Al Giordano a enquêté sur l'hôte du Président. Pour lui, les liens de Ramirez avec le narcotrafic ne sont pas de vieilles rumeurs.
(De Mexico) Il y a deux semaines, Rue89 s'interrogeait sur la réputation sulfureuse du banquier qui a accueilli Nicolas Sarkozy et son épouse lors de leur séjour au Mexique.
En rappelant que Roberto Hernandez Ramirez avait été accusé par la presse d'avoir entretenu des liens avec le narcotrafic, et que les procès en diffamation intenté par ce banquier contre ses accusateurs avaient échoué, tant au Mexique qu'aux Etats-Unis.
Samedi, sur le plateau de « + Clair », l'émission de Canal+, le porte-parole de l'UMP, Frédéric Lefebvre, a accusé Rue89 d'avoir relayé de simples « rumeurs ». (Ecouter le son)
Rue89 a rencontré Al Giordano, de passage au Mexique. Al Giordano est un des deux journalistes qui a gagné un procès contre Hernandez Ramirez, suite à des enquêtes qui révèlaient les activités pour le moins suspectes du banquier.
Le porte-parole de l'UMP, en France, estime que vos enquêtes sur les liens entre Hernandez Ramirez et le narcotrafic sont des « rumeurs » remontant aux « années 80 ». Il a déclaré sur un plateau de télévision que Ramirez n'avait jamais été inquiété...
Ces rumeurs ne datent pas des années 80, mais elles ont été confirmées par la Cour suprême de New York en 2001. Monsieur le porte-parole, pourquoi parlez-vous de rumeurs quand il s'agit de faits avérés, confirmés par la justice ? Qui cherchez-vous à protéger dans cette histoire ?
C'est une habitude de dénigrer ainsi en parlant de rumeurs, mais cette fois, pas de chance, la justice nous donne raison.
Comment avez-vous connu Roberto Hernandez Ramirez ?
Nous sommes en février 1999, je suis journaliste pour le Boston Phoenix et je viens au Mexique, dans la péninsule de Yucatan, pour couvrir un sommet sur le thème de la drogue entre le président mexicain Ernesto Zedillo et Bill Clinton. Je lis tous les journaux locaux, et l'un d'entre eux, Por esto !, m'interpelle particulièrement.
Sur sa couverture, ce journal affirmait que Roberto Hernandez Ramirez, l'homme qui a prêté une hacienda pour la réunion de nos deux présidents, était en fait un narcotrafiquant.
Je lis l'article et ses informations correspondent à mes propres enquêtes sur le fonctionnement du narcotrafic au Mexique et aux Etats-Unis. Donc je me rends au siège du journal et je rencontre l'auteur de l'article qui est en fait le directeur du journal, Mario Mendez Rodriguez.
Plus nous parlons de l'enquête, plus il me montre des documents très intéressants. Mario Mendez avait déjà publié ses conclusions en 1996, et depuis, il avait été attaqué dix-sept fois devant les tribunaux pour diffamation. Or Mario Mendez Rodriguez n'a jamais perdu aucun procès, fait très rare au Mexique.
Son enquête est fondée sur des photos qui montrent clairement des bateaux colombiens en train de débarquer de la cocaïne sur les plages des propriétés de Robert Hernandez Ramirez, et des avions qui partent des mêmes propriétés en direction du Nord.
Comment a-t-il obtenu de tels documents ?
Grâce aux pêcheurs qui travaillaient depuis toujours dans cette zone. Quand M. Hernandez s'approprie des eaux territoriales, en toute illégalité, soit dit en passsant, ses sbires menacent les pêcheurs et les empêchent de travailler au large de ses propriétés.
Il faut savoir que M. Hernandez possède plus de soixante kilomètres de côtes dans cette péninsule, que les locaux appellent le triangle de la cocaïne. Ces mêmes pêcheurs vont aller dénoncer au journal leur éviction, qu'ils pensent liée au trafic de drogue.
