C’est, bien sûr, Barack Hussein Obama, le nouveau président des États-Unis d’Amérique : les sondages internationaux l’affirment et personne ne le conteste.

Il convient d’ajouter :
– qu’il n’est pas le plus populaire parce qu’il est américain. Mais bien qu’il soit américain ;
– qu’il n’est ni blanc, ni noir, ni jaune. Silvio Berlusconi a osé dire qu’il était populaire parce que jeune, beau et… bronzé. Avec plus de simplicité et de justesse, l’intéressé dit de lui-même qu’il est mulâtre.

Cet homme vient de regagner son pays après une première tournée de neuf jours dans plusieurs capitales ou villes d’Europe et d’Asie. Il s’est beaucoup exposé ; il a agi et parlé.
Nous le connaissons donc mieux et, à la veille de ses cent jours d’exercice du pouvoir suprême à la tête de « l’hyper puissance », on commence à avoir une idée assez précise de son apport à la fonction, de la différence qu’il va faire.
Est-il seulement le côté face d’une médaille dont le revers serait le très décrié George W. Bush ? N’est-il que le « gentil garçon » qui a reçu le relais des mains du « méchant » Bush pour conduire la même politique hégémonique et défendre les mêmes intérêts d’un grand pays sûr de lui et dominateur ?
Certains le disent ; je ne le crois pas.
Par ses actes et ses paroles, Barack Obama a déjà montré, selon moi, qu’il différait considérablement de son prédécesseur non seulement par le style et l’apparence, mais aussi en substance et sur le fond.
Barack Obama est porteur d’une rupture ; il veut une autre Amérique et qui joue, dans le monde, un autre rôle.
Restera-t-il sur cette ligne et réussira-t-il à imposer ce changement au système dont il hérite ? Cette double question est posée et le restera… jusqu’à plus ample informé.

Il y a moins d’un an, alors qu’il était encore en campagne électorale, sa jeunesse, son inexpérience faisaient problème et on craignait qu’il ne soit pas à la hauteur de la fonction.
Élu, il a commencé par s’entourer de personnalités fortes, d’hommes et de femmes expérimentés.
Investi, il s’est coulé dans l’habit sans effort apparent et, dès le premier jour, a exercé la charge comme s’il en avait une longue pratique.

Sur presque tout, il a pris le contre-pied de son prédécesseur, démantelant ce que celui-ci a bâti en huit ans : il a annoncé la fermeture du camp de Guantánamo et interdit à ses services de sécurité le recours à la torture que le tandem Bush-Cheney avait autorisé et même encouragé. Il a banni du langage officiel américain l’expression stupide et maléfique de « guerre contre le terrorisme » et jeté à la poubelle le concept infondé d’« axe du mal ».
Il a tendu la main à l’Iran et renoué avec la Syrie.
Il a fixé un terme à la présence militaire américaine en Irak, mettant ainsi fin à une guerre que son prédécesseur a voulue et menée pendant six ans.
Il s’est tourné vers cette « guerre oubliée » qu’était le conflit afghan et l’a inscrite dans un cadre stratégique.
Les autres pays de l’islam ? À leur endroit, il a remplacé la suspicion bushienne et le « clash des civilisations » par le respect mutuel et l’« alliance des civilisations ».
Il a rouvert le dialogue avec la Russie et, plus important, il lui a proposé ce désarmement nucléaire réclamé en vain depuis deux décennies par le monde entier.

Le premier grand voyage de Barack Obama hors des États-Unis, soigneusement préparé, lui a permis de frapper les esprits : du 1er au 9 avril, à Londres, Strasbourg, Prague, Ankara et Bagdad, il a participé à trois sommets, eu dix-sept entretiens avec d’autres chefs d’État ou de gouvernement, lancé sa grande idée de désarmement nucléaire et prononcé deux grands discours devant deux larges auditoires (l’un occidental et l’autre musulman).
Là où il est passé, cet homme supposé être le plus puissant de la terre a tenu à se montrer modeste, voire humble, et toujours souriant. Il a traité tous ses alliés en quasi-égaux et s’est employé à réconcilier ceux d’entre eux qu’un différend oppose.

