Exclusif France Inter
Les rapports gabonais de Bernard Kouchner dévoilés
Après la polémique suscitée par le livre de Pierre Péan, paru le 4 février dernier, « Le monde selon K » (Fayard) mettant notamment en cause l’activité de consultant de Bernard Kouchner au service de potentats de la « Françafrique », au Gabon et au Congo-Brazzaville, voyage dans les « affaires africaines » du docteur Kouchner, en 8 questions : décryptage, témoignages, révélations.
Une enquête de Benoît Collombat
1/ Que contiennent ces rapports ?
Le rapport d’audit : « Un système de santé au bord du gouffre »
Il y a d’abord un rapport d’audit, remis aux autorités gabonaises en février 2004, intitulé : « Le système de Santé au Gabon. Un besoin de Solidarité Nationale. Rapport de Mission : 1/ Le Constat »
Un rapport de 107 pages, dont 17 pages d’annexes, réalisé par Bernard Kouchner, Eric Danon, directeur d’IMEDA, le dr Jean-Elie Malkin (IMEDA) et le dr Isabelle Stroebel, médecin de santé publique. Les auteurs du rapport se sont rendus sur place 24 jours : du 6 au 21 septembre 2003, et du 4 au 11 novembre 2003.
Lire le rapport d’audit
« Le système de santé se dégrade depuis plusieurs années ; il est aujourd’hui au bord du gouffre », écrivent les auteurs, dans leur introduction. Une situation « alarmante » qui aurait poussé Omar Bongo a demandé à IMEDA et Bernard Kouchner « d’apporter un regard critique sur le système (…) afin d’en améliorer les performances et de permettre l’accès aux soins à tous les Gabonais. »
Cette « situation sanitaire préoccupante » (p. 15) est notamment décrite à propos du Centre Hospitalier de Libreville qui « ne peut offrir des soins répondant aux normes habituellement fixées pour un hôpital de référence de niveau national » (p. 37) Même constat à l’hôpital Jeanne Ebori « miroir de la santé de la caisse nationale de sécurité sociale dans les années 80 [qui] offre une toute autre image aujourd’hui » (p. 39-40) complètement délabrée, où encore dans des dispensaires publics « sans eau, ni électricité » dépourvus du matériel médical de base (p.27)
« Aucun des hôpitaux visités ne représente un véritable établissement de référence », constatent les auteurs du rapport, p. 48, qui en appellent à « la mise en œuvre d’une « démarche qualité » » (p. 50)
Malgré un tableau peu reluisant du système de santé (« chute dramatique » des vaccinations-p.18/19, « absence d’encadrement des personnels »-p.29, « démotivation, absentéisme »-p.42, couverture sanitaire insuffisante-p.63, médicaments inaccessibles-p.90), les auteurs prennent tout de même le soin de ménager Libreville : « On observe aujourd’hui un engagement politique fort au profit de la santé, écrivent-ils, la santé faisant partie des secteurs prioritaires de développement de la politique générale du gouvernement et surtout du Président », Omar Bongo (p. 53)
Les propositions de réforme : « En finir avec le dogme de la gratuité des soins »
Un deuxième rapport, intitulé « Le système de Santé au Gabon. Un besoin de Solidarité Nationale. Rapport de Mission : 2/ Les propositions de Réforme », est remis à Libreville, 6 mois plus tard, en août 2004.
Un document de 24 pages, dont 6 pages d’annexes, signés Bernard Kouchner, Eric Danon et Jean-Elie Malkin.
Lire les propositions de réforme
« Pour certains d’entre nous qui avons été à l’origine de Médecins sans frontières, peut-on lire dès l’introduction, dans une claire allusion à Bernard Kouchner, il s’agit non de remplacer un concept par un autre, mais de les compléter tous par celui de « malades sans frontières » en organisant et pérennisant les financements des systèmes de santé des pays les plus pauvres, sous la direction des autorités politiques et des peuples concernés eux-mêmes. »
Les auteurs affirment vouloir « mettre en place un système original d’assurance maladie au Gabon, pays qui leur semble de taille et de volonté exemplaires. » (p. 1), tout en conciliant « approches publiques et privées » (p. 3)
Bernard Kouchner appelle à « en finir une fois pour toutes avec un des dogmes les plus difficiles à combattre, celui de la gratuité des soins » afin de « s’orienter progressivement vers une participation aux coûts. » (p. 3)
« Cette réforme de grande ampleur, pour être acceptée par la population, nécessite une vaste concertation nationale », explique encore le rapport, appelant à l’organisation d’ « Etats Généraux de la Santé, en début d’année 2005, pour recueillir les attentes réelles de la population et expliquer le « mode opératoire » de l’assurance maladie qui sera mise en place. »
« La réforme peut-être préparée d’ici la fin de l’année pour une mise en œuvre véritable l’an prochain, préconise les auteurs dans leur « échéancier ». Son importance justifie, selon eux, de faire de 2005, l’« Année de la Santé » au Gabon » (p. 16)
« Un premier conseil sera de se mettre d’accord avant de légiférer, peut-on lire dans le chapitre intitulé : « Du bon usage de la réforme » (p. 13) Les textes une fois votés, il est bien difficile de revenir en arrière et la tentation est grande de ne pas les respecter. Ce qui est pire que de ne pas les voter. »
En résumé, « la réforme passe par trois axes principaux, estiment les rapporteurs d’IMEDA :
- La création d’une couverture maladie pour tous les Gabonais,
- L’amélioration de l’offre de soins ;
- Une nouvelle politique des personnels de santé. » (p. 6)
« Une Caisse Nationale d’Assurance Maladie (« Santé Gabon ») sera constituée, peut-on lire plus loin, soit sous forme d’un Groupement d’Intérêt Public (GIP) dépendant d’un seul ministère, soit sous celle d’un Etablissement Public de l’Etat, structure plus souple encore. »
En plus de la Caisse du secteur public, et celle des salariés du secteur privé, Kouchner plaide pour la création d’une troisième caisse d’assurance-maladie composée « des travailleurs indépendants non salariés (avocats, médecins libéraux, architectes, petits commerçants, etc.) et des populations indigentes. » (p. 8)
Les auteurs du rapport préconisent également « la création d’un prélèvement temporaire qui pourrait s’appeler « Contribution santé », une taxe assise notamment sur le tabac, l’alcool ou les communications de téléphone portable (p. 9), une meilleure formation des médecins (p. 12), une « réhabilitation des lieux les plus vétustes » (p. 15) ainsi que la séparation « du budget de la santé de celui de l’Etat » (p. 14) : « Ce budget santé, transparent en permanence, pourrait être géré par les Finances si ses services paraissent au Président [Bongo] plus fiables que ceux du Ministère de la Santé publique ou des Affaires sociales, écrivent les rapporteurs, mais il devrait être en permanence à la disposition de la santé publique. »
Ils vantent également les mérites « des systèmes de micro-assurance », applicables, selon eux, à « une dizaine de sites pilotes » au Gabon (p. 10), la micro-assurance étant présentée par leurs soins comme « un nouvel espoir face aux risques de santé » (p. 19), signe d’une « globalisation positive. » (p. 24)
Une « globalisation positive », et autant de préconisations, qui n’ont pas vraiment été suivis des faits…
Jusqu'ici aucun rapport d'IMEDA, au Gabon comme au Congo-Brazzaville, n'avait été rendu public.
