Vendredi 13 février sur France-Inter, le leader syndicaliste guadeloupéen Elie Domota a lancé : "Nous ne sommes pas des sous-hommes." Le mépris qu'il évoque est-il encore d'actualité dans la société française ?
La question de l'histoire de l'esclavage a beaucoup évolué depuis quinze ans, mais avant 1998 [date du 150e anniversaire de l'abolition de l'esclavage] il n'y avait pas de conscience que la France, pendant près de quatre siècles, avait organisé la traite négrière et l'esclavage. Il y a plusieurs raisons à ce sentiment d'être marginalisé : l'histoire, l'éloignement géographique, l'état du foncier et la situation économique dans ces terres.
Dans quelle mesure la société des DOM est-elle restée marquée par une culture coloniale ?
Françoise Vergès : Cette société n'est pas restée figée. Toute une part de l'économie reste dans les mains des descendants des grands propriétaires d'esclaves, mais beaucoup de petites et moyennes entreprises sont tenues par des descendants d'esclaves. Néanmoins, il reste des immobilismes, qui ressortent dès qu'il y a un mécontentement. La propriété foncière reste dans les mêmes mains. A l'abolition de l'esclavage, les anciens propriétaires d'esclaves ont été indemnisés pour leurs "pertes". Les affranchis n'ont rien reçu, leurs anciens propriétaires sont partis avec un capital.
Tout le commerce d'importation est aux mains de ces descendants d'esclavagistes, la situation économique est presque la même qu'à l'époque de la décolonisation. Les gouvernements qui se sont succédé en France ont toujours préféré favoriser l'assistanat plutôt que la responsabilisation, malgré les demandes d'autonomie répétées. L'économie de ces territoires est longtemps restée centrée sur le sucre, la banane, l'ananas, des productions agricoles qui souffrent de la mondialisation et qui sont de moins en moins viables. Aujourd'hui l'emploi se concentre dans le secteur marchand et la fonction publique. Il faut repenser cette économie, de façon viable et en fonction de l'environnement. L'avenir de ces sociétés ne peut pas se penser dans une relation exclusive avec la métropole, mais doit s'inscrire dans leur région.
Les référence historiques, à l'esclavage ou à la répression des émeutes de 1967, sont très présentes dans les manifestations actuelles. Pourquoi ?
Françoise Vergès : L'esclavage reste une source importante de métaphores, d'analogies, de comparaisons. Cette mémoire est restée forte, les habitants des DOM ne peuvent pas supporter que cela reste un détail pour les habitants de la métropole. Le passé pèse sur le présent, et pas seulement de manière abstraite : ces sociétés sont issues de l'esclavage. Pour que ce passé devienne intégré, la France doit reconnaître et célébrer la contribution des femmes et des hommes de l'outre-mer. Pas seulement dans le sport ou la musique, mais aussi dans les combats pour la liberté. Louis Delgrès [figure historique de l'opposition à l'esclavage en Guadeloupe] est aussi important que les autres héros de la Révolution française. Mais les choses bougent : depuis plusieurs années, le sujet du passé colonial et esclavagiste de la France devient actuel, avec les débats sur les thèmes de la diversité, de la discrimination positive.
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