par David Walsh | |
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Mondialisation.ca, Le 2 juillet 2009 | |
Publicité pour Moonwalker La mort du chanteur Michael Jackson à l’âge de 50 ans est véritablement attristante, sans être toutefois une très grande surprise. Etant donné l’ensemble des circonstances, il est difficile de concevoir comment son histoire aurait pu avoir une fin heureuse. Les individus qui profitent d’un immense succès et de la gloire aux Etats-Unis en paient si souvent un terrible prix. Assurément, un très grand nombre de personnes ont été émues par la mort de Jackson. Il fut après tout l’une des premières superstars mondiales et il aurait vendu environ 750 millions d’albums à travers le monde. Ceux qui aimaient sa musique et sa danse, et qui sympathisaient aussi peut-être avec ses évidents traumatismes personnels, vont être spontanément touchés par sa mort. A l’opposé, il y a les réactions des magnats de l’industrie du divertissement et les médias, accompagnés, de manière ridicule, de divers personnages politiques (du premier ministre britannique Gordon Brown et du ministre allemand de l’Economie Karl-Theodor zu Guttenberg à l’ancien président de la Corée du Sud Kim Dae-jung et l’ancienne première dame des Philippines, Imelda Marcos). Ici, les calculs financiers (et même politiques) rivalisent avec le cynisme. La mort de Jackson jeudi après-midi, dans une maison de Los Angeles qu’il louait, a provoqué un élan massif d’intérêt sur divers services en ligne, ainsi qu’une montée rapide des ventes de sa musique. Les sources de nouvelles des chaînes câblées et d’Internet ne traitent pratiquement que de cet événement. MTV a rapporté vendredi que « la musique de Jackson a réussi à occuper les 15 positions de tête de la liste des meilleurs vendeurs d’Amazon et la moitié des 20 albums et simples les plus téléchargés d’iTunes ». Ce ne serait pas commettre une injustice envers les cadres de l’industrie musicale, une couche réputée pour son comportement prédateur, que de supposer que la mort de Jackson fut immédiatement perçue dans certains milieux comme une occasion en or d’améliorer les ventes de disques de cette année qui sont en dégringolade (les analystes prévoient que les ventes globales de musique en 2009 totaliseront 23 milliards de dollars, soit une baisse de 16 pour cent par rapport à 2006). Dans une déclaration officielle, le directeur général de Sony, Howard Stringer, (dont la compagnie détient les droits de la musique de Jackson qui vend le mieux) a qualifié le chanteur de « brillant troubadour pour sa génération, un génie dont la musique fut le reflet de la passion et de la créativité d’une époque ». Bloomberg a pour sa part noté que Sony « pourrait voir ses revenus grimper par une reprise des ventes de CDs et de DVDs de l’ancienne icône de la pop ». Un analyste de Deutsche Bank AG de Tokyo a toutefois rafraîchit ces ardeurs en soulignant que l’apport du décès de Jackson aux gains totaux de la compagnie « sera limité et n’aura probablement pas d’impact sur la valeur de l’action de Sony ». Quant aux médias de masse, ils avaient, au moment du procès de Jackson en 2005, qui avait été accusé d’agression sur un enfant, insisté sur chaque détail salace et spéculé de la façon la plus épouvantable sur sa vie privée. Son acquittement sur tous les chefs d’accusation fut accueilli par une grogne de mécontentement collectif dans les journaux à potins et les médias en général. Une sentence d’emprisonnement pour Jackson aurait fourni tout simplement de nombreuses occasions pour exploiter et faire connaître davantage ses humiliations. Photo: wallpapers.free-review.net Après sa mort, le Los Angeles Times nota : « Les tabloïdes qui avaient tourmenté Jackson sans merci lorsqu’il était vivant, le surnommant “Wacko Jacko” pour son comportement instable, son apparence de plus en plus étrange et les accusations d’agression sur des enfants, se sont soudainement mis à louanger avec émotion un homme “qui a fourni la trame sonore d’un milliard de vies”. » L’un des plus répugnants délinquants dans toute cette affaire, le Sun de Rupert Murdoch en Grande-Bretagne par exemple, a pontifié vendredi : « Il a repoussé ses accusateurs, mais sa santé fut compromise et sa fortune détruite. Rappelons-nous aujourd’hui le Michael Jackson que le monde a aimé : l’enfant-vedette de Jackson Five dont le talent, le charisme et le charme ont captivé le monde. « Le monde entier était sa scène et