Ils vont beaucoup aider les photographes de Por esto ! à étayer les faits. Au même moment, il existait déjà des preuves de l'implication de sa banque, Banamex, dans des activités de blanchiment d'argent, suite à une enquête de trois ans des autorités américaines et de la DEA (l'agence antidrogue américaine) dénommée « l'opération Casablanca ».
Ceci n'était pas nouveau, presque toutes les banques mexicaines et américaines sont impliquées dans le blanchiment d'argent à différents niveaux.
Ce qui était nouveau, en revanche, c'est qu'un banquier, dont les activités illicites étaient bien connues dans le Yucatan, pouvait ainsi être l'hôte d'un sommet contre la drogue entre deux présidents, et ainsi prouver au monde qu'il était un homme respectable.
Je rentre donc aux Etats-Unis et je publie dans le Boston Phoenix cette enquête. Pour Banamex, il était compliqué d'attaquer un grand journal comme le Boston Phoenix : ils ne feront aucun procès.
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Comment en arrive-t-on alors à la justice new-yorkaise ?
En 2000, je fonde le site d'information The Narco News Bulletin : je voulais publier mes enquêtes sur le narcotrafic au Mexique, qui ne trouvaient pas d'écho dans les journaux classiques. Je les publie donc sur Internet et je traduis aussi en anglais le travail de Mario Mendez.
Et c'est là que, quelques mois plus tard, Banamex décide de nous attaquer devant la Cour suprême de justice de New York pour diffamation, arguant qu'ils n'étaient pas des narcotrafiquants, et que nos enquêtes ternissaient leur réputation.
En juillet 2001, le procès commence et la même semaine, Banamex est rachetée par Citigroup, la plus grande institution financière de la planète, où Roberto Hernandez obtient un siège au conseil d'administration. Nous nous retrouvons donc face aux géants de la finance.
Le jugement est rendu en décembre 2001 : la Cour suprême estime que Banamex n'a pas réussi à prouver que les faits incriminés étaient faux, ni que Narco News avait fait preuve de mauvaise foi.
Le jugement est capital : c'est la première fois qu'un tribunal américain estime que les Lois qui encadrent les grands médias, sont les mêmes pour les médias sur Internet.
Pourquoi ce jugement est si peu connu au Mexique ?
Essentiellement parce que Banamex est la banque qui prend le plus de publicités dans les médias mexicains, et que Roberto Hernandez Ramirez fait partie du conseil d'administration du groupe Televisa, la plus grande chaîne de télévision du pays.
Notre banquier est également l'ami de tous les présidents mexicains depuis vingt ans, autant dire qu'il est intouchable et que les autorités mexicaines n'ont jamais enquêté sur ces activités. Même si notre procès est traité par la presse américaine, le New York Times et le Washington Post par exemple n'en ont jamais parlé.
C'est pourquoi j'ai été si agréablement surpris de voir le courage de la presse française, pour parler de ces enquêtes, en disant qui est réellement Roberto Hernandez Ramirez.
Pourquoi pensez-vous que Nicolas Sarkozy est allé séjourner chez cet homme ?
Je n'en sais rien. Je suppose que Felipe Calderon a quelque chose à voir là-dedans, comme Zedillo avait quelque chose à voir dans le séjour de Clinton chez ce même Hernandez. Le plus incroyable c'est que l'initiative Mérida, le plan d'aide américain pour le Mexique et l'Amérique centrale, est également née dans une de ses haciendas, ce qui en dit long sur la corruption.
Pour Roberto Hernandez Ramirez, une manière de laver sa réputation est justement d'inviter chez lui des chefs d'Etats. Ce qui est sûr c'est que le gouvernement français ne pouvait ignorer qui est ce monsieur, d'autant plus qu'il est l'heureux propriétaire d'un superbe château dans votre pays.
Photos et illustration : Roberto Hernandez Ramirez (à gauche), avec le PDG de Citigroup Sandy Weil, en 2001 (Daniel Aguilar/Reuters), extrait de l'enquête du journal Por Esto ! consacrée à Roberto Hernadez Ramirez (DR), Al Giordano (DR).
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