À l’instar de l’ex-chef du PC sud-africain, ce « Palestinien hébreu », comme il se définit, rêve de voir deux peuples que tout oppose cohabiter au sein d’un seul et même État.
Quand les loups hurlent avec la meute, quand les faucons volent en escadrille, quand les internautes déversent leur bile sur la Toile, Uri Davis, lui, se déplace dans les rues de Ramallah, seul, au volant de sa Volkswagen Coccinelle jaune vif. Le regard bleu acier est adouci par une surprenante barbichette blanche et pointue que nombre de barbus aimeraient certainement tirer.
Car Uri Davis, élu cet été au Conseil révolutionnaire du Fatah, est un empêcheur de tuer en rond, un grain de sable dans l’engrenage de la violence. Il est le premier Juif israélien à accéder à l’instance suprême de l’organisation palestinienne fondée dans la clandestinité par Yasser Arafat en 1959. Son parcours s’inscrit aussi dans le sillage de celui du journaliste juif et antisioniste Ilan Halevi, aujourd’hui membre du Conseil des relations extérieures du Fatah, après avoir été vice-ministre des Affaires étrangères de l’Autorité palestinienne.
Casser les codes de la haine et de la vengeance, c’est une feuille de route complexe et surtout périlleuse. Qualifié au mieux de « débile mental », au pire d’« ordure » ou de « traître » par les courageux chroniqueurs sionistes de la blogosphère, Uri Davis sait que sa mort, brutale ou naturelle, ne sera pas partout accueillie avec tristesse au pays d’Itzhak Rabin ou dans la diaspora. Mais il n’en a cure et affiche un optimisme qui pourrait confiner à l’idéalisme.
Né de père britannique et de mère tchèque à Jérusalem il y a soixante-sept ans, celui qui fut l’un des tout premiers objecteurs de conscience à refuser de servir dans Tsahal est aujourd’hui professeur de sociologie à l’université palestinienne d’Al-Qods, à un jet de pierre seulement du mur de séparation de 8 m de haut construit par les Israéliens. Ses parents juifs lui ont appris à ne « jamais généraliser » en lui rappelant que « ce n’étaient pas tous les Allemands, mais les nazis » qui avaient tué une partie de sa famille à Auschwitz. « Un des principaux problèmes quand on s’adresse à des interlocuteurs sionistes, c’est l’abolition de la différence entre justice et vengeance », déplore-t-il. Et le professeur Davis, marié en 2008 à une Palestinienne en quatrièmes noces, se comporte comme un théoricien de la paix. Il espère voir Palestiniens et Israéliens cohabiter un jour pacifiquement au sein d’un seul et même État fédéral. Il se dit partisan d’une « solution démocratique », un État binational juif et arabe. Interrogé sur le caractère utopiste de cette proposition, qu’aujourd’hui il prêche dans le désert, il répond avec une pointe d’humour British : « Je suis fier d’être un cas désespéré. »
Apartheid, le mot qui fâche
Car le nouveau cadre dirigeant du Fatah, qui se décrit aujourd’hui comme « un Palestinien hébreu », n’est pas du genre à emprunter les sentiers battus, comme « la solution de deux États » et « la terre contre la paix ». Non, son rêve pourrait s’inspirer du modèle sud-africain. C’est d’ailleurs toujours vers la nation Arc-en-ciel que s’envolent les pensées d’Uri Davis, qui n’aime rien tant que de citer Nelson Mandela, « diabolisé » pendant des décennies et qui, « en quatre ans seulement », a réussi à démanteler l’apartheid.
Apartheid, le mot qui fâche les sionistes. Car Uri Davis, le « Joe Slovo israélien », n’est pas seulement un cœur pur. C’est aussi une redoutable machine à saper la politique coloniale israélienne au niveau international. Il estime que seule une politique de sanctions vigoureuse et de boycottage contre l’État hébreu contraindra celui-ci à respecter, enfin, la légalité internationale. « Il n’y a pas que la carotte, il y a aussi le bâton », explique-t-il. Son livre Israël : un État d’apartheid, publié en 1987, avait posé les enjeux d’un débat jusque-là tabou. Les faucons et les colons n’ont oublié ni cette « provocation » ni son auteur : le professeur Davis et sa petite voiture jaune.
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