Les Guadeloupéens sont dans la rue comme en 1952, quand une grève des ouvriers de la canne à sucre avait agité l'île pendant trois mois et demi, en mai 1967, lors d'émeutes qui annonçaient les agitations métropolitaines de l’année 68, ou encore en 1971 pour ce que l’on a appelé "les grandes grèves".
Aujourd’hui, on entend dans toutes les manifestations: "La Gwadloup sé tan nou, la Gwadloup a pa ta yo" ("La Guadeloupe c'est à nous, la Guadeloupe n'est pas à eux"), un refrain écrit par le poète Jackie Richard qui, une fois enregistré sur disque, va très certainement devenir un tube.
La Guadeloupe est l’île la plus rurale des Caraïbes françaises avec ses milliers d’hectares de cannes à sucre. Nombre de frustrations guadeloupéennes trouvent leurs origines dans l’héritage colonial, les résidus de la période d’esclavagisme, et cette organisation qui laisse entre les mains des békés (descendants des familles blanches) la majorité des terrains et des moyens de production de l’île.
Des musiques hérités de la culture des "Marrons", les esclaves révoltés
Cette situation, même si elle n’a plus rien à voir avec de l’esclavage, couplé au problème des prix trop élevés, ranime des émotions toujours très vives au sein des populations les plus fragiles. Ces ressentiments se retrouvent traditionnellement dans les textes qui accompagnent les musiques guadeloupéennes.
Outre le zouk du groupe Kassav, depuis des décennies, l’identité musicale des Guadeloupéens reposait sur le gwo ka. Une musique héritée de la culture des "Marrons", ces esclaves révoltés qui se sont enfuis des plantations pour se cacher dans les forêts. Le ka, un tambour confectionné avec les tonneaux appelés quarts, qui servaient à conserver la viande séchée et le rhum, était l’unique moyen de communication entre les communautés d’insurgés.
Avec l’abolition de l’esclavage va se développer une tradition de fêtes rurales inspirées de ce qui se passait dans la forêt. Des groupes de percussionnistes, chanteurs et danseurs vont se former et populariser ce qui deviendra le gwo ka.
Des artistes engagés, évoquant le quotidien et les injustices
Guy Conquete, Germain Calixte, Vélo ou le célèbre Robert Loyson, qui signe des textes comme "La Guadeloupe trenglé", étaient tous des artistes engagés, parlant du quotidien et des injustices que supportaient les plus faibles, les populations noires en l’occurrence.
Le groupe Kan'nida, formé au début des années 80, perpétue la tradition du gwo ka en jouant des chants de labour de leur région des Grands Fond, comme ici sur la scène du festival Mawâzine à Rabat, en mai 2005. (Voir la vidéo)
Il est encore trop tôt pour trouver des musiciens ayant enregistré des chansons directement en rapport avec cette récente crise, mais on peut tout de même s’apercevoir que les nouvelles générations, comme un peu partout en France, ont récupéré le flambeau des anciens grâce au ragga et au hip hop, continuant à développer une imagerie de descendants d’esclaves.
Admiral T, toaster émérite, véritable star du ragga dans son île et bien au-delà, chante le désarroi des populations depuis longtemps. Par exemple, sur ses morceaux "Gwadada" ou "Ti Moun Ghetto", dont voici le clip. (Voir la vidéo)
Côté rappeurs, un nom connu et très engagé est celui de Fuckly. Comme de nombreux confrères, il parle surtout des ghettos guadeloupéens, mais aujourd’hui, le désespoir dépassant largement le cadre des cités, la peinture qu’il fait de sa société n’en est que plus édifiante. Le clip de "An ni marre". (Voir la vidéo)
D’autres moins connus comme Dee Kross avec le morceau "An priyè" expriment leur vision sur des rythmes samplés dans des disques de gwo ka. Et la liste des rappeurs guadeloupéens est encore longue: NDX, No Klan, Forsay, Dawa…
Alors bien sûr, la Guadeloupe ne se résume pas à son gwo ka et à ses jeunes rappeurs, même si ces derniers font survivre cette tradition dénonciatrice et critique. Nombre d’autres musiciens tiennent une place importante.
Un groupe comme Soft, très populaire dans l’île, qui offre une fusion musicale subtile et des textes conscients aura lui aussi son mot à dire. Timalo, jeune slameur dont l’album "Pawol Funk-kè" vient de sortir, aura certainement des vers consacrés à ces problèmes… Bref, les mois à venir s’annoncent inspirés pour tous les musiciens guadeloupéens.
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