Pas de célébration ni de recueillement, mais une abominable tragédie et des scènes d’une violence extrême : le lundi 28 septembre 2009 restera comme la journée du choc entre « les forces vives » du pays et une junte entourée d’officiers, de sous-officiers, et de soldats incontrôlables et incontrôlés.

S’étant emparés du pouvoir le 23 décembre dernier, au lendemain de la mort du général-président Lansana Conté, ayant goûté aux poisons et aux délices de ce pouvoir, ils en sont désormais à prétendre s’y installer.

Plus loin dans ce numéro de Jeune Afrique, nous déroulons pour vous le film et décrivons les scènes effroyables de ce choc, et nous nous efforçons d’en évaluer les conséquences à court et moyen terme.

Je voudrais, pour ma part, vous inviter à une réflexion commune sur le cas guinéen.

Ce pays est un étrange paradoxe.

Dieu, la providence ou la nature l’ont très bien doté : un peuple attachant et travailleur, un sol fécond et très bien arrosé, où tout pousse facilement et abondamment, un sous-sol regorgeant de minerais recherchés : bauxite, fer, or, diamants.

La Guinée aurait dû être un grand pays agricole dont les richesses minières, transformées sur place avant d’être exportées, auraient aisément financé ses infrastructures, son développement économique et social.

Parmi les premiers pays africains à recouvrer leur indépendance, elle était promise à un bel avenir et avait les potentialités d’une éclatante réussite.

Je me souviens de cette extraordinaire confidence que m’a faite Félix Houphouët-Boigny en 1978 :

« Si on pouvait changer de pays, je prendrais la Guinée : elle a beaucoup plus de richesses que la Côte d’Ivoire et se développerait dix fois plus vite… »

Joyau en puissance de l’Afrique de l’Ouest en 1959, ce malheureux pays en est aujourd’hui, cinquante ans après, la lanterne rouge. (voir graphique ci-dessous)

Cette triste performance s’explique en quelques mots : un demi-siècle de dictature et de mauvaise gouvernance.

Le premier dictateur de la Guinée avait pour nom Ahmed Sékou Touré. Il a séduit ses compatriotes et flatté leur orgueil par une apostrophe devenue célèbre : « Nous préférons la pauvreté dans la liberté à la richesse dans l’esclavage. » Et leur a infligé, tout aussitôt et un quart de siècle durant, pauvreté, asservissement et assassinats, isolement et arriération.

À sa mort, le 26 mars 1984, ceux des Guinéens qui n’avaient pas quitté le pays héritaient d’un général : Lansana Conté. Il leur a imposé à son tour et jusqu’à sa mort, il y a moins d’un an, un deuxième quart de siècle d’une dictature moins sanguinaire, mais tout aussi lamentable.
Et les voici, depuis le début de 2009, sous le joug d’une junte qui s’est donné pour chef un capitaine volubile, inexpérimenté et instable.

Pauvre Guinée : sa descente aux enfers n’en finit plus et la voici cette fois au bord de l’implosion.

J’entends la question que beaucoup d’entre vous se posent : pourquoi les Guinéens ne parviennent-ils pas à se libérer de la dictature ? Pourquoi sont-ils presque les seuls en Afrique à entamer leur second demi-siècle de pays indépendant sous la coupe de gouvernants incompétents ?

Au risque de me voir reprocher de « tirer sur une ambulance », je me résous à écrire aujourd’hui ce que je dis depuis longtemps, ce que beaucoup d’autres observateurs pensent.

Le moment est peut-être mal choisi, mais j’espère néanmoins qu’il fera plus de bien que de mal de dire ceci aux hommes politiques et aux syndicalistes guinéens plus ou moins regroupés au sein de ce qu’ils ont appelé les Forces vives : votre responsabilité est gravement engagée ; il est nécessaire et urgent que vous vous ressaisissiez et changiez de pied.

Les hommes politiques guinéens sont, à vrai dire, de très bon niveau. Mais :

1. Parce qu’ils étaient divisés – et qu’ils le sont encore –, ils n’ont pas su faire partir Lansana Conté, même lorsqu’il s’est trouvé très affaibli par l’âge et la maladie.

2. Pour la même raison, alors que sa mort était prévisible et même annoncée, et que le pays n’était plus gouverné que par une camarilla, ils sont restés inertes, en attente de « l’événement ».

3. Pis : incapables de s’organiser et de s’unir pour assurer en bon ordre une succession civile, ils ont appelé de leurs vœux – et accueilli avec faveur – « une transition militaire ».

« Militaire », certainement ; « transition », rien n’est moins sûr.

4. Plusieurs d’entre eux ont accepté de collaborer avec le dictateur Lansana Conté, d’être ses ministres ou ses Premiers ministres, ce qui revenait à se laisser utiliser par lui.

Avant d’être rejetés et de se retrouver dans l’opposition… avec ceux qui, eux, ne l’ont pas ­quittée.

Lorsque Conté a été remplacé par la junte, d’autres ont, sur la même lancée, envisagé de collaborer avec son chef autoproclamé.

Où est la cohérence ? Quelle est la stratégie ?

En ce lendemain du 28 septembre 2009, les partenaires africains et internationaux de la Guinée sont appelés à l’aider. Ils doivent le faire.

Mais la Guinée à aider, c’est aider qui ? C’est quel numéro de téléphone ?

Ses Forces vives ? Dix chefs de partis rivaux, qui ne se distinguent l’un de l’autre que par la dominante ethnique et dont aucun ne représente la nation guinéenne dans son ensemble.

Tant qu’il en sera ainsi et que les Forces vives guinéennes ne se reconnaîtront pas en un fédérateur, il sera difficile d’aider ce pays à sortir de la dictature et de la mauvaise gouvernance.

En attendant cette hypothétique évolution, les amis et les partenaires de la Guinée ne peuvent que s’indigner, stigmatiser la junte et ses dérives, voter des résolutions et des menaces de sanctions.

Pendant ce temps, dans les rues de la capitale et sur les routes du pays, déambulent des soldats en armes, menaces réelles pour une population sans protection.