Officiellement, en raison d’« une clause de confidentialité entre IMEDA et le Gabon » , explique-t-on du côté de cette société de conseil dirigé par Eric Danon, nommé ambassadeur de France à Monaco par Bernard Kouchner après sa nomination au Quai d’Orsay, puis représentant de la France à la conférence du désarmement à Genève, en août 2008.
Car jusqu’ici les seuls documents se rapportant à l’étude gabonaise se limitaient à "une quinzaine de pages, révélées par le site internet Bakchich", le 15 février dernier.
Il s’agit de deux courriers de 6 et 9 pages (datées du 5 février et du 30 juin 2004) adressés par Bernard Kouchner au président gabonais, Omar Bongo. Deux notes de synthèses plutôt sommaires, dans lesquelles Bernard Kouchner se borne à réclamer « une Caisse d’assurance maladie, qui pourrait, s’appeler « Santé Gabon » , l’établissement d’ « un panier de soins » , et la mise en place d’ « un grand Ministère de la Santé. » Le tout assorti de grandes déclarations d’intentions sur l’amélioration des « structures de soins » , la « remise à plat du système de répartition des médicaments » , ainsi que la révision de « la formation, la répartition et la rémunération des personnels de santé. »
« Des malades mal soignés, des mécontents, une agitation sociale qui pourrait grandir : un sursaut s’impose au Gabon dans le domaine de la santé » , écrit Bernard Kouchner en s’adressant à Omar Bongo en prenant grand soin de ne pas froisser la susceptibilité du dinosaure de la « Françafrique » : « Vous seul pouvez, par une décision politique engageant l’avenir de votre pays, doter le Gabon d’un système de justice sociale unique en Afrique et donc pionnier. »
Jean Valentin Leyama : « C’est un secret d’Etat »
Le député gabonais Jean Valentin Leyama dénonce les conditions dans lesquels ce marché a été attribué, selon lui, sans concurrence et s’interroge sur « le montant des honoraires en rapport avec l’importance du travail réalisé » .
Jean Valentin Leyama (1’24")
Marc Ona Essangui : « Monsieur Kouchner, publiez votre rapport ! »
Marc Ona Essangui est l’un des principaux porte-parole de la société civile gabonaise. Il a été emprisonné récemment pendant douze jours, avec d’autres gabonais, à la suite de la diffusion sur internet, par un autre acteur de la société civile, Bruno Ben Moubamba, d’une lettre ouverte mettant en cause le président Bongo.
Malgré tous ses efforts, Marc Ona Essangui n’a jamais pu consulter ce fameux rapport Kouchner sur le Gabon. Il soupçonne une « surfacturation » , par rapport au travail effectivement réalisé, et estime qu'on « aurait mieux fait d'utiliser cet argent pour les hôpitaux gabonais. »
Marc Ona Essangui (5’19")
Isabelle Stroebel : « Nous avons vraiment dit dans ce rapport ce que nous avons vu »
Pour la première fois, celle qui a co-signé l’un de ces rapports gabonais avec Bernard Kouchner (l’audit du système de santé) sort de son silence.
Isabelle Stroebel réfute toute accusation de rapport fictif, et assure avoir rédigé un travail « le plus exhaustif, et le plus sérieux possible », avec « une rémunération tout à fait normale.»
Isabelle Stroebel (3’33")
Un tel rapport n’est-il pas une façon de cautionner pas le régime gabonais ? « On m’a demandé de faire un travail, j’ai rempli mon cahier des charges », répond Isabelle Stroebel (57")
Document France Inter : Un rapport sur le système de santé au Congo… en 14 jours
Et le Congo-Brazzaville ?
Dans son livre, « Le Monde selon K » (p. 313-314), Pierre Péan explique comment Bernard Kouchner « se démène pour obtenir de nouveaux contrats au Congo. » Pour cela, le futur ministre des affaires étrangères de Nicolas Sarkozy se rend plusieurs fois à Brazzaville, en 2007, afin d’y rencontrer le président Sassou-Nguesso.
Selon Péan, Kouchner « entend bien placer une étude sur le système de santé au Congo, et, en prolongement, un projet d’assurance-maladie et une autre étude sur la réhabilitation du CHU de Brazzaville. » Deux contrats signés « en mars 2007 dans le bureau d’un ami de Bernard Kouchner, Nicolas Normand, ambassadeur de France au Congo depuis janvier 2007 » , en présence d’un ministre congolais, et du patron d’IMEDA, Eric Danon, écrit Péan.
