L’audacieux pari de Barack Obama
Contre l’invasion de l’Irak
Quelques mois avant l’invasion de l’Irak par les armées anglo-américaines, M. Barack Obama, alors élu de l’Etat de l’Illinois (il est devenu membre du Congrès des Etats-Unis en janvier 2005), annonce et explique son opposition à la guerre lors d’un rassemblement pacifiste.
Son discours intervient alors que la popularité du président Bush est au zénith et que nombre d’élus démocrates, dont Mme Hillary Clinton, appuient les orientations militaires de la Maison Blanche.
Discours du sénateur de l’Etat de l’Illinois Barack Obama
Le 2 octobre 2002
« Une guerre attisera les flammes au Proche-Orient »
Bien que ce rassemblement soit organisé contre la guerre, je dois commencer par vous dire que je suis ici comme quelqu’un qui ne s’oppose pas systématiquement à la guerre. La Guerre civile fut l’une des plus sanglantes de l’histoire, et pourtant, c’est seulement par l’épreuve des armes, par le sacrifice du nombre, que nous avons pu commencer à parfaire cette union et à chasser de notre sol le fléau de l’esclavage.
Je ne suis pas contre toutes les guerres.
Mon grand-père s’enrôla le lendemain du bombardement de Pearl Harbor, il combattit dans l’armée de Patton. Il vit les morts et les mourants sur les champs de bataille en Europe ; il entendit ce que racontaient ses compagnons d’armes qui étaient entrés les premiers à Auschwitz et à Treblinka. Il se battit au nom d’une liberté plus large, s’inscrivant dans cet arsenal de démocratie qui triompha du mal, et il ne se battit pas en vain.
Je ne suis pas contre toutes les guerres.
Après le 11-Septembre, témoin du carnage et de la destruction, de la poussière et des larmes, j’ai soutenu notre gouvernement dans son engagement à traquer et à extirper ceux qui sont prêts à massacrer des innocents au nom de l’intolérance ; je prendrais volontiers les armes moi-même pour empêcher qu’une telle tragédie ne se reproduise. Et je sais que parmi ceux qui sont rassemblés aujourd’hui, il ne manque pas de patriotes, ni de patriotisme.
Ce à quoi je m’oppose, c’est à une guerre stupide. Ce à quoi je m’oppose, c’est à une guerre irréfléchie. Ce à quoi je m’oppose, c’est à la tentative cynique des Richard Perle [le conseiller le plus influent du Pentagone à l’époque du discours], Paul Wolfowitz [alors adjoint au ministre de la défense, Donald Rumsfeld] et autres combattants de salon, guerriers du dimanche de cette administration, de nous forcer à avaler leurs programmes idéologiques, quel qu’en soit le coût en termes de vies perdues et de souffrances subies.
Ce à quoi je m’oppose, c’est à la tentative de politicards comme Karl Rove [un conseiller très influent du président Bush] de détourner notre attention de l’augmentation du nombre des non-assurés, de la montée du pourcentage de pauvres, de la chute des revenus moyens – de détourner notre attention des scandales dans le monde des affaires et d’une bourse qui vient de connaître son pire mois depuis la Grande dépression.
C’est à cela que je m’oppose. A une guerre stupide. A une guerre irréfléchie. Une guerre fondée non pas sur la raison mais sur la colère, non pas sur les principes mais sur la politique. Comprenez-moi bien – je ne me fais aucune illusion sur Saddam Hussein. C’est un homme brutal. Un homme implacable. Un homme qui massacre son peuple pour consolider son pouvoir. Il a sans cesse défié les résolutions de l’ONU, fait entrave aux équipes d’inspection onusiennes, développé des armes chimiques et biologiques, et cherché à se doter d’une capacité nucléaire. Le monde, et le peuple irakien, se porteraient mieux sans lui.
Mais je sais aussi que Saddam Hussein ne représente pas une menace imminente ou directe pour les Etats-Unis, ou pour ses voisins ; que l’économie irakienne est dévastée ; que l’armée irakienne n’a plus qu’une fraction de la force qu’elle avait avant, et que nous pouvons, de concert avec la communauté internationale, le contenir jusqu’à ce qu’il finisse par tomber, comme tous les petits dictateurs, dans les poubelles de l’histoire.
Je sais que même une guerre contre l’Irak ayant de chances de réussir nécessitera une occupation américaine d’une durée indéterminée, d’un coût indéterminé et ayant des conséquences indéterminées. Je sais qu’une invasion de l’Irak sans raison claire et sans un soutien international fort ne fera qu’attiser les flammes au Proche-Orient, qu’encourager dans le monde arabe les pires impulsions, non les meilleures, et renforcerait le bras recruteur d’Al-Qaïda.
Je ne suis pas contre toutes les guerres. Je suis contre les guerres stupides.
Alors, nous qui voulons un monde plus juste et plus sûr pour nos enfants, nous envoyons aujourd’hui un message clair au Président. Vous voulez vous battre, Président Bush ? Finissons de nous battre contre Ben Laden et Al-Qaida, en utilisant les services de renseignement de manière efficace et coordonnée, en démantelant les réseaux financiers qui soutiennent le terrorisme, et à l’aide d’un programme de sécurité intérieure qui ne se limite pas à un système d’alerte basé sur des codes de couleurs.
Vous voulez vous battre, Président Bush ? Battons-nous pour que les inspecteurs de l’ONU soient en mesure de faire leur travail, et pour faire appliquer résolument un traité de non-prolifération, et pour que nos ennemis d’hier et alliés d’aujourd’hui, comme la Russie, sécurisent leurs stocks de matériau nucléaire et finissent par l’éliminer, et pour que des pays comme le Pakistan et l’Inde n’utilisent jamais les armes terribles qu’ils ont déjà en leur possession, que les marchands d’armes dans notre propre pays cessent d’alimenter les innombrables guerres qui font rage dans le monde.
Vous voulez vous battre, Président Bush ? Battons-nous pour que nos soi-disant alliés au Moyen-Orient, les Saoudiens et les Egyptiens, cessent d’opprimer leur peuple, et de réprimer l’opposition, et de tolérer la corruption et l’inégalité, et de mal gérer leur économie au point que leurs jeunes grandissent sans éducation, sans perspectives d’avenir, sans espoir, devenant des recrues faciles pour les cellules terroristes.
Vous voulez vous battre, Président Bush ? Battons-nous pour ne plus dépendre du pétrole du Moyen-Orient grâce à une politique énergétique ne se limitant pas à servir les intérêts d’Exxon et de Mobil.
Voilà les combats que nous devons mener. Voilà les combats que nous sommes prêts à rallier. Les combats contre l’ignorance et l’intolérance. La corruption et l’avidité. La pauvreté et le désespoir.
Les conséquences de la guerre sont désastreuses, les sacrifices incommensurables. Peut-être dans notre vie nous faudra-t-il nous lever à nouveau pour défendre notre liberté, et payer à la guerre son tribut. Mais nous ne devons pas nous engager pas sur cette voie infernale les yeux fermés. Pas plus nous ne devons permettre que ceux qui marcheraient au combat et paieraient le sacrifice ultime, ceux qui prouveraient la pleine mesure de leur dévouement avec leur sang consentent à payer un prix aussi terrible pour rien.
Voir aussi
- L’audacieux pari de Barack Obama, par John Gerring et Joshua Yesnowitz
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