Serge Michel a écrit la ChinAfrique avec Michel Beuret. Marianne2 lui a demandé de commenter le discours de Barack Obama au Ghana et la façon dont les gouvernements et les opinions africaines, parfois séduites par la percée chinoise sur le continent, pouvaient recevoir cette ode à la démocratie.
En quoi le discours d’Obama au Ghana est une réponse à la politique africaine chinoise ?
En articulant la question de la gouvernance et la responsabilité des gouvernements africains, Barack Obama a introduit une alternative à la politique de la Chine de façon subtile sans la lourdeur du discours prononcé par Nicolas Sarkozy à Dakar en juillet 2007.
Serge Michel : « L’histoire, a-t-il dit, n’est pas du côté de ceux qui changent la constitution pour rester au pouvoir. » Il arrive ainsi à enfoncer un coin entre les populations et les gouvernements. La Chine soutient inconditionnellement les régimes et ne considère ni la société civile, ni l’opposition politique, ni les groupes rebelles quand ils existent.
Est ce que cette offre politique présente une quelconque crédibilité vis à vis de celle de la Chine et de celle d’autres pays émergents comme le Brésil, la Russie ou l’Inde qui eux non plus ne conditionnent pas leur aide économie ?
Serge Michel : Il est vrai que les Etats-Unis ont un retard assez considérable. Ils reviennent en Afrique alors que la Chine a beaucoup avancé ses pions et qu’elle est très bien implantée. De nombreux gouvernements africains bénéficient d’un soutien matériel de la part de la Chine. Obama propose une alliance avec des gouvernements vertueux sans pour autant jeter l’opprobe sur les autres. Il a aussi déclaré que l’Afrique n’avait pas besoin de grands hommes, mais qu’elle avait besoin d’institutions. Il veut s’appuyer sur une Afrique de la bonne gouvernance.
Un élément m’a fait sourire : il a mentionné le nom d’un journaliste ghanéen Anas Aremeyaw Anas en disant qu’il avait risqué sa vie pour relater la vérité. Or, ce » dernier a été élu journaliste de l’année dans le pays en raison d’une grande enquête - Inside the Chinese sex mafia - sur réseau de prostitution de femmes chinoises Ghana et au Nigeria. Elle a permis l’arrestation d’une bande de criminels chinois. Sa thèse est que l’ambassade de Chine était au courant de ce commerce. La Chine est présente au Ghana à travers un investissement important pour la construction d’un barrage. Barack Obama souligne ainsi astucieusement que la présence chinoise n’a pas que des avantages.
Le discours sur la démocratie a-t-il encore une chance d’être entendu en Afrique ?
Serge Michel : « La démocratie ça ne se mange pas », nous avait confié un ministre congolais au cours d’une scène que nous avons retracé dans notre livre. En réalité, Obama propose une troisième voie au-delà de celle des Occidentaux jusqu’à maintenant, qui est moraliste pour mieux cacher un certain désengagement (« on ne vous financera pas ce barrage parce que vous n’appliquez pas les règles de bonne gouvernance ») et de celle des Chinois, qui est pragmatique, voire cynique (« on vous finance ce barrage, et on le construit mais avec nos ouvriers, vous nous remboursez en pétrole en dessous du prix mondial ») . Obama tente de mettre le peuple africain au centre du discours, à l’inverse de la Chine qui s’adresse exclusivement aux gouvernements. Il a d’ailleurs utilisé des termes très proche du concept de « win-win » qui est central dans la propagande chinoise. Cette expression a brouillé les esprits. Elle signifie implicitement que la relation post-coloniale était fondée sur « win-lose ». Obama, lui, utilise les termes de partenariat et de respect mutuel.
Oui mais ce discours aurait-il une portée sans l’annonce, dans le même discours, des milliards de dollars d’aide ?
Serge Michel : Obama n’a cité qu’un seul chiffre - 63 milliards de dollars - qui concerne des programmes de santé. Il compense cependant la modestie des annonces financières par une très grande précision dans la description des maux de la corruption et des outils pour la combattre. A chaque instant, il semble dire aux Africains : « Je sais exactement ce que vous vivez et je sais comment améliorer ça, mais alors il faut me suivre ».
Il s’adresse à une Afrique vertueuse qu’il souhaite détacher des Etats les plus corrompus comme le Zimbabwe ou le Soudan, comme si, au fond, il traçait une ligne de partage : les Etats-voyous tomberont dans l’escarcelle chinoise ; les autres, ceux qui ont un bel avenir, ceux qui croient à la démocratie et lutteront contre la corruption, ceux-là seront nos frères égaux dans un monde meilleur.
Pour appuyer son discours, il rappelle ses liens personnels avec l’Afrique, parle abondamment des Noirs américains et même du voyage de Martin Luther King au Ghana en 1957. A mon avis, le message sous-titré est que le lien entre Africains et Américains est bien plus naturel et plus étroit que celui qui lie les Africains et les Chinois, lesquels parlent de fraternité parce que les deux peuples ont en commun l’expérience d’avoir été colonisés, mais ont de la peine à fraterniser vraiment, sur le terrain, au quotidien.
Finalement, le discours du Président me paraît très séduisant. Quand Sarkozy parlait à Dakar, déclenchant une polémique violente, on avait l’impression que l’Afrique était perdue pour l’occident. Mais lorsqu’Obama parle aux Africains, on reprend espoir d’un avenir partagé entre les occidentaux et les Africains.
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