Une version contestée par les proches de Bernard Kouchner, pour qui : "le Congo a contacté IMEDA. Le contrat a été signé entre Eric Danon et le Ministère congolais de la santé, dans des locaux du Ministère congolais des Finances.
Deux mois plus tard, le 18 mai 2007, Bernard Kouchner est donc nommé ministre des affaires étrangères.
Interrogé par le Canard enchaîné, à cette époque, sur son activité de « conseil » au Congo-Brazzaville, Bernard Kouchner « s’était vivement récrié, accusant ses ennemis de la calomnier » (« Les ingérences de Kouchner dans le pétrole et la pharmacie », Le Canard enchaîné, 3 octobre 2007). Avant que « La lettre du Continent » ne confirme l’information.
Finalement, en juillet 2007, un premier rapport d’étape sur le système de santé et le projet d’assurance-maladie est remis aux autorités congolaises.
Le 11 février dernier, de brefs extraits de ce rapport ont été cités par le journaliste de la Tribune, Xavier Harel, auteur d’un livre remarquable sur la corruption pétrolière en Afrique, publié en 2006, aux éditions Fayard : « Afrique, pillage à huis clos : Comment une poignée d’initiés siphonne le pétrole africain. »
Ce « rapport d’étape » de 49 pages, nous le publions, pour la première fois, dans son intégralité.
Rédigé par le dr Isabelle Stroebel (qui avait déjà travaillé avec Bernard Kouchner pour le compte d’IMEDA sur l’audit du système de santé gabonais-voir plus haut) et le dr Jean-Elie Malkin (l’associé d’Eric Danon dans IMEDA, membre d’Esther, un groupe parapublic présidé un temps par Bernard Kouchner), ce rapport est la synthèse d’un travail sur le terrain… de 14 jours, du 18 juin au 2 juillet 2007. Une limite que reconnaissent d’ailleurs eux-mêmes les auteurs :
« La principale contrainte rencontrée a été la durée limitée (14 jours) du séjour au Congo qui n’a pas permis à l’expert de « visiter » toutes les régions du pays. Ce rapport n’est donc pas une analyse exhaustive de la situation. » (p. 7)
Interrogé sur ce point, Isabelle Stroebel reconnaît les limites de son travail, tout en expliquant que cela ne l’a pas empêché de « dresser un état des lieux. »
Isabelle Stroebel (36")
S’ils n’omettent pas de décrire la vétusté extrême des structures hospitalières congolaises, notamment à l’hôpital mère-enfant Blanche Gomes « dans un état de délabrement inimaginable » (p. 25) les consultants d’IMEDA multiplient au fil des lignes les « bons points » au régime de Denis Sassou-Nguesso, pourtant plus connu pour détourner la rente pétrolière que désireux d’améliorer le système de santé !
Ainsi, peut-on lire, dès l’introduction : « La République du Congo a inscrit l’amélioration de son système de santé comme une priorité nationale (…) Cette politique volontariste vise à restaurer le système de santé qui s’est profondément dégradé (…) Dans l’optique de cette amélioration unanimement souhaitée, le Président de la République, Son Excellence Denis Sassou Nguesso a demandé à IMEDA d’apporter un regard critique sur le système de santé » (p.1)
« Le Plan National de Développement Sanitaire (2005-2009) traduit la volonté d’améliorer le système de santé national » , estiment les auteurs, même si cette « volonté » s’est heurtée à des « dysfonctionnements institutionnels » et à des « contraintes budgétaires », constatent-ils pudiquement. (p. 14)
« On observe aujourd’hui un engagement politique assez fort au profit de la santé, peut-on encore lire page 17, la santé faisant partie des secteurs prioritaires de développement de la politique générale du Gouvernement et surtout du Président » (p. 17) Voilà un « regard critique sur le système de santé » particulièrement aiguisé.
Les experts expliquent s’être rendus à Brazzaville, Pointe Noire, ainsi qu’en zone rurale, dans le département des Plateaux. Leur rapport est émaillé de données statistiques, la plupart du temps issus de rapports officiels. Si ce « rapport d’étape » revient sur la couverture sanitaire insuffisante, les normes d’hygiène non respectés ou les taux élevés de mortalité maternelle et infantile, il met également en avant dans ses points « à retenir » que « le Ministère de la santé et les acteurs de la santé rencontrés par l’expert sont très conscients (…) de la nécessité impérative d’améliorer ce secteur pour une meilleure prise en charge des patients et pour la mise en place d’un système d’assurance maladie. » (p. 30) Un système proposé par IMEDA ?
De fait, un deuxième rapport est actuellement en cours, co-rédigé encore une fois par Isabelle Stroebel portant sur un « schéma directeur pour l’assurance-maladie » au Congo-Brazzaville. Il est censé être remis officiellement au mois de mars.
