lundi 2 mars 2009
L’adoption d’un budget volontariste qui prévoit un déficit abyssal (1750 milliards de dollars, soit 12,3 % du PIB) témoigne du pessimisme des autorités américaines quant aux capacités de redressement du pays sans une implication colossale de l’Etat. Le premier discours sur l’état de l’Union prononcé par le président Barack Obama vient de le confirmer : « L’état de notre économie est un souci qui l’emporte sur tous les autres. » De fait, dans son allocution d’un peu moins d’une heure adressée aux corps constitués, et au-delà au pays tout entier, la politique étrangère n’a occupé que cinq petites minutes.
On a beaucoup comparé le discours du président démocrate, le 24 février dernier, à la proclamation, fameuse, de Ronald Reagan lors de sa prise de fonction (20 janvier 1981) : « L’Etat n’est pas la solution de notre problème, il est le problème. » Le contraste est presque plus parlant encore entre le propos de M. Obama et celui d’un de ses prédécesseurs démocrates, M. William Clinton. Ce dernier annonça en janvier 1996 : « L’ère de l’Etat puissant est révolue. » Puis, au nom de cette conviction, il déréglementa le système financier américain…
Pour M. Obama, au contraire, l’Etat va devoir (presque) tout faire. En particulier renverser le cours d’une politique qui a « transféré davantage de fortune aux plus fortunés », sans oublier d’« éviscérer les réglementations en vue de réaliser un profit rapide ». Tout faire, c’est d’abord créer des emplois. Le président des Etats-Unis en annonce 3 500 000 grâce à sa politique. Il précise : « Plus de 90 % de ces emplois seront dans le secteur privé, pour la remise en état de nos routes et de nos ponts, la construction d’éoliennes et de panneaux solaires, la mise en place de services Internet à large bande et le développement des transports en commun. »
Mais comment procéder ? D’une part, M. Obama escompte qu’une baisse des impôts se traduira par une relance de la consommation. La recette, un peu dérisoire compte tenu de l’état calamiteux de l’économie américaine (le PIB a baissé de 6,2 % au dernier trimestre 2008 !), serait presque républicaine – MM. Reagan et Bush n’ont cessé d’y avoir recours –si le président démocrate n’avait pas annoncé que les 5 % d’Américains les plus riches (ceux qui gagnent plus de 250 000 dollars par an) verraient, au contraire, leur facture fiscale augmenter.
Cependant, c’est d’abord du rétablissement de la situation des banques que le président des Etats-Unis attend une reprise éventuelle de l’activité. Après avoir rassuré ses compatriotes en des termes qui a contrario signalent leur angoisse, individuelle et collective – « Chaque Américain doit savoir que l’argent qu’il a déposé dans les banques du pays ne court aucun risque » –, il s’est fait pédagogue afin de justifier la nécessité de son plan d’aide aux banques dont l’image est désastreuse : « Je sais à quel point il est impopulaire d’être perçu comme volant au secours des banques. » Néanmoins, « il ne s’agit pas de les aider, mais d’aider les gens ». Car, explique M. Obama en ayant recours à des exemples vivants, les crédits accordés par les premières permettront aux seconds d’acheter une maison, ce qui donnera ensuite du travail aux menuisiers, aux plombiers, etc. Lesquels disposeront donc d’assez d’argent pour acheter une voiture. Et ainsi de suite. C’est d’autant plus urgent, rappelle-t-il, qu’en ce moment « le crédit a cessé d’alimenter l’économie comme il le devrait ».
L’enclenchement d’un tel cercle vertueux (crédits bancaires, dépenses d’équipement, revenus des particuliers) comporte un préalable, le retour à une certaine vertu dans les établissements financiers. « Nous allons nettoyer leurs bilans, les rendre pleinement responsables de chaque dollar qu’ils reçoivent. Ils devront clairement prouver comment l’argent du contribuable se traduit par plus de prêts pour le peuple américain. Cette fois, les P.D.G. ne pourront pas utiliser l’argent public pour gonfler leur salaire, acheter des rideaux élégants ou disparaître dans des avions privés. Ces temps sont révolus ! »
L’urgence et le montant des sommes engagées interdisent-ils aujourd’hui de faire davantage que de parer au plus pressé ? Le président américain repousse un tel choix. Et il avance à cette occasion une analyse de fond du rôle de l’Etat qui théorise la rupture avec le modèle ultra-libéral repris par tous ses prédécesseurs depuis au moins 1981 (1). « Je rejette l’idée, précise M. Obama, selon laquelle l’Etat n’a pas un rôle à jouer dans l’installation des fondations de notre prospérité commune. Car l’histoire nous raconte tout autre chose. » Le New Deal, la construction d’un réseau routier par le gouvernement fédéral, les bourses universitaires, la conquête de la Lune sont tour à tour invoqués à l’appui de cette affirmation.
Puisque l’Etat a décidément un rôle à jouer, le président démocrate s’est fixé trois priorités dont on peut difficilement discuter la pertinence ou l’urgence : l’énergie, la santé, l’éducation.
