L'Afrique s'embouteille de grand coeur, ses villes sont étouffées par la circulation, mais quand, ô dieux de la route, des voitures africaines vont-ellesencombrer ses artères ? En Ethiopie, on tente de s'en approcher avec une marque qui présente, un peu vite, ses modèles baptisés du nom de fleuves ou cours d'eau éthiopiens comme des éléments de "fierté nationale". La marque concernée, Holland Car, est le fruit d'un projet éthiopien, mené par Tadesse Tessema, qui avait commencé dans l'import-export de véhicules avant detenter l'aventure de l'assemblage sur un mode international.
Derrière Holland Car, il y a un investisseur des Pays-Bas, et les modèles de voitures ont été conçus en Chine, d'où viennent aussi les pièces. A ce stade, les chaînes d'assemblage produisent six véhicules par jour, en attendant mieux, pas seulement en termes de cadences. La Holland Car est encore loin d'être "made in Africa" sur toute la ligne de fabrication et de conception.
Les usines d'assemblage ne sont pas si rares sur le continent. Peugeot a longtemps sorti d'increvables 504 de sept usines africaines, dont celle de Kaduna, au Nigeria, qui a produit jusqu'à plusieurs dizaines de milliers d'exemplaires par an dans les années 1980. En revanche, les tentatives pourcréer des voitures de toutes pièces ont été rares. Juste avant que le vent du "printemps arabe" ne souffle en tempête en Libye, Mouammar Kadhafi avait lancé une voiture baptisée "Missile" ou "Fusée", dont l'allure agressive n'a pas dépassé le stade du prototype. Elle avait été mise au point par des concepteurs italiens.
Hors Afrique du Sud, le seul véhicule intégralement conçu et développé en Afrique le fut au Kenya. La Nyayo avait été exigée par l'ex-président, Daniel Arap Moi, en 1986. Quatre ans après une tentative de coup d'Etat ratée et l'instauration d'un régime répressif, cette voiture 100 % kényane s'inscrivait dans un ensemble de créations destinées à appuyer le contenu idéologique du pouvoir présidentiel. Le concept Nyayo, traduit par "dans les pas de (moi)", encadrait de nombreux secteurs contrôlés par le régime, notamment à travers des sociétés paraétatiques qui mirent le pays en coupe réglée. Certaines de ces activités allaient cependant bénéficier du protectionnisme organisé sous le "parapluie nyayo". Pendant des années, le Kenya s'est habitué àconsommer, et a été à deux doigts de rouler local.
Daniel Arap Moi, en demandant aux ingénieurs de l'université de Nairobi deconcevoir une voiture, aurait soufflé qu'il pourrait s'accommoder de la voir"laide et pas très rapide". Sous-entendant que l'importance du projet ne résidait pas dans ses performances. Les ateliers de la Compagnie nationale de chemins de fer (moribonde depuis), mais aussi de l'armée, furent mis à contribution pour fabriquer les pièces destinées à monter les prototypes très aboutis de la Nyayo, qui firent des pointes à plus de 120 km/heure sur la route de Mombasa.
La Nyayo n'était effectivement pas très belle - ni plus ni moins que certains modèles de voitures françaises dessinées dans les années 1970-1980 (qui se souvient de la Renault 14 ?) -, mais ce ne sont pas ses lignes qui firent son malheur. De multiples détournements de fonds la condamnèrent à n'être, au fil des années, qu'une pompe à deniers publics pour les proches du régime, sans jamais atteindre le stade de la commercialisation, alors que les ouvriers kényans montaient, entre autres, des Land Rover, des Mitsubishi et des Peugeot.
On ferait la même observation dans de nombreux autres secteurs. Or le continent africain, en dépit de l'envolée de sa croissance continentale depuis près d'une décennie, ne voit pas apparaître de politiques industrielles nationales qui pourraient permettre son décollage. Cette absence de projets industriels est même l'un des principaux handicaps pour son futur, relève un rapport récent de la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced) et de l'Organisation des nations unies pour le développement industriel (Onudi).
Actuellement, l'Afrique sort de ses trop rares usines moins de 1 % de la production manufacturière mondiale. Alors que de nombreux pays voient leur économie bénéficier des retombées de l'exploitation des ressources naturelles, de leurs réformes et des investissements étrangers directs, il incombe aux gouvernements de faire naître ou renaître le secteur industriel, promesse de richesse, d'indépendance, et de lutte contre un chômage qui est un des handicaps du continent.
L'économiste ghanéen Kingsley Y. Amoako est particulièrement bien placé pour aborder ces questions. Il a été jusqu'en 2005 secrétaire exécutif de la Commission économique pour l'Afrique (CEA) des Nations unies, basée à Addis-Abeba. Depuis, il a fondé une société de conseil pour les gouvernements, l'African Center for Economic Transformation (ACET). Dans une tribune publiée par la revue African Business, il affirme qu'il est urgent desuivre la Banque africaine de développement, qui met en place un ambitieux programme d'infrastructures, et de définir des politiques nationales :"Exception faite de l'Afrique du Sud et de Maurice, aucun pays (d'Afrique subsaharienne) n'a de secteur industriel qui soit compétitif au niveau mondial pour le moindre produit", rappelle M. Amoako en martelant l'importance qu'il y a à élaborer des "visions nationales" à l'instar des pays d'Asie qui, près dedécoller économiquement, en ont eues il y a plusieurs décennies avec des politiques favorisant le développement de l'industrie et des services. Puisse-t-ilêtre entendu, et que l'Afrique puisse rouler africain, dans tous les sens du terme.
jpremy@lemonde.fr
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