Occuper Wall Street
jeudi 13 octobre 2011
« Ils n’étaient que quelques-uns.Ils furent foule soudain.Ceci est de tous les temps. »
Alors que des dizaines de milliers d’Américains manifestent leur exaspération et leur colère, nul ne sait encore si « Occuper Wall Street » constitue un moment de la politique américaine ou la promesse d’un mouvement qui la transformera.
Le rapprochement avec le Tea Party n’est pas absurde, même si les deux démarches semblent s’opposer : « Occuper Wall Street » met en cause la domination du capital et l’impuissance de l’Etat ; le Tea Party impute la crise économique à l’Etat et aux impôts. Ces deux mouvements antagonistes ont néanmoins en commun une profonde défiance à l’encontre du système politique, de l’establishment. La présidence de M. George W. Bush avait dégoûté une partie de la droite américaine du Parti républicain, jugé trop interventionniste, y compris en matière économique et sociale, et donc trop dépensier, trop étatiste. Là, avec « Occuper Wall Street », l’amertume et la colère suscitées par les tergiversations de M. Barack Obama, son centrisme, ses complaisances envers la finance, ont convaincu nombre des ses anciens électeurs que le système politique était non récupérable car contrôlé, quel que soit le parti au pouvoir, par le 1 % d’Américains les plus riches.
A l’évidence, ce dernier mouvement tire son inspiration des révoltes arabes, des manifestations espagnoles de la Puerta del Sol, des mouvements étudiants chiliens, des rassemblements israéliens contre la vie chère. Dans chacun de ces cas, les protestataires désespèrent de leur système politique, que celui-ci soit dictatorial, autoritaire ou d’apparence démocratique mais soumis au poids de l’argent. Ils n’acceptent pas que la crise économique et sociale épargne de manière ostentatoire les banques et les catégories sociales les plus privilégiées, jugées solidairement responsables de son déclenchement et de son aggravation.
Aux Etats-Unis, Wall Street sert de symbole d’autant plus tentant qu’il finance « généreusement » les deux principaux partis politiques et qu’il alimente les strates les plus élevées du pouvoir d’Etat. Au demeurant, le cœur de la spéculation américaine bat à New York, ville dont le maire multimilliardaire, M. Michael Bloomberg, a fait fortune grâce à une chaîne d’information financière.
Et puis, à un moment où le chômage atteint un niveau record depuis vingt ans, comment les manifestants new-yorkais n’auraient-ils pas à l’esprit que les multinationales américaines poursuivent une politique délibérée de délocalisations dans les pays à bas salaires ? Ainsi, selon les statistiques du ministère du commerce américain, alors que ces multinationales auraient créé 4,4 millions d’emplois aux Etats-Unis et 2,7 millions à l’étranger pendant les années 1990, les chiffres de la première décennie de ce siècle indiquent qu’elles ont supprimé2,9 millions d’emplois aux Etats-Unis, tout en en créant 2,4 millions à l’étranger (1). M. Obama affecte de comprendre le mouvement de protestation, qui, selon lui, exprimerait un sentiment de « frustration »par rapport à un système politique favorisant les tentatives d’obstruction sitôt que des intérêts puissants sont en cause. Mais, de ce système, les manifestants d’« Occuper Wall Street » jugent le président des Etats-Unis et son parti désormais complices ou coupables : « Nous avons élu Obama, expliquait l’un d’entre eux. Nous avions un Congrès démocrate [entre janvier 2009 et janvier 2011] et cela n’a pas marché. Il ne s’agit donc plus de soutenir un candidat. C’est la manière dont ce pays fonctionne qui est en cause. »
Il y a quelques mois déjà, les mesures d’austérité draconiennes prises dans nombre d’Etats américains avaient suscité un sursaut dumouvement social, notamment au Wisconsin. Il n’est nullement certain que ces colères populaires vont converger et former un mouvement susceptible de transformer la politique américaine. Toutefois, le scénario prévisible d’une année électorale a déjà été bousculé dans le bon sens.
(1) Cité par Gerald Seib, « Business Risks Becoming Target of Jobs Anger », The Wall Street Journal Europe, 11 octobre 2011.
DANS « LE MONDE DIPLOMATIQUE » :
- « Le procès de M. Barack Obama » (aperçu) Eric Alterman, octobre 2011 (en kiosques).Critiqué pour sa stratégie du compromis avec les républicains et ses mauvais résultats en matière d’économie et d’emploi, Barack Obama change de ton et propose d’augmenter les impôts des riches. Cette annonce est-elle seulement électoraliste ?
- « Au Chili, le printemps des étudiants » (aperçu) Hervé Kempf, octobre 2011 (en kiosques).Le Chili, pays le plus avancé sur la voie néolibérale, chancelle : aiguillonnée par les étudiants, la population exige une autre politique. Et n’hésiterait plus, dit-on, à évoquer le souvenir d’un certain Salvador Allende.
- « Indignation (sélective) dans les rues d’Israël » (aperçu) Yaël Lerer, septembre 2011.Tandis que les relations avec l’Egypte se tendent, les Israéliens manifestent en masse contre la dureté de leurs conditions de vie. Mais ce mouvement, qui témoigne d’un réveil inattendu de la société, n’inclut pas encore les catégories les plus défavorisées, et se refuse à prononcer le mot même d’occupation.
- « Les trois échecs de M. Barack Obama », La valise diplomatique, 3 août 2011.