En conclusion, dans leurs « propositions générales » (P. 40-43), les experts d’IMEDA estiment que « la mise en place d’un système d’assurance-maladie au Congo » passe par une « volonté politique », la « création d’un cadre législatif », une extension de « l’offre de soins », la décentralisation du système de santé, la sensibilisation du « personnel de santé et [de] la population congolaise au principe de solidarité » , la revalorisation des salaires , ainsi que la mise en place d’ « Etats généraux de la santé » censés « redonner confiance à la population dans son système de santé. »
Patrick-Eric Mampouya « Mon fils de 14 ans aurait pu faire ce rapport »
Pour Patrick Eric Mampouya, membre de l’opposition congolaise, ce rapport sur le système de santé congolais « ne fait que conforter » le régime de Denis Sassou-Nguesso :
« on ne peut pas tenir un discours de moralisateur et travailler avec des dictateurs »
Patrick-Eric Mampouya (1’50")
photo : Patrick-Eric Mampouya. © Benoît Collombat
Arsène Bikoué : « C’est navrant pour Bernard Kouchner, tragique pour le peuple congolais »
De tels rapports sont voués à l’échec sans un réel développement économique du pays estime, pour sa part, Arsène Bikoué, chercheur en immunologie, est vice-président du rassemblement des forces pour la démocratie, un mouvement d’opposition au président Sassou-Nguesso. Il fustige un régime qui préfère payer « des experts à prix d'or, alors qu'ils sont incapables de donner le minimum vital au peuple congolais. »
Arsène Bikoué (6’32")
Bruno Ben Moubamba : « C’est du niveau de Xavière Tibéri »
Interrogé sur ce « rapport d’étape », l’opposant gabonais, Bruno Ben Moubamba, estime qu’il s’agit d’ « un empilement de statistiques qui ne mérite pas autant d’argent », « un habillage pour siphonner l’argent du peuple congolais. »
Bruno Ben Moubamba (1’31")
Isabelle Stroebel : « Il faut profiter de la motivation du Congo-Brazzaville pour mettre ce système en place »
Quant à Isabelle Stroebel, co-auteur de ce rapport, elle justifie son travail en assurant avoir « ressenti une volonté, à tous les niveaux » pour mettre en place un système d’assurance-maladie au Congo-Brazzaville.
Isabelle Stroebel (5’43")
Par ailleurs, selon nos informations, un cabinet de conseil spécialisé sur les questions de santé, KADIS , serait également partie prenante dans ce contrat congolais sur la réforme de l’assurance-maladie.
2/ A quoi ont servi ces rapports ?
Pour Bernard Kouchner, cela ne fait aucun doute : ses travaux ont permis une amélioration substantielle du système de santé, notamment au Gabon :
« La moitié de la population du Gabon étant des indigents, privés de la possibilité d’aller se faire soigner à l’hôpital, j’ai aidé avec d’autres experts à faciliter leur accès au système de santé. » , expliquait-il, le 5 février dernier au Figaro.
« J’ai travaillé à un projet auquel je tiens : l’assurance maladie pour les Africains, qui permette aux indigents d’être pris en charge, déclare encore Bernard Kouchner, dans les colonnes du Nouvel Observateur (5-11 février 2009). Au Gabon, une loi de janvier 2007, votée à la suite de mon travail qui a duré trois ans, instaure un « régime obligatoire d’assurance maladie » et j’en suis fier (…) Y-a-t-il quelque chose de choquant qu’un ancien ministre de la Santé, qui a fait pendant des dizaines d’années des missions humanitaires pour Médecins du Monde et bien d’autres sans toucher un centime, rédige des rapports permettant à des pays africains d’améliorer leur système de santé ? »
Des propos relayés par son avocat Georges Kiejman, le 8 février 2009, dans les colonnes du Journal du dimanche : « La loi sur la santé publique qui est née de ces recommandations est du 4 janvier 2007 », précise Me Kiejman, « La loi assure un système de protection des plus indigents, il y a vraiment un système d’assurance-maladie au Gabon » , plaide l’avocat. »
Ce tableau assez idyllique est contesté par le personnel de santé gabonais, que nous avons interrogés. Depuis la mi-janvier les services hospitaliers gabonais sont en grève pour protester contre leurs conditions de travail.
Sylvie Nkogue-Mbot : « C’est le ras-le-bol général ! Que Monsieur Kouchner vienne sur le terrain »
Sylvie Nkogue-Mbot est secrétaire générale du syndicat Hippocrate (qui regroupe médecins, chirurgiens, pharmaciens, biologistes et dentistes), chef de service du service de stomatologie de l’hôpital pédiatrique d’Owendo, à Libreville. Elle dresse un tableau accablant de la situation sanitaire gabonaise. Fauteuils pour les opérations, aiguilles, seringues, gants : le matériel de base est absent.
Selon elle, contrairement aux propos de Bernard Kouchner, rien ne s’est amélioré sur place.
Sylvie Nkogue-Mbot (3’19")
Un sentiment partagé par le membre de la société civile gabonaise, président de l’ONG « Brain Forest » et coordonateur de la campagne « Publiez ce que vous payez », Marc Ona Essangui…
Marc Ona Essangui (2’11")
Christian Abiaghe : « Rien n’a changé »
Le président de l’association gabonais« SOS consommateurs », Christian Abiaghe, lui aussi, ne voit pas aucune amélioration sur le terrain.
Christian Abiaghe (2’12")
Dans ces conditions, le dr Sylvie Nkogue-Mbot se dit « choquée » que le Gabon ait fait appel à Bernard Kouchner pour rédiger un rapport sur une situation connue de tous les professionnels de santé gabonais…
Sylvie Nkogue-Mbot (1’24")
Pour le député gabonais Jean Valentin Leyama, « il semble difficile d’établir un lien entre le travail du dr Kouchner et le système de santé au Gabon. » Aucune mention n’a officiellement été faite de son travail.
Jean Valentin Leyama (6’17")
Le staff d'IMEDA conteste cette version, expliquant avoir été sollicité par le Gabon "dans l'examen du projet de loi".
Le CHU de Brazzaville : « Un mouroir, dans lequel vous entrez en bonne santé, et sortez malade »
photo : Arsène Bikoué. © Benoît Collombat
Concernant la réhabilitation du CHU de Brazzaville, la dernière mouture du rapport d’IMEDA sur le sujet doit officiellement être remise aux autorités congolaises dans les jours à venir.
Le chercheur en immunologie, Arsène Bikoué, membre de l’opposition congolaise décrit ce CHU comme un véritable« mouroir » .
Arsène Bikoué (2’40")
Même constat effectué par l’opposant politique Patrick-Eric Mampouya qui, dans ces conditions, juge « scandaleux » le fait de travailler pour le compte d’un tel régime.
Patrick-Eric Mampouya (1’55")
Voici quelques photos illustrant la description de Patrick-Eric Mampouya sur les hôpitaux au Congo-Brazzaville.
photo : © DR
3/ Quelle rémunération pour le consultant Bernard Kouchner ?
