La demande américaine à Tel-Aviv de signer le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) a eu un effet de choc sur Israël qui se voit pour la première fois dénoncé par son allié. Reste à savoir jusqu’où ira Washington dans sa prise de position.
Un changement remarquable dans les relations américano-israéliennes est pointé du doigt. Faudra-t-il y croire ? Les Etats-Unis pourront-ils obliger Israël à signer le Traité de non-prolifération des armes nucléaires ? Rien n’est encore clair, mais ce qui est sûr c’est que les Israéliens ont été choqués par la réaction américaine. Enfin le nucléaire israélien est devenu sujet de débat auprès des alliés américains.
Le nucléaire israélien ne représente-t-il plus un tabou pour l’Administration américaine ? Autrefois, il n’était pas question de s’en approcher. Les capacités nucléaires israéliennes étaient quelque chose que l’on n’évoquait pas à Washington, pour ne pas donner des arguments à ceux qui en Iran et dans le monde arabe exigent que la question nucléaire soit abordée sur un pied d’égalité absolue dans la région.
Et il suffit de voir les réactions israéliennes pour s’en rendre compte. Le quotidien israélien Yediot Aharonot a publié que les Etats-Unis « ont largué une bombe. Pour la première fois, un responsable officiel américain a fait explicitement référence à la capacité nucléaire d’Israël ». Mais sans la moindre hésitation, Israël a rejeté l’appel lancé par une responsable américaine à adhérer au Traité de Non-Prolifération nucléaire (TNP) [1], jugeant cet accord « inefficace ».
C’est d’ailleurs suite à la déclaration qu’a lancée la semaine dernière la déléguée de l’Administration Obama, Rose Gottemoeller, à une session préparatoire pour la conférence mondiale sur le Traité de Non-Prolifération nucléaire (TNP), qui se tiendra en mai 2010 à New York, que les réactions ont commencé à se succéder.
Devant les représentants des 189 pays signataires du TNP, la députée a affirmé que les Etats-Unis aspirent à ce que tous les pays du monde adhèrent à ce traité, y compris l’Inde, Israël, le Pakistan et la Corée du Nord. L’Inde, Israël et le Pakistan sont les seuls pays à ne pas avoir ratifié ce traité, la Corée du Nord s’en étant retirée après l’avoir ratifié. « Une adhésion universelle au TNP — y compris par l’Inde, Israël, le Pakistan et la Corée du Nord — demeure un objectif fondamental des Etats-Unis », a-t-elle lancé. Une déclaration qui paraît dans le fond être banale, mais qui en réalité laisse à prévoir un changement majeur dans les relations entre les Etats-Unis et Israël.
Selon Ahmad Sabet, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, on est encore loin de parler d’un changement dans les relations américano-israéliennes. « Il n’existe toujours pas de changement concret que l’on peut citer. On peut appeler cela une reconnaissance américaine de la possession par Israël d’armes nucléaires », et d’ajouter : « Ce qui a attiré l’attention cette fois-ci c’est que l’Administration américaine a toujours fait en sorte de fermer les yeux en ce qui concerne le nucléaire israélien. L’Administration d’Obama essaye, en quelque sorte, d’agir sur un autre plan, celui du conflit palestino-israélien. Elle insinue à Israël que son refus de la création de deux Etats affaiblit la solution proposée par les Américains », explique le politologue.
Des pressions sur un autre volet ?
Effectivement, la référence à la bombe israélienne constitue peut-être le principal alibi, dont va user Obama pour faire plier le gouvernement de Netanyahu qui persiste à refuser la création d’un Etat palestinien, allant ainsi à l’encontre de toute la communauté internationale. Il est à noter que le président Barack Obama venait juste de provoquer les Israéliens au début d’avril, lors d’un discours devant le Parlement turc, lorsqu’il a déclaré l’attachement des Etats-Unis à la solution de deux Etats pour deux peuples. Quelques jours plus tard, l’envoyé spécial américain, Georges Mitchell, réaffirmait qu’il s’agit là « de la seule et meilleure solution » pour régler le conflit entre Israéliens et Palestiniens. Cette position américaine tranche avec le refus du nouveau gouvernement israélien d’endosser explicitement cette éventualité.
La nouvelle Administration américaine laisse-t-elle clairement entendre qu’elle compte rompre avec la politique suivie par la précédente équipe sur le dossier nucléaire israélien ?