Entamé sous des auspices encourageants, le mandat de M. Barack Obama ressemble de plus en plus à une succession d’épreuves. En particulier pour les partisans du président des Etats-Unis.
- « Chantage à Washington », par Serge Halimi, août 2011.
La querelle qui oppose le président américain et les républicains sur la dette dissimule l’essentiel : M. Obama a concédé d’emblée que plus des trois quarts de l’effort budgétaire des dix prochaines années proviendraient de coupes dans les budgets sociaux. Mais la droite en veut toujours plus.
- « M. Barack Obama déçoit Wall Street » Benoît Bréville, août 2011.Le 13 décembre 2009, M. Obama dénonce ces « banquiers pleins aux as » qui« n’ont toujours pas compris (...) pourquoi les Américains sont fâchés contre les banques ». Le lendemain, il accuse « les lobbys qui bloquent les réformes nécessaires pour protéger le peuple américain ». Ces saillies à répétition irritent les patrons de hedge funds, qui se détournent peu à peu du président.
- « Alchimistes de la Puerta del Sol » Raúl Guillén, juillet 2011.« Ce n’est pas une crise, c’est une escroquerie ! », clamaient les « indignés » madrilènes le 19 juin. Après la levée du campement de la Puerta del Sol, le mouvement se poursuit sous d’autres formes.
- « Dans l’Ohio, les emplois volés de Fostoria » (aperçu) John R. MacArthur, juillet 2011.Plusieurs Etats du Midwest connaissent un phénomène de désindustrialisation. Les syndicalistes en imputent une partie de la responsabilité à l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena). L’histoire de Fostoria, ville industrielle de l’Ohio, ne les démentira pas.
- « Sursaut du mouvement social américain » Rick Fantasia, avril 2011.A Washington, le triomphe électoral des républicains aux élections de novembre dernier a ouvert la voie aux réductions des dépenses publiques, sans mettre en cause les baisses d’impôts. Loin de la capitale, dans des Etats de plus en plus désargentés, les gouverneurs républicains vont plus loin encore pour équilibrer leurs comptes sur le dos des fonctionnaires. Leur tentative ne reste pas sans réponse.
- « L’occasion gâchée du président Obama », par Eric Klinenberg et Jeff Manza, décembre 2010.
Les élections du 2 novembre 2010 se sont conclues par un raz-de-marée républicain sans précédent depuis… 1938. Comment expliquer un tel retournement deux ans après l’élection triomphale de M. Barack Obama ?
- « Déroute électorale pour un président sans dessein » (S. H.), La valise diplomatique, 4 novembre 2010.
Elu très largement en 2008 lors d’un scrutin marqué par une forte mobilisation populaire, et disposant d’une majorité confortable dans les deux Chambres du Congrès, le président Barack Obama a, depuis le 20 janvier 2009, laissé passer la chance de réformer profondément son pays en lui imprimant une direction progressiste.
- « Au Texas, le Tea Party impose son style » Robert Zaretsky, novembre 2010.Au Texas, la candidate du Tea party, qui associe à une combinaison détonante d’ultralibéralisme et de christianisme évangélique, une paranoïa anti-fédérale forcenée, parvient à faire passer le gouverneur républicain pour un modéré.
- « Une élection selon Michael Bloomberg » Renaud Lambert, juin 2010.Livrer la politique à « l’argent » au prétexte de l’en protéger, l’argument pourrait désorienter. Il semble convaincre : le milliardaire Michael Bloomberg a été élu maire de New York en 2001, puis reconduit en 2005 et en 2009.
- « La gauche américaine a oublié ses victoires », par Alexander Cockburn, février 2010.
Sortie exsangue des persécutions maccarthystes des années 1950, la gauche progressiste et radicale américaine a connu une renaissance spectaculaire pendant les années 1960, avec le mouvement pour les droits civiques. Elle semble depuis avoir oublié son histoire.
- « Peut-on réformer les Etats-Unis ? » (S. H.), janvier 2010.
M. Obama n’est pas M. Bush, c’est entendu ; mais ce n’est pas assez pour savoir où va l’actuel président américain et pour donner envie de le suivre. Il ne manque pas de parler, de s’expliquer, d’essayer de convaincre ; ses discours s’enchaînent, éloquents souvent. Qu’en reste-t-il ?
- « Une trajectoire financière insoutenable », par Gérard Duménil et Dominique Lévy, août 2008.
La consommation à crédit des Américains ne pourra plus venir au secours d’une économie en panne. Or c’est grâce au crédit facile que l’économie des Etats-Unis était sortie des récessions précédentes...
- Lire également notre dossier documentaire listant les articles relatifs aux deux premières années de la présidence Obama.
TOUJOURS DISPONIBLES :
- « Crise bancaire : le casse du siècle », Manière de voir nº 119, octobre-novembre 2011.
Au gré de leur expansion, les banques ont projeté dans tous les domaines de l’activité humaine leur logique, leurs intérêts et leurs pratiques. Un regard sur les ruines de l’économie mondiale inspire cependant une question qui peut sembler triviale : au fait, à quoi devaient-elles servir ?
- « Le krach du libéralisme », Manière de voir nº 102, décembre 2008 - janvier 2009.
Pour comprendre les crises économiques et financières passées et présentes.
- « Demain, l’Amérique... », Manière de voir nº 101, octobre-novembre 2008.
Embourbée dans deux conflits simultanés et confrontée à une crise majeure de l’immobilier et du système financier, l’Amérique réapprendrait l’humilité ?
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