2 millions 600 mille euros pour le Gabon, et 1 million 800 mille pour le Congo-Brazzaville, affirme Pierre Péan dans son livre, incluant toutes les structures liées à Kouchner ayant travaillé pour l’Afrique.
« Je n’ai jamais touché les sommes dont parle Pierre Péan, se défend Bernard Kouchner, dans le Figaro, le 5 février 2009. J’ai été bien moins payé que la plupart des experts internationaux (Banque mondiale, OMS…) J’ai été rémunéré moins de 6000 euros par mois après impôts sur trois ans pour un travail considérable dont tout le monde peut se féliciter. » Soit, selon les calculs du ministre, 216 000 euros.
Son propre avocat, Georges Kiejman cite, lui, le chiffre de 400 000 euros, soit deux fois plus mais avant impôt, pour des travaux au Gabon s’échelonnant de février 2004 à août 2006 (deux ans et demi), ce qui équivaudrait à un salaire mensuel de 13 000 euros.
Quant au patron de la société IMEDA, Eric Danon, il parle d’un contrat de 1 millions 300 mille euros pour le Gabon (soit 4 tranches de 330 000 euros sur 3 ans) et d’1 million 200 mille euros pour le volet Congo-Brazzaville, qui ne serait pas allé jusqu’à son terme. Selon Eric Danon, 800 000 euros auraient été versés par le Congo-Brazzaville, mais la troisième tranche du contrat n’aurait pas été réglée.
En tous cas, « un million 300 mille euros, pour un tel travail, c’est nettement au dessus des tarifs en vigueur », nous précise un bon spécialiste des questions de santé en Afrique.
Contacté par nos soins en avril 2008, Eric Danon se contentait de citer le chiffre de « 400 000 euros » versé par Libreville ( « Il s’agissait d’un versement à Africa Steps », explique-t-il à présent) estimant que « six personnes, dont Bernard Kouchner, ont travaillé sur ce projet de système de santé au Gabon au tarif Banque mondiale, plus 10%, c'est-à-dire 800 dollars par jour » , expliquait alors le patron d’Iméda, précisant que « Bernard Kouchner s’est rendu sur place trois fois une semaine », en plus de ses rencontres à Paris.
Le 17 octobre 2007, la lettre du Continent (qui avait, pour la première fois, évoqué le travail de Kouchner au Gabon, dans un écho paru le 1er juillet 2004) publiait cette énigmatique « devinette » :
« 863 000 euros en cash pour un ministre français »
Quel est le ministre français qui vient de toucher 863 000 euros en cash d’un président africain pour un contrat qu’il avait réalisé avant de prendre son « portefeuille » ? »
4/ Une « expertise » sur la santé gabonaise était-elle nécessaire ?
En plus des problèmes moraux posés par le fait de travailler pour des dictateurs africains, se pose également la question de la nécessité d’établir un diagnostic du système de santé gabonais. Lors des états généraux de la santé, en 2005, à Libreville, un « document d’orientation », censé avoir été nourri par l’audit de Bernard Kouchner, est alors présenté par le ministre gabonais de la Santé.
En réalité, le diagnostic sur la situation sanitaire déplorable au Gabon était connu depuis longtemps.
Dès avril 1992, des états généraux de la santé au Gabon affichaient comme objectif « d’améliorer les performances du système de santé ». Une loi d’orientation est votée en janvier 1995, afin de « doter la nation d’un système de santé efficace, souple et accessible à tous les citoyens, quelle que soit leur situation sociale et géographique ».
Un plan national d’action sanitaire est élaboré en mai 1998, pour une durée de 3 ans, actualisé en 2001-2003. Un « projet de mise en place d’un système de couverture maladie au Gabon » est même présenté par le ministre des affaires sociales, André Mba Obamé. Sans être suivi des faits…
Dès 2002, le Gabon disposait déjà d’un rapport de 160 pages… commandé par le ministère français des affaires étrangères !
Autant d’information détaillées dans un rapport d’octobre 2002 commandé par le Ministère français des affaires étrangères à trois experts : Caroline Damour, Gilles de Pas et Michael Marx. Ce document intitulé « Evaluation de la coopération française dans le secteur santé au Gabon (1990-2001) » passe au crible plus de 10 ans de coopération franco-gabonaise en matière de santé.
Autrement dit, au moment même où IMEDA, fin 2002, commence à conclure des contrats d’évaluation du système de santé avec Libreville, une expertise très complète de la situation (remise aux autorités gabonaises par la France) est déjà disponible.
Ce rapport effectué au Gabon en juin 2002 (au tarif de 400 dollars par jour, selon nos informations) écorne à plusieurs reprises les politiques publiques menées par Libreville, en matière de santé.
« Manifestement, la santé « publique » n’est pas une priorité et l’Etat ne manifeste aucune volonté d’y remédier » , écrivent ainsi les trois experts (p. 14), avant d’ajouter : « Le Gabon a ainsi pris 15 ans de retard par rapport à de nombreux pays africains en matière d’organisation de système de santé et s’avère incapable à ce jour de mener une politique sanitaire efficace. » (p. 15)
En conclusion, les auteurs du rapport prônent « la refonte de la coopération sanitaire à partir d’une réflexion de fond sur la coopération franco-gabonaise dans le secteur santé. » (p. 19)
« Face à une situation où 15 ans de coopération n’ont pas apporté de réponse patente aux attentes en matière de santé publique, à savoir améliorer les conditions globales de santé, la qualité et l’accessibilité des soins, poursuivent les experts, il convient de marquer le pas, réfléchir à ce qui apparaît plus pertinent et considérer l’opportunité d’initier une action au vu de l’engagement gabonais. » (p. 21)
Les rapporteurs se payent même le luxe de citer « pour mémoire » (p. 20) une promesse d’Omar Bongo, datée de 1998 : « Je vous fais aujourd’hui la promesse que dans les toutes prochaines années, tout Gabonais, où qu’il vive et quels que soient ses revenus, aura accès à des soins de qualité. Aussi formidable qu’elle soit, cette promesse, je la tiendrai car je sais que nous le pouvons. »
Des promesses restées lettre-morte constatent les experts du Quai d’Orsay. Si le plan national d’action sanitaire gabonais de 1997 « a donné lieu à un gros travail de réflexion et de propositions échelonné sur une année » , faute de réelle volonté politique d’améliorer le système, « sa mise en œuvre se heurte à la question du choix de priorités compatibles avec les possibilités de financement mais aussi à la volonté effective de tenir compte des conclusions de ces travaux ainsi qu’à la disponibilité en compétences pour réaliser. A ce jour, les résultats ne sont pas à la hauteur de l’énergie investie et laissent en arrière-plan une impression « d’exercice de style ». » (p. 30)
Le projet de mise en place d’un système de couverture maladie au Gabon est même cité dans les annexes du rapport (Annexe 11, p. 108-109).
