mercredi 15 juillet 2009
« La réforme arrive. Il nous faut réparer un système cassé. Le statu quo ne peut plus être admis », a annoncé le vice-président américain Joseph Biden le 8 juillet. Il faisait référence à la réforme du système de protection médicale, dont nul n’ignore plus qu’il accomplit le prodige d’être à la fois (de loin) le plus coûteux du monde (1) et l’un de ceux qui laissent totalement à l’écart une proportion considérable de la population (47 millions d’Américains avant la crise). Avec l’escalade impressionnante du chômage, qui a officiellement doublé depuis un peu plus d’un an (de 4,8 % de la population active en février 2008 à 9,5 % en juin 2009), ce sont chaque jour des milliers de familles supplémentaires qui se retrouvent non seulement sans emploi, mais aussi sans couverture médicale, laquelle est aux Etats-Unis très souvent payée par les employeurs.
Pour le parti républicain, qui affecte de croire que M. Barack Obama serait un dangereux révolutionnaire, le problème est ailleurs. Le 15 juillet, M. Michael Steele, son président administratif, s’est adressé aux souscripteurs habituels du parti : « Le président Obama et les démocrates du Congrès veulent un système de santé gouverné par l’Etat qui interposera un bureaucrate de Washington entre les familles américaines et leurs docteurs (...). Faites entendre votre voix avant que les démocrates d’Obama ne nationalisent un cinquième de l’économie américaine, ne nous engagent à des milliers de milliards de dollars de dépenses supplémentaires et de dette et ne commencent à rationner les soins administrés au peuple américain. (...) Ils avancent à marche forcée pour nous imposer un système de médecine socialisée à l’européenne (...) et entendent vous soutirer une fraction encore plus importante de vos revenus pour payer les soins des autres tout en rationnant les vôtres. »
Peu importe a priori ce que proclament les républicains, très minoritaires au Congrès, puisque, c’est certain, « la réforme arrive ». Soit, mais laquelle ? Dans son allocution hebdomadaire du 11 juillet, largement consacrée à ce sujet, le président Barack Obama a présenté avec beaucoup d’optimisme le calendrier à venir et les perspectives : « Le Sénat et la Chambre des représentants viennent d’adopter des textes qui vont réduire les coûts [de la protection médicale], garantir de meilleurs soins et endiguer les pratiques les plus scandaleuses des compagnies d’assurance afin que ces dernières cessent de refuser une couverture aux Américains sur la base d’un niveau de prévalence existant [un risque de maladie plus grand]. C’est un plan qui permettra aussi aux Américains de conserver leur protection médicale s’ils perdent leur emploi ou s’ils en changent. »
Le problème, c’est que pour parvenir à ce résultat et pour assurer la totalité de la population américaine « sans ajouter au déficit », le président démocrate a choisi de louvoyer avec les lobbies qui « tiennent » financièrement nombre de parlementaires. Et qui disposent par conséquent des moyens de veiller, comme ils le firent en 1993-1994 grâce à des campagnes publicitaires massives, à ce que leurs privilèges soient bien défendus. D’abord le lobby médical, qui devra s’engager à réduire le rythme d’augmentation de ses honoraires et la fréquence des hospitalisations et analyses prescrites aux patients (2), souvent pour prémunir les médecins contre d’éventuelles poursuites engagées par des avocats prédateurs (qui, eux non plus, ne manquent pas d’avocats au Congrès….) Ensuite, le lobby des assurances, lesquelles doivent cesser de n’assurer – à des prix exorbitants – que des malades en excellente santé. Celui, enfin, des laboratoires pharmaceutiques, capables à la fois de produire des médicaments beaucoup plus chers qu’ailleurs et d’interdire aux Américains de les acheter… ailleurs.
La solution envisagée pour le moment par l’administration démocrate, si elle implique davantage l’Etat, ne renonce pas pour autant à des solutions de marché dans un secteur, la santé, qui a tout intérêt à leur échapper. Bientôt, a expliqué le président Obama, les Américains pourraient donc « comparer les prix et choisir le plan qui répond le mieux à leurs besoins. L’un de ces choix serait un système public, dont la présence rendra les soins moins coûteux en créant une concurrence obligeant les compagnies d’assurance [privées] à rester honnêtes. »
Il n’est pas acquis que ce plan présidentiel, soucieux de ménager la chèvre et le chou, ne débouchera pas sur une usine à gaz, surtout quand tous les amendements des parlementaires auront été pris en compte. Au demeurant, que signifie vraiment « choisir le plan qui répond le mieux à ses besoins » dès lors que le « besoin » fondamental de chacun – demeurer en bonne santé – ne varie guère d’une personne à l’autre ? Or, pour remplir cet objectif élémentaire et universel, il faut cesser de réserver une place de choix à des compagnies d’assurance privées qui considèrent la santé d’abord comme un commerce. Cela, contrairement à ce que prétendent les criailleries républicaines, le plan annoncé ne le prévoit pas.
Pourquoi les médecins, assureurs et laboratoires pharmaceutiques américains réaliseraient-ils demain ce qu’ils n’ont jamais accompli hier, en particulier en matière de maîtrise des coûts ? M. Obama espère que la concurrence inédite d’un système public (aujourd’hui réservé aux très pauvres et aux personnes âgées), la détermination de la Maison Blanche et l’impatience de l’opinion apporteront la réponse. C’est un pari risqué. Compte tenu des enjeux sociaux et financiers qui en découlent, c’est aussi l’un des plus décisifs de sa présidence (3).
(1) En 2006, les dépenses médicales étaient de 6714 dollars par habitant aux Etats-Unis, de 4056 dollars en France, de 3912 dollars au Canada, de 3669 dollars en Allemagne, de 3361 dollars au Royaume-Uni et de 2690 dollars au Japon. Les résultats en matière de santé publique étaient en revanche presque toujours plus mauvais aux Etats-Unis, en particulier dans le domaine de la mortalité infantile (8 pour 1000 aux Etats-Unis, contre 5 pour 1000 en France, 6 au Canada, 5 au Royaume-Uni, 5 en Allemagne et 2,8 pour 1000 au Japon). Source : système d’information statistique de l’Organisation Mondiale de la santé (OMS). Selon une étude de cette même OMS couvrant dix-neuf pays industrialisés, la France est le pays qui a le plus faible taux de décès lié à des maladies curables, les Etats-Unis, le plus élevé.
(2) Depuis 1975, les dépenses de santé augmentent chaque année, en valeur réelle, à un rythme supérieur de 2,1 % à celui du reste de l’économie. Le président des Etats-Unis escompte que, dans les dix prochaines années, la seule maîtrise des coûts de santé pourrait permettre de réaliser 2 000 milliards de dollars d’économie.
(3) Dans un entretien accordé à Business Week, le 6 juillet 2009, M. Lawrence Summers, directeur du Conseil national économique de la Maison Blanche (President’s National Economic Council), a résumé ainsi l’impact financier de cette question de la maîtrise des dépenses de santé aux Etats-Unis : « Lorsqu’on établit des projections budgétaires à long terme, tout se résume aux dépenses de santé. Si nous pouvons modifier les projections de progression de dépenses ne fût-ce que de 1 % ou 1,5 % par an, nous pouvons réduire considérablement le niveau des déficits. »
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