Chems Eddine CHITOUR
« L’identité n’est pas donnée une fois pour toutes, elle se construit et se transforme tout au long de l’existence. »
Amin Maalouf (Les Identités meurtrières)
« Il ne faut pas se payer de mots ! C’est très bien qu’il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns. Ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu’elle a une vocation universelle. Mais à condition qu’ils restent une petite minorité. Sinon, la France ne serait plus la France. Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne. Qu’on ne nous raconte pas d’histoires ! Les musulmans, vous êtes allés les voir ? Vous les avez regardés, avec leurs turbans ou leurs djellabas ? Vous voyez bien que ce ne sont pas des Français ! (...) Essayez d’intégrer de l’huile et du vinaigre. Agitez la bouteille. Au bout d’un moment, ils se sépareront de nouveau. Les Arabes sont des Arabes, les Français sont des Français. Vous croyez que le corps français peut absorber dix millions de musulmans, qui demain seront vingt millions et après-demain quarante ? Si nous faisions l’intégration, si tous les Arabes et Berbères d’Algérie étaient considérés comme Français, comment les empêcherait-on de venir s’installer en métropole, alors que le niveau de vie y est tellement plus élevé ? Mon village ne s’appellerait plus Colombey-les-Deux-Églises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées ! »Amin Maalouf (Les Identités meurtrières)
Ces mots du général de Gaulle il y a un demi siècle dans la tourmente des "évènements d’Algérie" résument à eux seuls toute la problématique de la condition « d’être français » tel que le pensait De Gaulle en plein XXe siècle. Qu’en est-il aujourd’hui de l’identité française au XXIe siècle ? Doit-on la circonscrire uniquement aux Gaulois à têtes rondes pour paraphraser San Antonio dans « l’Histoire de France » ? Doit-on au contraire faire du désir d’être ensemble le ciment d’une identité du XXIe siècle ? (1)
Tout est reparti d’un débat organisé par le ministre de l’Identité nationale. Le président Sarkozy -pour des raisons éminemment « électoralistes » - a pris le risque - calculé ? - de réveiller les vieux démons de l’extrême droite et d’ouvrir la boite de Pandore qu’il sera difficile de refermer. D’autant que la tribune publiée dans le journal Le Monde, le 9 décembre, suscite des interrogations. On se souvient que le thème de l’identité a déjà été « vendu » lors des élections de 2007. Cela a commencé par une petite phrase : « La France : aimez-la ou quittez-la ». Ce mot a été emprunté à Ronald Reagan « America love it or leave it ». A l’époque, Le Figaro magazine se demandait : « Serons-nous encore français dans trente ans ? ».
Dans la mythologie grecque, écrit un intellectuel sous le pseudonyme d’Evariste, Pandore fut créée par Zeus pour se venger des hommes. Elle amena avec elle une jarre, qui renfermait tous les maux de l’humanité, dont la Vieillesse, la Maladie, la Guerre, la Famine, la Misère, la Folie, le Vice, la Tromperie et la Passion, ainsi que l’Espérance. Poussée par la curiosité, Pandore finit par ouvrir sa boîte, libérant ainsi tous ces maux. Nicolas Sarkozy, lui, en a fait un programme politique. Pure Folie, car Nicolas Sarkozy a demandé à Éric Besson de lancer ce débat à travers toute la France pour reconquérir l’électorat d’extrême-droite. (...) L’identité nationale renvoie à l’imaginaire que chacun projette, à partir de son histoire singulière et de son ressenti particulier, sur la France. C’est la raison pour laquelle un tel sujet de débat ne peut qu’alimenter les Passions et les divisions. Il ne peut conduire qu’à la discorde. On relèvera cet autre passage [ du discours du président Sarkozy], qui ne peut qu’introduire la confusion dans les esprits : « Mais je veux leur dire aussi [aux musulmans, Ndlr] que, dans notre pays, où la civilisation chrétienne a laissé une trace profonde, où les valeurs de la République sont partie intégrante de notre identité nationale, tout ce qui pourrait apparaître comme un défi lancé à cet héritage et à ces valeurs condamnerait à l’échec l’instauration si nécessaire d’un islam de France [...] »
« Les musulmans doivent-ils comprendre, explique Evariste, que « la France, tu l’aimes chrétienne ou tu la quittes » ? (...) Ce serait oublier que la République s’est construite en rupture avec la France chrétienne, (...) qu’il aura fallu qu’un sang impur abreuve nos sillons (que le sang bleu des forces monarchistes et cléricales soit versé) ». (2)