Dans ces conditions, pourquoi faire appel aux services d’IMEDA et de Bernard Kouchner ?
« On ne peut pas remplacer 10 gouttes d’eau tièdes par une goutte d’eau chaude », explique très sérieusement un membre du staff d’IMEDA pour justifier la collaboration de Bernard Kouchner au Gabon. Nous seuls avions la confiance des gabonais pour effectuer ce genre de travail. Ce qu’à fait Kouchner, c’est bien plus qu’un simple rapport : ça vaut de l’or en barre ! On peut même dire qu’on a été sous-payé » Une affirmation peut-être un peu hasardeuse…
Quand le « chevalier blanc » Kouchner rencontre le « chevalier noir » Bongo
Un proche de Bernard Kouchner que nous avons interrogé se lance même dans une métaphore plutôt osée : « On voudrait nous faire croire que Bongo, chevalier noir, aurait déteint sur Kouchner, chevalier blanc. Mais c’est tout le contraire ! » Et notre interlocuteur privilégié de décrire un Bernard Kouchner, disant ses quatre vérités, « les yeux dans les yeux » à Omar Bongo : « Bernard Kouchner est la seule personne qui a pu dire à Omar Bongo : “ L’hôpital qui porte le nom de ta mère est dans un état inacceptable. C’est inacceptable que tu ne fasses rien pour lui. Tu as l’argent pour le remettre en état !” »
Pour quel résultat ? N’est-ce pas plutôt Omar Bongo qui souhaitait acheter l’image du French doctor ?
Ainsi, un proche de l’équipe ayant réalisé le rapport d’octobre 2007 commandé par le Quai d’Orsay (voir plus haut) explique qu’après la remise de ce document, la France tout comme le Gabon « se sont empressés de le mettre au fond d’un placard… »
5/ Le nom de Bernard Kouchner a-t-il servi à décrocher ces contrats ?
« Absolument pas ! » , répond Eric Danon à mon confrère Franck Mathevon, lors d’un long entretien mis en ligne, le 12 février dernier, sur le site de France-Inter
Dans cet entretien, le patron d’IMEDA explique avoir été sollicité par le Gabon pour mener à bien une étude sur l’assurance maladie, puis, dans un deuxième temps, avoir contacté Bernard Kouchner (en 2003) alors que le projet est déjà sur les rails :
« Le contrat initial était déjà bouclé, assure Eric Danon. La composante assurance-maladie a été rajoutée après lorsque nous avons présenté l’ensemble des consultants qui travailleraient sur ce dossier. »
Pourtant, lorsque nous l’avions sollicité en avril 2008 pour tenter de consulter, en vain, ce fameux rapport sur la santé au Gabon, Eric Danon reconnaissait : « le fait que Bernard Kouchner soit dans l’équipe a déclenché le contrat. » Interrogé sur ce point, il précise à présent que le nom de Bernard Kouchner avait bien servi à déclencher le contrat, mais « uniquement sur la partie assurance maladie. »
6/ Y-a-t-il conflit d’intérêt ?
Comme le révèle Pierre Péan, au moment où les sociétés liées à Kouchner travaillent pour le compte du Gabon et du Congo-Brazzaville, le futur ministre des affaires étrangères de Nicolas Sarkozy dirige un groupement d’intérêt public, Esther, susceptibles d’attribuer des subventions à des pays africains. Nommé par Jean-Pierre Raffarin à la tête de cette structure, en novembre 2004, Bernard Kouchner crée, deux mois plus tard, le 8 janvier 2004, sa propre société de conseil : « BK Consultants ».
Par ailleurs, le 13 janvier 2009, Xavier Monnier révèle sur le site internet Bakchich qu’Eric Danon relance la trésorerie paierie générale du Gabon, en août et septembre 2007, afin de régler un « reliquat » de 817 000 euros alors que Danon, patron d’IMEDA, vient d’être nommé par Bernard Kouchner ambassadeur à Monaco. Cette facture de 817 000 euros sera finalement réglée par Omar Bongo en janvier et mars 2008.
Dans l'entourage d'Eric Danon, on explique que ce dernier devait « remettre de l'ordre dans ses affaires, en tant que gérant d'IMEDA, en relançant le Gabon, avant d'être nommé officiellement ambassadeur. »
Un règlement effectué après intervention de Bernard Kouchner ? C’est ce que laisse entendre Pierre Péan dans son livre (p. 316-317), en soulignant qu’en mars et mai 2007, le ministre des affaires étrangères suggère à Omar Bongo « de régler une facture en souffrance. » Ce que conteste formellement Bernard Kouchner.
En tous cas, une semaine après le règlement de l’ultime facture gabonaise (le 11 mars 2008), Jean-Marie Bockel, qui souhaiter « signer l’acte de décès de la Françafrique », est débarqué du secrétariat d’Etat à la Coopération.
