LEMONDE.FR | 21.09.11 | 19h43 • Mis à jour le 23.09.11 | 18h04
Après Nicolas Bazire et Thierry Gaubert, la justice vient de faire un pas de plus en direction de Nicolas Sarkozy puisque c'est désormais Brice Hortefeux – politiquement le plus proche de lui – qui a été directement impliqué, vendredi 23 septembre. Pour bien comprendre les scénarios et les enjeux des affaires qui touchent actuellement les plus hautes sphères de l'Etat, il faut remonter à l'attentat de Karachi en 2002.
Le point de départ : l'affaire Karachi. Lorsque Edouard Balladur était premier ministre (1993-1995), il avait mis en place un système de commissions légales pour réussir à conclure des contrats d'armement avec le Pakistan et l'Arabie saoudite. Des intermédiaires étaient payés pour faire du lobbying auprès de ces deux pays, dont le Libanais Ziad Takieddine. Jusqu'ici rien d'illégal. Mais les juges soupçonnent qu'une partie de l'argent reçu par ces intermédiaires est revenu à Edouard Balladur, via des sociétés écrans, afin de financer illégalement sa campagne pour l'élection de 1995. Ce sont les fameuses "rétrocommissions". Jacques Chirac accède à la présidence en 1995 et, rapidement, il fait stopper ce système de commissions, avant tout pour priver ses ennemis balladuriens de ces sommes.
Le 8 mai 2002, un attentat-suicide fait 14 morts à Karachi, au Pakistan, dont 11 employés français de la Direction des constructions navales. La justice pakistanaise a attribué l'attentat à un groupe terroriste, mais la justice française retient hypothèse d'une vengeance de responsables pakistanais n'ayant pas reçu les commissions qui leur avaient été promises.
Une information ayant été ouverte sur le volet financier de l'affaire, Ziad Takieddinea été mis en examen, le 14 septembre 2011, pour "complicité et recel d'abus de biens sociaux".
L'affaire Karachi est devenue l'affaire Balladur. Aujourd'hui, la question n'est plus tellement de savoir si l'attentat a été motivé par la vengeance, mais de faire la lumière sur le financement de la campagne d'Edouard Balladur, qui paraît de plus en plus irrégulier. Si les comptes de campagne de l'ancien premier ministre ont été validés, à l'époque, par le Conseil constitutionnel, plusieurs témoins ont fait état d'irrégularités et, notamment, du dépôt de fortes sommes en liquide, dont la provenance reste incertaine. Au cœur de l'été, un témoin a permis d'écarter la piste d'un financement par les fonds secrets en liquide dont disposait alors Matignon. Cela accrédite la piste d'une autre source, qui pourrait être celle des rétrocommissions.
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Pourquoi l'affaire rebondit-elle maintenant ? Parce que le juge Renaud VanRuymbeke a décidé de lancer une série de mises en examen, sur la base de nouveaux témoignages. M. Takieddine a donc été le premier à être inculpé, le 14 septembre. Le 21, le juge a inculpé Thierry Gaubert, ancien collaborateur de M. Sarkozy à la mairie de Neuilly et au ministère du budget, pour recel d'abus de biens sociaux. Et, le 22 septembre, un troisième homme a été inculpé pour complicité d'abus de biens sociaux : Nicolas Bazire, ancien directeur du cabinet de M. Balladur.
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La justice se rapproche de l'Elysée. Non seulement MM. Bazire et Gaubert sont ou ont été très proches de Nicolas Sarkozy, mais l'actuel chef de l'Etat était en outre, à l'époque, le porte-parole de M. Balladur. Il est difficile de croire qu'il ait tout ignoré d'éventuels financement occultes. Pour l'avocat des familles de victimes de l'affaire Karachi, Me Morice, "il va de soi et il est certain que si Nicolas Sarkozy n'était pas actuellement président de la République, il serait entendu parce que les pistes mènent vers sa responsabilité".
Nicolas Bazire dirige actuellement la holding privée du groupe LVMH et siège à son conseil d'administration. Il fut le témoin de mariage de Nicolas Sarkozy et Carla Bruni. Avant cela, il était surtout connu comme ancien directeur du cabinet d'Edouard Balladur et directeur de de sa campagne présidentielle en 1995.
Un reportage de France 2 de 1995 présente Nicolas Sarkozy et Nicolas Bazire comme faisant partie de l''"Etat major" de campagne d'Edouard Balladur :
Thierry Gaubert a été chef adjoint du cabinet de M. Sarkozy lorsque celui-ci était ministre du budget, entre 1993 et 1995. Il fut également l'un de ses principaux collaborateurs à la mairie de Neuilly. Eloigné de Nicolas Sarkozy depuis la fin des années 1990, il reste très proche de Brice Hortefeux. Selon le Nouvel Observateur, son ex-femme, la princesse Hélène de Yougoslavie, figure mondaine, aurait raconté aux enquêteurs que M. Gaubert avait accompagné, en Suisse, l'intermédiaire libanais Ziad Takieddine pour aller chercher des valises"volumineuses de billets", durant la période 94-95.
L'Elysée dément et se prend les pieds dans le tapis. L'Elysée a vivement et rapidement réagi après la mise en examen de ces deux hommes, en dénonçant"calomnie et manipulation politicienne" et en assurant que le nom de M. Sarkozy"n'apparaît dans aucun des éléments du dossier" et qu'il "n'a été cité par aucun témoin ou acteur du dossier" judiciaire. Mais comment l'Elysée peut-il affirmer cela sans avoir eu accès au dossier ? Le chef de l'Etat ou la présidence ne sont pas parties civiles et n'ont donc aucune raison d'avoir pu consulter un dossier d'instruction en cours. La question du respect de la séparation des pouvoirs est posée. Au surplus, le communiqué de l'Elysée contient des affirmations factuellement fausses : le nom de M. Sarkozy apparaît bien dans le dossier et il est même cité à plusieurs reprises dans l'affaire.
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Un nouveau protagoniste entre en scène : Brice Hortefeux. Selon des informations révélées vendredi 23 septembre par Le Monde, Brice Hortefeux a appelé au téléphone, le 14 septembre, Thierry Gaubert et lui a dit que sa femme Hélène "balan[çait] beaucoup" devant le juge chargé de l'enquête sur l'affaire Karachi. Le juge Van Ruymbeke avait tenu à ce que cette déposition reste confidentielle le plus longtemps possible, mais M. Hortefeux, lui, en savait déjà beaucoup. C'est ainsi que l'ex-ministre de l'intérieur, au mépris du secret de l'instruction, a décidé d'appeler son ami pour le prévenir que sa femme avait été entendue par les enquêteurs.
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