l’ONU a accepté mercredi d’avancer au 14 octobre sa réunion mensuelle sur la situation au Proche- Orient afin d’évoquer le rapport Goldstone sur la guerre dans la Bande de Ghaza.
De son côté l’administration américaine estime que « la focalisation des Palestiniens sur le rapport Goldstone n’est pas constructive et risque de nuire au processus de paix », face à ces éléments contradictoires que faut-il penser ?
Jules Dufour : Le rapport Goldstone qui a été rendu public le 15 septembre dernier a été salué comme étant le produit d’un examen et d’une réflexion approfondie des événements qui ont entouré les bombardements aériens et l’invasion terrestre perpétrés par l’armée israélienne au cours de l’opération «Plomb durci» déployée entre le 27 décembre 2008 et le 17 janvier 2009 ainsi que les actions d’attaque ou de riposte du Hamas sur le territoire d’Israël.
Le rapport accuse, notamment, «Israël d’avoir fait un usage disproportionné de la force et violé le droit humanitaire international lors de son offensive dans la bande de Ghaza l’hiver dernier.
«Des actes assimilables à des crimes de guerre et peut-être, dans certaines circonstances, à des crimes contre l’humanité ont été commis par les forces armées israéliennes ».
Pour une rare fois dans l’histoire nous recevons un rapport concernant un conflit armé dont la crédibilité ne peut être questionnée étant donné la notoriété internationale et l’expérience solide du président de la commission d’enquête et de ses membres.
Les premières réactions d’Israël se sont manifestées par un rejet absolu du rapport le qualifiant de partial et de mensonger.
Déjà les condamnations exprimées par nombre d’organismes de protection des droits humains, à travers le monde, avaient amené l’État hébreu à récuser les accusations de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité adressées à son endroit.
Comme dans le passé, Israël se réfugiait encore une fois derrière ses droits à l’autodéfense se considérant assiégé et agressé par les groupes armés palestiniens.
Selon Info Sud Tribune des droits humains, l’ambassadeur israélien a disqualifié un « rapport politique » qui représenterait un « danger pour les démocraties en lutte contre le terrorisme».
(http://www.humanrightsgeneva.info/Washington-torpille-le-rapport,66830)
Quelle lecture faites-vous de cette collusion du silence en Occident?
Très peu d’attention a été porté au rapport en Occident et, en particulier, en Amérique.
Tout a été orchestré de manière à minimiser sa portée, les médias se montrant avares de commentaires sur les suites qui devront normalement lui être données par les instances internationales de justice.
Selon Info Sud Tribune des droits humains « les Européens, divisés, se sont montrés particulièrement discrets.
Au nom de l’UE, la Suède a souligné le sérieux du rapport tout en prenant ses distances avec ses recommandations ».
Il y a lieu de nous interroger sur cette complicité du silence concernant les recommandations de ce rapport.
Pourquoi ne pas lui avoir donné toute l’importance qu’il revêt non seulement en ce qui regarde l’enquête elle-même qui l’a précédée mais aussi en ce qui a trait à sa grande pertinence dans le contexte des processus de rétablissement des institutions et du procès des responsables de massacres ou de tueries commis à l’intérieur des conflits armés?
Il n’y aucun doute que ce rapport prépare fort bien le scénario qui devrait être bâti pour inculper les responsables des guerres livrées par les armées occidentales en Afghanistan et en Irak ou des actions qu’ils n’ont cessé de poser ainsi que le support logistique qu’ils ont apporté dans la préparation des autres conflits armés de longue durée comme c’est le cas du conflit israélo-palestinien et de nombreux conflits armés sur le continent africain.
Le rapport Goldstone se présente comme une pièce à conviction gênante pour les États-Unis et les membres de l’OTAN, un plaidoyer contre l’impunité qui a prévalu jusqu’à maintenant pour les tenants des actions guerrières qui ont été conduites au cours des dernières décennies.
L’application des recommandations de ce rapport permettrait de faire un premier pas vers l’abolition de la guerre, ce qui va à l’encontre de la logique impérialiste qui anime les puissances occidentales.
C’est pourquoi, tout sera déployé pour en neutraliser les effets potentiels sur le droit international.
C’est la raison pour laquelle Washington a qualifié le rapport d’«erroné».
Selon Info Sud Tribune des droits humains, en effet, «Le secrétaire d’État adjoint pour les droits de l’Homme des États-Unis, Michael Posner, a reconnu que Richard Goldstone était une « personnalité distinguée », mais en précisant aussitôt que son rapport était « profondément erroné ».
Il a expliqué que les États-Unis refusaient de « mettre sur le même plan moral un État démocratique comme Israël qui a le droit de se défendre et le Hamas, qui a répondu au retrait d’Israël de Ghaza en terrorisant les civils dans le sud d’Israël ».
Seule concession, Michael Posner demande un consensus au sein du Conseil pour voter une résolution incitant Israéliens et Palestiniens à mener des « enquêtes crédibles » (http://www.humanrights- geneva.info/Washington-torpille-le-rapport,6683).
Cette proposition venait, à toute fin pratique, d’enterrer le rapport et invitait les intervenants à l’oublier.
Dans quelle mesure le report de l’examen du rapport Goldstone peut-il compromettre les suites qui pourraient lui être données ?