Autre élément, le journal « Libération » expliquait, hier, mardi 24 février 2009, qu’un rapport de l’Inspection des finances et de l’Education nationale a récemment rappelé à l’ordre les professeurs au Conservatoire national des arts et métiers, où Bernard Kouchner a enseigné, sur les « cumuls d’activités et de rémunérations » Le règlement stipule que les fonctionnaires « ne peuvent exercer à titre professionnel une activité privée lucrative de quelque nature que ce soit » (sous réserve de dérogations exceptionnelles) Une règle apparemment pas respectée par Bernard Kouchner.
Ainsi, le 25 janvier 2005, le professeur Kouchner intervenait devant le Conservatoire national des arts des métiers. Un cours justement consacré aux questions d’éthique, intitulé : « Médecine humanitaire : histoire, éthique et déontologie ».
Quand le ministre Bernard Kouchner évoque son travail de consultant… dans un colloque officiel
Interrogé à l’Assemblée nationale, le 4 février dernier, le ministre des affaires étrangères assurait avoir agi « en toute transparence et en toute légalité » : « A aucun moment au Gabon ou ailleurs, je ne me suis servi de mes fonctions ministérielles. A aucun moment, je n’ai fait de mélange des genres », s’est exclamé Bernard Kouchner.
Sur le plateau du 20 heures de France 2, le ministre réaffirmait n’avoir « jamais cédé au moindre conflit d’intérêt », n’hésitant pas à jouer sur la corde de l’émotion.
« Je n’ai jamais appartenu ni à Africa Steps, ni à Iméda » , affirmait même Bernard Kouchner, sur le plateau de David Pujadas, niant que ces sociétés aient été dirigés par des proches. Avant d’être démenti le lendemain par un cliché publié par le journal Challenges .
Si Bernard Kouchner explique avoir arrêté toutes ses activités de consultant le jour où il a été nommé ministre, il ne rechigne pourtant pas à évoquer cette activité, lors de ses interventions publiques comme ministre, comme en témoigne son discours prononcé le 7 mai 2008, à l’occasion d’un colloque intitulé : « La couverture du risque maladie dans les pays en voie de développement : qui doit payer ? » Un colloque en présence, notamment, d’officiels gabonais.
Dans son discours inaugural, consultable sur le site internet du quai d’Orsay, le ministre Kouchner estime qu’il ne faut « pas avoir peur de faire appel à des financements privés » en matière de santé, avant de citer en exemple… le « consultant » Kouchner :
« Un certain nombre de pays ont inventé des politiques visant à renforcer un système de couverture du risque malade ambitieux, d’autres ont exprimé leur désir et leur volonté d’y parvenir, déclare ainsi Bernard Kouchner dans ce discours. Certaines de ces expériences méritent d’être poursuivies et peuvent servir d’exemples. Je pense à la Thaïlande, au Rwanda ou à l’Inde. Je pense à l’Afrique, où j’ai participé à des expériences passionnantes et à des formations inédites et efficaces. »
« Des expériences passionnantes » et des « formations inédites et efficaces » qui n’apparaissent plus dans la version vidéo de ce discours (ce n’est pas la seule coupe effectuée dans la vidéo) consultable sur le site du ministère des affaires étrangères (visible à 2’51).
7/ Kouchner a-t-il travaillé pour d’autres pays africains ?
Dans ses interventions publiques, en réaction au livre de Pierre Péan, Bernard Kouchner cite de nombreux pays pour lesquels il a travaillé comme consultant : le Nigéria, le Bénin, l’Ukraine, la Roumanie, la Pologne. Ce que confirme l’Express, le 12 février dernier.
Pas un mot, en revanche, sur le Niger.
Pourtant, une page du site Internet d’Iméda (qui n’est plus accessible aujourd’hui) datée du 18 octobre 2007 que nous avions conservée dans nos archives faisait bien apparaître la « mise en place d’un programme pilote d’assurance maladie communautaire lié au micro-crédit » au Niger, commandé en février 2005 au « dr Bernard Kouchner, directeur de BK Conseil » .
Un document également déniché par nos confrères de Challenges , le 10 février dernier, grâce à un site internet qui leur a permis d’avoir accès à cette page web aujourd’hui disparue.
Un rapport sur le micro-crédit au Niger officiellement effectué… à titre bénévole !
Interrogé sur ce point précis, Eric Danon, le patron d’IMEDA, affirme qu’« il n’y a jamais eu de contrat avec le Niger. » Pourtant, Bernard Kouchner et lui se seraient bien rendus sur place à plusieurs reprises : « trois fois » pour Bernard Kouchner, « cinq fois » pour Eric Danon. « Des travaux » auraient même été rendus à Niamey sur cette question du micro-crédit et de l’assurance-santé. « Nous voulions préparer une nouvelle spécialité d’IMEDA » , explique Eric Danon. Bernard Kouchner était très intéressé à l’idée de travailler sur la micro-assurance de santé. Mais nous n’avons jamais demandé d’argent… »
Des travaux effectués au Niger à titre bénévole, mais jamais concrétisés par un contrat pour une « question de temps » ? Difficile à croire. Nous n’avons pu obtenir la version du ministère de la santé, au Niger.
Enfin, le 9 février dernier, le site internet Bakchich révélait, sans être démenti, qu’en tant que ministre des affaires étrangères, Bernard Kouchner « a fait conclure au Quai d’Orsay un très gros contrat de santé publique au Kurdistan irakien au profit de ses proches amis » : 25 jours de présence pour 275 466 euros, deux fois plus que les tarifs conseillés par la Banque mondiale.
8/ Quelle conséquence politique ?
Jusqu’ici Bernard Kouchner a bénéficié d’un soutien politique quasi-unanime, dans la majorité comme dans l’opposition (à l’exception notable d’Arnaud Montebourg au PS).