La première renvoie aussitôt aux problèmes de l’industrie automobile (lire « Le cœur de l’automobile américaine a cessé de battre », par Laurent Carroué, février 2009), dont les dirigeants sont jugés coupables de n’avoir pas assez anticipé le renchérissement tendanciel du prix du pétrole. Cette industrie, puissante dans le Midwest que connaît bien l’ancien sénateur de l’Illinois, M. Obama ne l’abandonnera pas. Tout en se déclarant inquiet devant « la possibilité d’une montée du protectionnisme » (lire, sur ce sujet, le dossier du Monde diplomatique du mois de mars, « Le protectionnisme et la fureur de des ses ennemis »), le président des Etats-Unis martèle son souci que les prochaines voitures et les camions, économes en carburant, soient « construits ici en Amérique » : « La nation qui a inventé l’automobile ne peut pas la laisser tomber. » Une telle insistance repose sur le postulat que le salut viendra des technologies « propres » (2). Elles aussi devront être développées sur le sol américain : « Je n’accepte pas un avenir dans lequel les emplois et les industries de demain prendraient racine au-delà de nos frontières. Et je sais que vous non plus. » Autant de proclamations qui sonneront étrangement aux oreilles des libre-échangistes vu que, pour eux, un chef de l’Etat n’a pas pour fonction de déterminer quel pays produit quoi ; c’est le marché qui s’en charge — théorie des avantages comparatifs (3).
La deuxième priorité de la Maison Blanche concerne l’assurance maladie, dont près de 50 millions d’Américains sont privés. L’engagement présidentiel en la matière est solennel : « Le coût de notre système de santé a plombé depuis trop longtemps notre économie et notre conscience. Que nul ne doute de ceci : la réforme de la santé ne peut pas attendre, elle ne doit pas attendre et elle n’attendra pas une année de plus. » Reste, bien sûr, à savoir à quoi elle ressemblera, le terme de « réforme » étant employé un peu partout pour habiller le meilleur comme le pire. Mais, le pire en matière de santé, des dizaines de millions d’Américains en disposent déjà…
Enfin l’éducation. Là, le président a fait appel à la responsabilité individuelle et familiale, un registre plutôt conservateur – et à ce titre bien accueilli par les parlementaires républicains, en général silencieux pendant son discours, qui venaient de repousser massivement le budget présenté par la Maison Blanche. Selon M. Obama, « d’ici 2020, l’Amérique comptera la proportion la plus élevée de diplômés du supérieur dans le monde ». Cependant rien de très précis n’a encore été annoncé pour remédier au coût exorbitant des études universitaires.
Cinq minutes pour la politique étrangère ? Ce fut juste assez pour réitérer la volonté présidentielle de « terminer de manière responsable cette guerre » (4), celle d’Irak, de « vaincre l’extrémisme », de fermer la prison de Guantanamo. Et de proclamer : « Vivre conformément à nos valeurs ne nous affaiblit pas, cela nous rend plus sûrs. Les Etats-Unis d’Amérique ne pratiquent pas la torture. » Pour le moment, c’est un engagement, pas (encore) un constat. Et, conformément aux mêmes valeurs, la peine de mort reste en vigueur dans les deux tiers des Etats américains.
Le discours du M. Obama a été plutôt bien reçu par ses compatriotes. Mais la dégradation vertigineuse de l’économie américaine, dont la chute des cours de la Bourse témoigne à sa manière, suggère que le président des Etats-Unis n’a pas fini de chercher à les rassurer. Et de leur annoncer de nouvelles actions de l’Etat.
La prochaine concernera-t-elle la nationalisation des banques ?
(1) Et sans doute même depuis la présidence de M. James Carter. Lequel, dans un discours fameux, expliqua en 1978 : « Ce n’est pas l’Etat qui peut résoudre nos problèmes. Il ne peut pas fixer nos objectifs. Il ne peut pas définir notre vision. Il ne peut éliminer la pauvreté ou assurer l’abondance ou réduire l’inflation. Il ne peut pas sauver nos villes, lutter contre l’analphabétisme ou nous procurer de l’énergie. [...] C’est au secteur privé et non à l’Etat qu’il convient de conduire l’expansion à l’avenir. [...] En somme, nous ne pouvons pas diriger tout et tout le monde en même temps » (Cité dans Le Grand bond en arrière, Fayard, 2006, p. 103.)
(2) Lire, à ce sujet, dans l’Atlas du Monde diplomatique, « Un monde à l’envers », les treize planches et articles du dossier « Les défis de l’énergie ».
(3) Selon cette théorie, développée par l’économiste anglais David Ricardo (1772-1823), la richesse de tous progresse quand chaque Etat se spécialise dans le domaine où il excelle et achète à l’étranger tout ce que les autres produisent plus efficacement que lui.
(4) M. Obama a annoncé le retrait d’Irak des « troupes de combat » d’ici l’été 2010, le maintien ensuite de 35 000 à 50 000 militaires (sur près de 140 000 en ce moment), enfin le départ de toutes les forces américaines au 31 décembre 2011.
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