l’humanité son audience. Ceux qui ont été assez chanceux pour l’avoir vu ne l’oublieront jamais. Ceux qui ont ses disques — et y a-t-il quelqu’un qui ne les a pas — vont les écouter aujourd’hui en pleurant. » Tel était l’environnement corrompu et hypocrite dans lequel Jackson a évolué et qui l’a bel et bien détruit. Il semblerait imprudent de séparer sa mort, peu importe les causes physiologiques immédiates, des immenses pressions sur sa vie. Un amuseur professionnel pendant 40 ans, poursuivi sans relâche par les médias, traqué par les scandales et subissant d’énormes pressions pour faire un retour réussi, Jackson, dont la santé n’était pas bonne depuis des années, a succombé juste avant de commencer une tournée exténuante de 50 concerts à Londres, devant s’étendre de juillet à mars 2010. Les promoteurs ont insisté pour que Jackson se soumette « à une série de tests médicaux rigoureux » avant d’accepter les spectacles, entrepris en partie pour aider le chanteur à régler des centaines de millions de dollars de dettes, selon les médias. Typique de l’atmosphère macabre et impitoyable entourant Jackson, le bookmaker britannique William Hill a donné 1 chance sur 8 concernant les probabilités que Jackson soit présent pour le premier spectacle de sa tournée. L’agent publicitaire Michael Levine, qui a déjà représenté Jackson, a dit lors d’une conférence de presse : « Un humain ne peut pas supporter ce niveau de stress prolongé. » Au cours de sa vie, différents processus se sont réunis pour sceller le destin de Michael Jackson. En premier lieu, bien sûr, il y avait son immense talent. Il est difficile à ce point-ci d’aller plus loin que la frénésie égoïste des médias et des hyperboles et de reconstruire un portrait juste de ses talents. Une vidéo de son audition pour Motown Records en 1968, lorsque Jackson avait dix ans, nous indique le genre de prodige musical populaire qu’il était. Comme un commentateur l’a noté, Jackson « danse, il fait du shimmy, il pivote, il fait des mouvements vers l’arrière le long du plancher dans un enchevêtrement de membres qui opèrent de façon indépendante, démontrant triomphalement que le corps humain peut être un instrument, pas juste un bête appareil. » (Guardian) Ayant grandi dans la ville industrielle de Gary en Indiana, Jackson s’est imprégné de la musique et des sentiments ambiants et il a profité des possibilités commerciales rendues possibles par les luttes et les sacrifices du mouvement pour les droits civils et des artistes afro-américains des générations précédentes. Venant d’un milieu familial difficile, comme nous l’avons noté en 2003, « Jackson fut balayé par la machinerie écrasante de l’industrie du divertissement américaine, et pas, compte tenu de ses faiblesses psychologiques, au moment le plus propice. « Le plus grand succès individuel de Jackson a coïncidé avec les années Reagan aux États-Unis, une période durant laquelle plusieurs personnes aux Etats-Unis ont mis le radicalisme des années 1970 (le leur ou celui des autres) derrière eux et se sont consacrés à tenter de devenir riches. L’égoïsme, l’hédonisme, l’individualisme et la cupidité étaient à l’honneur. Jackson était un chanteur, un danseur et un auteur-compositeur extrêmement doué, mais la capacité de dire quelque chose avec sa musique n’est pas innée et n’est ni même le produit de répétitions interminables et de pressions parentales. « Les Jackson 5 sont arrivés sur la scène musicale, et à Motown en particulier, dans une période de grande contestation. La compagnie de disque, détenue par Berry Gordy, un fervent partisan du "capitalisme noir", n’avait pas été épargnée de contacts avec des courants radicaux. « En 1971, Gordy et le chanteur Marvin Gaye sont entrés en conflit concernant le désir de ce dernier d’enregistrer « What’s going on », une chanson contre la guerre du Vietnam. Gaye, dont le cousin était mort au Vietnam et dont le frère avait servi à trois reprises là-bas, se demandait tout haut à cette époque : « Avec le monde qui explose autour de moi, comment pourrais-je continuer à écrire des chansons d’amour ? » D’autres artistes noirs comme Stevie Wonder ont enregistré des chansons très critiques de Richard Nixon au début des années 1970. Curtis Mayfield était un franc opposant de la guerre et du racisme. « Les Jackson, et ils n’en sont pas responsables, sont devenus une des antidotes de l’industrie musicale à tout cela avec ce qui a été connu sous le nom de « bubblegum