Le véritable sujet, à savoir les relations d’affaires entre d’éminents représentants de la « Françafrique » et un homme devenu ministre des affaires étrangères ayant construit toute sa carrière sur « la défense des victimes » et des droits de l’Homme, a souvent cédé la place dans la presse aux « contre-feux » médiatiques du ministre (le prétendu antisémitisme de Pierre Péan), ou à la polémique sur la vision, certes contestable et contestée, de Pierre Péan concernant le génocide rwandais.
Après la « mousse médiatique », l’affaire Kouchner semble, pour l’instant, faire long feu.
photo : Bernard Kouchner à l'Assemblée le 4 fevrier 2009. © Philippe Wojazer/Reuters
Bruno Ben Moubamba : « Bernard Kouchner doit démissionner »
Pourtant, pour le militant associatif gabonais, Bruno Ben Moubamba, ces liens privilégiés entre Bernard Kouchner, Omar Bongo et Denis Sassou-Nguesso devraient désormais contraindre le ministre des affaires étrangères à quitter ses fonctions : « On ne peut pas avoir la dictature sélective et vendre son âme au diable.»
Bruno Ben Moubamba (5’28")
Quand l’entourage d’Omar Bongo menace la France d’un « grand déballage »
Cette « affaire Kouchner » cache également des règlements de comptes au sein du petit monde « françafricain. » Libreville ne comprend pas que Paris n’ait toujours pas écarté définitivement la menace d’une enquête judiciaire sur les biens mal acquis d’Omar Bongo et Denis Sassou-Nguesso. D’où la volonté d’Omar Bongo, ou de ses proches, de faire passer certains « messages » à Nicolas Sarkozy, qui doit se rendre, fin mars, dans la région.
Ainsi, la semaine dernière, la fille du président gabonais, Pascaline Bongo, a fait changer à la dernière minute la « une » d’un journal gabonais, « Le Nganga », afin d’insérer un article menaçant de révéler l’argent gabonais qui serait allé dans la poche de certains « décideurs » français.
Voir l’ancienne « une » du journal
Voir la « une » remaniée du journal. L’article en question est en bas, à droite.
Dans cet article intitulé « Quel Français n’a jamais goûté au Bongocéfa ? » [NDR : l’argent de Bongo], sont notamment montrés du doigt « ces hommes d’affaires Français qui font florès au Gabon, et qui ont acquis des privilèges grâce à la magnanimité d’OBO. » [Omar Bongo Ondimba] Et de citer « le monopole de Veolia » dans le domaine de l’eau, ou encore les entreprises françaises du « BTP » et de « la grande distribution » qui « tirent un maximum de profit de l’argent de l’Etat gabonais », au détriment des « américains » et des « chinois. » Le message est clair : Libreville menace de mettre des contrats commerciaux dans la balance… « Mieux, quand on regarde les hommes politiques Français, poursuit l’article, qui peut lever son petit doigt, pour démentir qu’il n’a pas été gâté aux délices d’Omar Bongo. A chaque élection présidentielle en France, il y en a même qui bénéficient des largesses d’OBO. »
Dans sa dernière édition (datée du vendredi 20 février 2009), « Le Nganga » frappe encore plus fort en titrant, pleine page, à la « une » : « La France ne veut plus du Gabon ! »
Dans cet article au vitriol sont vilipendés les acteurs de la société civile gabonaises, la presse française « barbouze de la plume » qui s’en prend « de manière injurieuse, irrespectueuse, outrecuidante » à Omar Bongo, « les 10 000 Français qui vivent ou s’enrichissent au Gabon par l’entremise des grands groupes Français, Bouygues, Vinci, Total » , ou encore Bernard Kouchner « qui après un audit sur la situation sanitaire du Gabon n’a pas craché sur le milliard et quelques que l’Etat gabonais a payé pour son expertise. » Même les proches de Nicolas Sarkozy ne sont pas épargnés, le journal gabonais recommandant à la presse française de « s’interroger sur l’hôtel particulier de Carla » , au lieu de s’intéresser au patrimoine immobilier de Bongo.
Cette affaire aura-t-elle des conséquences politiques pour Bernard Kouchner ?
Lors de son intervention télévisée, le 5 février dernier, Nicolas Sarkozy a maintenu « totalement » sa confiance à son ministre des affaires étrangères, écartant la question éthique posée par cette affaire : « Il me dit qu’il n’y a aucun conflit d’intérêt, je le crois, et je lui maintiens ma confiance, a déclaré le chef de l’Etat. Monsieur Kouchner a-t-il des ennuis avec la police ? Monsieur Kouchner a-t-il des ennuis avec la justice ? Non. Un monsieur fait un livre, il ne m’appartient pas de juger de la qualité de ce livre. Dans ce livre, ce monsieur dit que monsieur Kouchner n’a rien fait d’illégal et le petit système médiatique s’emballe et accuse monsieur Kouchner. Je devrais dire, moi, au ministre des affaires étrangères, Bernard Kouchner, qui a eu le courage d’apporter son talent, et il est grand, au service de la politique étrangère de la France, que je le lâche parce qu’il y a un livre qui a été fait ? »
La presse anglo-saxonne, qui a traditionnellement la dent beaucoup plus dure sur les questions de conflit d’intérêt, s’est montré, à cet égard, beaucoup plus incisive qu’en France sur « le cas Kouchner. »
Les Etats-Unis, ont récemment montré un tout autre exemple.
Ainsi, début février, Tom Daschle a renoncé à son poste de secrétaire d’Etat à la Santé, suite à un impayé d’impôts de 120 000 dollars. Auparavant, il avait annoncé que son épouse quittait son travail de lobbyiste pour cause de conflit d’intérêt. Quant à Nancy Killefer, qui devait diriger le programme de lutte contre les gaspillages de l’administration, elle a écrit une lettre au président Obama pour renoncer à son poste, à cause d’un litige fiscal qui causerait, selon elle, « une diversion et un retard dans sa mission qu’il faut absolument éviter. »
Une autre planète…
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