A Londres, Berlusconi s'est aventuré à lui faire observer que la crise économique était née aux États-Unis. Sans hésiter, d’une voix égale et basse, Obama reconnaît : « Ce que mon ami italien a dit est vrai : la crise a commencé dans mon pays. J’en endosse la responsabilité, même si à l’époque je n’étais pas le président. »
Sarkozy, d’un ton sec, et Merkel, plus courtoisement, lui font-ils observer, lorsqu’il a dit souhaiter que la Turquie intègre l’Union européenne, qu’il revient aux Européens d’en décider, pas à l’Amérique, que sa réponse vient tout aussi sereine : « C’est vrai, nous ne sommes pas membres de l’Union européenne. Mais nous avons le droit de donner notre avis. Nous nous sommes exprimés en proches amis des Européens et des Turcs. »

Il ne réduit pas la Turquie à sa dimension de grand pays musulman, mais souligne sa double appartenance orientale et occidentale et son caractère d’État laïc.
Aux Iraniens, il dit ce qu’ils n’ont jamais entendu de son prédécesseur : qu’ils ont le droit d’être une puissance nucléaire, d’enrichir eux-mêmes leur uranium et de maîtriser cette technologie, mais que leur intérêt, comme celui du monde, est de ne pas passer du nucléaire civil au nucléaire militaire.
Aux musulmans en général, il dit aussi ce que son prédécesseur n’a ni dit ni, bien sûr, pensé : son pays n’est pas en guerre avec eux et ne le sera jamais.
Et, pour qu’il n’y ait aucun doute, il ajoute : « Je veux aussi dire clairement que les relations de l’Amérique avec le monde musulman ne peuvent pas se réduire à l’opposition au terrorisme. Nous recherchons un engagement plus large fondé sur l’intérêt et le respect mutuels. »
Allant encore plus loin, il n’hésite pas à déclarer : « Les États-Unis ont été enrichis par les Américains musulmans. Beaucoup parmi les autres Américains comptent des musulmans parmi leurs proches ou bien ont vécu dans des pays à majorité musulmane. Je le sais bien puisque je suis l’un d’eux. » (Lire l’intégralité de l’adresse d’Obama aux musulmans en p. 50.)
Vous le voyez, nous sommes à des années-lumière de George W. Bush et de l’Amérique traditionnelle. Sa biographie unique distingue Obama des autres chefs d’État : qui, en dehors de lui, pourrait tenir pareil langage, adopter une ligne aussi moderne, aussi multilatéraliste ? Vers la fin de ce voyage fondateur, alors qu’il était déjà en Turquie, un jeune a demandé à Barack Obama en quoi il est vraiment différent de George W. Bush. Sa réponse que voici me paraît clore le débat sur le fait de savoir s’il est porteur d’une vraie rupture avec le passé, d’un vrai changement : « Deux grandes différences parmi d’autres : j’ai été contre l’invasion de l’Irak qu’il a décidée et exécutée. Il ne se préoccupait pas de la dégradation de l’environnement et du réchauffement climatique. Je crois, moi, que c’est grave et je suis décidé à les combattre. » Une pause, puis il ajoute : « Comme tout autre grand pays, les États-Unis ne sont pas un petit hors-bord rapide dont on infléchit aisément la vitesse et l’itinéraire. C’est un porte-avions ou un gros tanker : il faut le réorienter avec la plus grande douceur ; il met du temps à changer de direction… et vous le menez ailleurs. » Ses proches collaborateurs nous ont expliqué leur stratégie et ce qu’ils attendaient du voyage : « Barack Obama a en effet une biographie qui le distingue des autres chefs d’État. Sa popularité internationale et son image positive auprès de l’homme de la rue nous aideront à mieux coopérer avec les dirigeants des autres pays. Au cours de ce voyage nous avons semé et planté. Nous allons cultiver et espérons moissonner. »