soul » (la bubblegum est une gomme à mâcher rose très sucrée et au goût de fraise populaire auprès des enfants d’Amérique du Nord. Elle est généralement considérée comme un chewing-gum de deuxième catégorie NdT). Jackson a abandonné le personnage de sa jeunesse à la fin des années 1970, mais il ne faut pas surestimer ce qui fut accompli. Il a fait la preuve de ses talents extraordinaires, mais le contenu de ses chansons n’ont jamais été particulièrement pénétrantes et n’ont certainement jamais exprimée d’opposition. Dans la discussion sur Jackson dans les médias, il faut toujours faire la distinction entre l’appréciation pour un talent véritable et l’admiration beaucoup plus importante dont il jouit auprès des journalistes et des experts de l’industrie à cause du nombre de ses disques vendus et de sa richesse personnelle. » Il ne s’agit pas ici de minimiser la performance brillante de Jackson en danse et en spectacle, qui a peut-être atteint son sommet dans les années 1980. Un lecteur du WSWS décrit ainsi un spectacle de cette époque : « Le groupe jouait des chansons plus anciennes et, ensuite, Michael présentait ses chansons. A quelques occasions, après qu’il en ait eu présenté plusieurs de suite, il quittait la scène pour se reposer et les autres Jackson continuaient le spectacle ou Jermaine faisait quelques chansons de son dernier disque solo… Mais cela ne servait qu’à passer le temps, toutefois. Nous n’attendions tous que le moment où Michael reviendrait sur scène. Lorsque cela arrivait, le public devenait fou… Quel danseur ! Quelle énergie ! Il hypnotisait littéralement son auditoire. » Jackson a aussi profité de nouvelles technologies et formats relativement récents : la vidéo musicale s’est imposée au début des années 1980 avec la naissance de MTV (Music Television), une chaîne de télévision disponible sur le câble. C’est en 1983 qui la vidéo de sa chanson « Thriller », d’une durée de presque 14 minutes, a été produite au coût jamais vu auparavant d’un demi-million de dollars. 109 millions d’exemplaires de son album Thriller ont été vendu, un nombre incroyable qui n’a pas encore été dépassé à ce jour. Dans le monde des médias et du spectacle, un succès aussi stratosphérique signifie à la fois argent et sang. De l’autre côté, bien sûr, les ventes de CD et de DVD, les spectacles, les commandites, les publicités et tout le reste ont permis aux conglomérats, qui exploitent et se nourrissent de véritables talents comme l’étaient Jackson et de très nombreux autres, d’empocher d’immenses profits. Des années d’efforts et de développement d’un talent de composition et de chant, de travail consciencieux, de générosité, d’humanité, tout ce qu’un chanteur apporte à sa musique, n’a de valeur pour l’industrie que dans la mesure où ils rapportent gros. De l’autre côté, la célébrité joue en soi un rôle important et malsain aux Etats-Unis. Dans un pays où le débat officiel sur les questions vitales est strictement limité (entre les conceptions de droite et celles encore plus à droite) et où la vie politique est presque entièrement scénarisée, une fascination voyeuriste pour les vies des gens riches et célèbres aident à combler une partie du vide et sert aussi à détourner l’attention de la population de ses véritables intérêts et besoins. Au même moment toutefois, la frustration populaire et le mécontentement ne disparaissent pas ainsi. L’attitude du public en général envers les célébrités, alimentée en cela par les médias, passe souvent d’une admiration non critique au ressentiment. Les journaux à potins, les talk-shows et les « émissions de nouvelles sur le monde du spectacle » manipulent ces sentiments avec leurs propres objectifs. L’athlète, la pop star ou l’acteur de cinéma qui connaît des déboires et tombe en disgrâce peut se retrouver diabolisé d’une façon réellement monstrueuse. Pour une personne comme Jackson, talentueux mais aussi profondément troublé psychologiquement, être violemment poussé de tout côté (adoré un jour, ridiculisé et méprisé le suivant) a dû être particulièrement stressant. C’est un homme qui, dans ses propres mots, ne vit que pour ses spectacles sur scène et pour l’adulation de la masse anonyme des gens. Aujourd’hui, la machine des gigantesques médias et de l’industrie du spectacle tentera d’extraire tout ce qu’elle peut de la mort de Jackson tout en gardant l’œil ouvert pour trouver la prochaine victime.
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