Selon le Yediot, la dernière déclaration américaine concernant le dossier nucléaire a surpris et scandalisé le monde politique israélien, les Etats-Unis ayant respecté depuis les années 1970 la politique de « l’ambiguïté nucléaire » d’Israël et évité de le contraindre à ratifier le TPN.
La CIA fut la première à conclure qu’Israël avait commencé à produire des armes nucléaires en 1968, mais peu de détails ont émergé jusqu’à 1986, lorsque Mordechai Vanunu, ancien technicien de la centrale nucléaire de Dimona, a donné au Sunday Times des descriptions détaillées qui ont conduit les analystes de la défense à ranger l’Etat juif au 6e rang des puissances nucléaires mondiales. Aujourd’hui, même si Israël ne le reconnaît pas officiellement, il est largement admis par les experts qu’Israël possède de 250 à 300 armes nucléaires, avec leurs systèmes de lancement qui incluent les missiles Yariho (Jéricho) et les avions de chasse F-15 et les chasseurs-bombardiers F-16.
L’Iran principalement visé
Une adhésion au Traité de non-prolifération obligerait Israël à y renoncer. Une éventualité sûrement refusée par Israël. Lors de son premier mandat comme chef du gouvernement israélien, Benyamin Netanyahu avait affirmé au président américain de l’époque, Bill Clinton, que « nous ne signerons pas le TNP, car nous ne voulons pas nous suicider ».
Sabet affirme : « Peut-être cette déclaration a-t-elle fait du bruit, mais il ne faut pas s’attendre à ce que les Américains accusent Israël officiellement. Et en ce qui concerne les réactions israéliennes, elles illustrent le mode israélien qui tient toujours à semer la panique et à évoquer le complexe de culpabilité lorsqu’il s’agit d’une chose qui touche à sa sécurité interne ».
L’Etat hébreu le sait d’ailleurs bien. Essayant de calmer les esprits, un responsable du ministère israélien des Affaires étrangères a avoué que cette déclaration n’a pas plu à Jérusalem, mais qu’Israël et les Etats-Unis « sont de la même famille, et même lorsqu’on change de dirigeants, la famille reste la même ». Pour un haut responsable israélien, ce qui est grave c’est que les Etats-Unis semblent avoir adopté une attitude naïve envers le monde arabe et l’Iran, en « vendant » Israël pour les apaiser, une attitude qui s’avérera comme défaillante, lorsque les Américains se rendront compte qu’ils n’ont pas de véritable partenaire pour le dialogue.
De toute façon, cette attitude américaine semble aussi figurer dans sa panoplie de politiques à l’égard de l’Iran. Un haut fonctionnaire américain a ainsi rassuré Israël, déclarant que l’initiative américaine ne vise pas à nuire à Israël, bien au contraire : « Une adhésion israélienne au TPN permettra à la communauté internationale d’exercer des pressions plus efficaces sur l’Iran pour que ce dernier arrête son programme nucléaire ».
L’affaire sera peut-être close après cette déclaration et n’ira pas plus loin. En tout cas, le débat lancé cette semaine à Washington ne manquera sûrement pas d’alimenter la rencontre qui doit se tenir entre Barack Obama et Benyamin Netanyahu, le 18 mai à la Maison Blanche.
[1] Le TNP
Le club des puissances nucléaires officielles (Etats-Unis, Russie, Grande-Bretagne, France et Chine) a voulu éviter que d’autres pays accèdent à ces technologies. Le Traité de Non-Prolifération nucléaire (TNP) a ainsi été signé à Londres, Moscou et Washington en 1968.
Il vise à interdire l’exportation des armes et techniques nucléaires vers les pays qui n’en sont pas dotés, à favoriser le désarmement de ceux qui en possèdent et à favoriser la diffusion du nucléaire civil mais reconnaît avant tout le statut de puissance nucléaire aux cinq Etats qui ont fait exploser une arme nucléaire avant 1967.
Il est entré en vigueur en 1970 et pour une durée de 25 ans.
Le TNP n’a cependant pas empêché un second club, officieux, de se former progressivement. A l’exception de l’Inde, du Pakistan et d’Israël, 188 pays ont signé ce traité.
En 1997, un protocole additionnel au TNP a été établi. Cet outil de contrôle nucléaire, qui permet à l’AIEA de visiter tous les lieux auxquels elle n’avait pas accès, a été signé par 67 Etats uniquement.
La révision du TNP doit avoir lieu en avril-mai de cette année. Sa crédibilité risque d’être sapée d’autant plus que l’article VI sur l’élimination totale des armes nucléaires a depuis toujours été ignoré.
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