lundi 16 mars 2009
« Condorferries, l’évasion est déjà à bord », proclame la brochure publicitaire de la principale compagnie effectuant la traversée entre Saint-Malo et Jersey. On ne pouvait trouver meilleur slogan pour promouvoir ce paradis de l’évasion fiscale situé à quelques encablures de côtes françaises. Avec quatre-vingt-dix banques (une pour 1 000 habitants), 53% du produit national brut de l’île est généré par le secteur financier. Un secteur qui, il y a quelques mois encore, semblait insubmersible (lire « La tourmente financière vue d’un paradis fiscal », par Olivier Cyran, Le Monde diplomatique, décembre 2008).
Pourtant, les lignes bougent. Les paradis fiscaux figurent parmi les principaux responsables désignés de la crise financière, et le sujet devrait être au cœur de la conférence du G20 qui se tiendra début avril. Alors que la banque suisse UBS vient, sous la pression des Etats-Unis, d’accepter de livrer trois cents noms de clients accusés de frauder le fisc américain, Andorre, le Liechtenstein et la Belgique annoncent une levée partielle de leur secret bancaire. Quant à Jersey, il multiplie les accords bilatéraux d’échanges d’informations. Parmi les derniers en date : un accord avec la France et un avec le Royaume-Uni. Objectif pour tous ces pays : sortir de la liste noire des paradis fiscaux éditée par l’OCDE, qui est en train d’être remise à jour.
C’est dans ce contexte qu’une cinquantaine d’ONG et d’associations venues des quatre coins de l’Europe (1) se sont réunies au sein d’une « Plateforme paradis fiscaux et judiciaires », et ont organisé à Jersey, les 12 et 13 mars, deux journées de réflexion et de protestation, afin d’exiger une plus grande régulation du système financier international.
Cette action se situe dans la lignée de la manifestation « Etonnants paradis », qui, en 2001, avait réuni environ trois cents manifestants, encadrés par une police anti-émeute venue spécialement d’Ecosse. « A l’époque, la presse locale avait titré : “Les anarchistes français débarquent à Jersey” ! », s’amuse Jacques Harel, représentant d’Attac-Saint-Malo. Cette fois, pas question de faire des vagues. Il s’agit de profiter de la réunion à Londres des ministres des finances du G20 pour interpeller l’opinion sur la question des paradis fiscaux, et non de faire une manifestation de masse.
Une conférence-débat, à laquelle étaient conviés les habitants le jeudi 12, a été l’occasion d’évoquer avec eux et en présence d’élus de l’opposition l’avenir de l’île. Car Jersey n’est plus à l’abri de la crise : de plus en plus, des inquiétudes se font sentir au sein de la société quant à la pérennité du système et l’on commence à évoquer du bout des lèvres une éventuelle reconversion. « Et si des endroits comme Jersey sont amenés à souffrir des changements que nous exigeons, nous n’avons pas peur de dire qu’il est du devoir de la communauté internationale de les aider à changer, à devenir moins nuisibles », explique Jacques Harel.
Avec la fermeture de l’un principaux magasins du centre de Saint-Hélier, Woolworths, qui employait quatre-vingt-huit personnes – en majorité des femmes –, le pays a connu l’un des premiers effets concrets de la crise. Même si cet événement n’a pas entraîné de protestation majeure, y compris de la part des victimes, il a été vécu comme un choc sur l’île.
Une visite guidée de Saint-Hélier, dont le front de mer est défiguré par le béton mais dont la sécurité est assurée par la présence de dizaines de caméras de vidéosurveillance, a été l’occasion de s’arrêter devant une dizaine de grandes enseignes bancaires et de faire la lumière sur ces « trous noirs de la finance ». Selon le Tax Justice Network, 60% des 1 000 milliards de dollars qui s’échappent de manière illicite des pays en voie de développement proviennent de l’évasion fiscale des entreprises internationales. « La fraude fiscale en France équivaut à peu près au niveau des rentrées fiscales provenant de l’impôt sur le revenu ou au niveau d’un déficit budgétaire “normal”. Pour les différents Etats de l’Union européenne, en moyenne, la fraude fiscale représente environ 15% de leur budget », note en outre Jacques Harel.
(1) Parmi lesquelles Attac, Les Amis de la Terre, Oxfam International, Tax Justice Network, Christian Aid ou le CCFD.
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