Le 6 octobre dernier, le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies a décidé de reporter de six mois l’examen du rapport Goldstone.
Ce rapport a provoqué une grande indignation, non seulement en Palestine, mais aussi dans les organismes de défense et protection des droits humains.
Selon Human Right Watch, « Le chef du gouvernement du Hamas à Ghaza, Ismaïl Haniyeh, cherchant à exploiter ce qui apparaît comme une bévue de son adversaire politique, a accusé Mahmoud Abbas d’avoir personnellement commandité le report.
“Cette décision absurde et criminelle place un immense obstacle sur le chemin de l’unité palestinienne”, a averti Haniyeh.
“Ce dernier scandale n’aurait jamais dû avoir lieu et les responsables de ce genre de corruption politique doivent être démis de leurs fonctions”, estime quant à lui Khaled al-Haroub, éditorialiste du quotidien palestinien indépendant Al-Ayyam» (http://www.francepalestine.org/article12851.html ).
D’autres analyses indiquent que le report de l’examen du rapport par le Conseil des Droits de l’Homme onusien a été encouragé et facilité par l’Autorité palestinienne dans le contexte d’une entente avec Israël et Washington.
Selon Khaled Amayreh, «la seule réelle interprétation de la décision de l’AP de reporter le vote du rapport que l’on puisse faire est que le régime de Ramallah a tout simplement voulu apaiser Israël et l’administration Obama, sans tenir compte des effets et conséquences désastreux sur la cause palestinienne, en particulier sur les victimes oubliées des crimes de guerre israéliens dans la Bande de Ghaza».
Sous la pression exercée par l’ensemble de la population Palestinienne et les organisations de défense des droits humains l’AP, dans un revirement inattendu, s’est rangée dans les derniers jours, du côté de ceux qui proposent un examen immédiat du rapport dans le cadre d’une session extraordinaire du Conseil des droits de l’Homme.
Un représentant palestinien s’est déclaré convaincu de pouvoir rassembler le soutien de 16 des 47 États membres du Conseil, nécessaire pour la convocation d’une telle session (Les Palestiniens pressés de faire adopter le rapport Goldstone).
On peut donc espérer que le rapport sera examiné au plus haut niveau et que ses recommandations recevront l’attention nécessaire avant leur présentation au Conseil de sécurité de l’ONU le 14 octobre prochain dans le cadre d’un débat général sur la situation au Proche-Orient.
Peut-on établir une relation de cause à effet entre les faits que vous venez d’énumérer et l’agenda d’Israël ?
Le Premier ministre d’Israël, Benyamin Netanyahu présentait en juin dernier les conditions préconisées par l’État hébreu pour la création d’un État palestinien, conditions toutes considérées comme plus ou moins acceptables par les Palestiniens ou impossibles à réaliser à court ou moyen terme.
Ces conditions préalables du domaine de l’impossible se doivent d’être vues comme faisant partie d’une stratégie pour gagner du temps et ainsi assurer une poursuite et une expansion d’Israël sur les territoires occupés en dépit des «pressions» exercées par Washington pour freiner ce processus.
Il importe de rappeler à notre mémoire ces conditions puisque l’application des recommandations du rapport Goldstone pourraient en fragiliser les fondements en ternissant fortement l’image internationale d’Israël et le placer dans une position l’obligeant à faire des concessions.
Il importe donc pour lui que l’application des recommandations du rapport Goldstone soit reportée sine die: que les Palestiniens reconnaissent qu’Israël est un État juif, une condition qui ne peut être acceptée par les Palestiniens, puisqu’un million d’Arabes vivent en Israël ; que cet État soit «démilitarisé», c’est à dire ne dispose d’aucune armée ; qu’aucun réfugié palestinien n’ait droit au retour ; que Jérusalem soit la capitale unie d’Israël ; que le Fatah reprenne Ghaza au Hamas ; que la colonisation «naturelle» continue.
Je conclurai en précisant que le rejet du rapport Goldstone ne peut être interprété que comme étant le résultat de l’intervention des forces impérialistes qui définissent l’ordre et la conduite du monde selon les règles qui favorisent leurs intérêts et leur hégémonie.
Ce rejet ou sa mise en veilleuse démontre que les dispositions du droit international en matière de justice sont extrêmement difficiles à appliquer quand les plus puissants se retrouvent sur le banc des accusés.
Même si le processus enclenché pour donner suite aux recommandations du rapport se poursuit, il est à craindre qu’une série d’obstacles pourraient être posés qui viendront le ralentir ou même le neutraliser.
Cette fois-ci, il faudra plus que de bonnes intentions de la part de l’ONU.
Il faudra de sa part une grande détermination supportée par une campagne d’envergure mondiale.
Propos recueillis par Meriem Abdou, Le Courrier d'Algérie :
http://www.lecourrier-dalgerie.com/papiers/lacapitale.html#2, le 12 octobre 2009.
Jules Dufour : Ph.D., est président de l’Association canadienne pour les Nations unies (ACNU) /Section Saguenay-Lac-Saint-Jean, professeur émérite à l’Université du Québec à Chicoutimi, membre du cercle universel des Ambassadeurs de la Paix, membre chevalier de l’Ordre national du Québec.
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