On comprend que dans ce débat, à tort ou à raison les Français musulmans égaux en droits voient dans ce débat sur l’identité une tentative d’exclusion - séparer le bon grain "de souche" de l’ivraie " l’allogène- alors qu’il est censé inclure . La réprobation du recteur de la mosquée de Lyon, Kamel Kabtane, est révélatrice à ce titre du ressentiment qui monte, reprochant au président d’une France plurielle de considérer l’Islam comme une « foi d’immigrés », et d’exhorter à « l’invisibilité » des musulmans dans l’espace public « Un déversoir et un défouloir ! » La coupe est pleine pour le commissaire à la diversité et l’égalité des chances, Yazid Sabeg, qui a confié au Journal du Dimanche ses mauvais pressentiments : « Ce débat échappe à tout contrôle, il peut aggraver les fractures et donne à beaucoup de Français, les Français de confession musulmane, le sentiment d’être une fois de plus marginalisés. »
Qui est en fait Français et depuis quand ? En son temps, le général de Gaulle aurait répondu : « Pour moi, l’histoire de France commence avec Clovis, choisi comme roi de France par la tribu des Francs, qui donnèrent leur nom à la France. Avant Clovis nous avons la préhistoire gallo-romaine et gauloise. L’élément décisif pour moi c’est que Clovis fut le premier roi à être baptisé chrétien. Mon pays est un pays chrétien et je commence à compter l’histoire de France à partir de l’accession d’un roi chrétien qui porte le nom des Francs. » Ces quelques phrases résument parfaitement ce que le XIXe siècle catholique n’a cessé de proclamer sur tous les tons et en toutes circonstances : la France n’est pas un peuple comme les autres ; le peuple élu, prédestiné des temps modernes (par opposition à l’ère biblique), le successeur insigne du peuple hébreu. (3)
Il y a donc à l’évidence débat sur les origines, ce qui nous appelle à parler de Français de souche. La contribution suivante nous permet den cerner les contours. : « (...) Les propos tenus par les personnalités politiques, indiquent clairement que l’identité française est nécessairement une identité française de souche. Donc, plutôt que de perdre son temps à se demander, à l’instar du gouvernement Sarkozy, « Pour vous qu’est-ce qu’être français », demandons-nous plutôt « qu’est-ce qu’être français de souche ? » Si pour le dictionnaire est de souche celui « qui appartient à un groupe national donné depuis de nombreuses générations, au point de ne plus être considéré comme un immigrant ni un descendant d’immigrant », pour nous, en observant la réalité des faits, la chose est claire : est de souche celui qui est « blanc » et qui porte un nom, un prénom, à consonance européenne, pour ne pas dire chrétienne. Au XVIe siècle l’Europe, via le Portugal et l’Espagne, promulgue des lois de « limpieza de sangre » (« purification du sang ») contre ses propres populations juives et musulmanes. A la suite de la chute de Grenade (1492) ».
« (...) En 1609, il y a exactement quatre cents ans, l’Inquisition décide d’en finir définitivement avec les Morisques. Les autorités politiques et cléricales hésitent un moment entre l’extermination physique et la déportation. Ce sera en fin de compte la déportation : « 500.000 personnes - hommes, femmes et enfants, seront déportées (hors d’Europe) avec, au moins, 75% de "pertes" ». Avec cette histoire tragique, l’Europe -et la France par conséquent -s’est bâtie une identité amputée de ses Juifs et de ses Musulmans... Le XIXe siècle européen érige les Blancs en dieux. En France, comme ailleurs en Europe, la tendance est la même. (4)
En 1882, Renan pouvait définir la nation comme « une âme, un principe spirituel ». Comment peut-on définir l’identité ?. Quelles sont les valeurs qui sont qu’on peut se sentir français en dehors des injonctions et qui peuvent changer d’un pouvoir à l’autre ? Montesquieu en son temps expliquait aux Français « comment être persan ? » Quelle différence y a-t-il entre un Bulgare un Hongrois un Arménien, un Espagnol, un Italien au regard de l’intégration avec un Algérien ou un Marocain ? La différence réside d’abord dans la non-maîtrise par les premiers de la langue et de la culture françaises. En fait, il n’est pas important qu’ils connaissent la « Ballade des pendus » de François Villon. Par contre, leur avantage décisif est l’identité religieuse qui, a bien des égards, berce d’une façon invisible la société française.
On le devine ; Tout ce beau monde est "compatible" avec le corps social français pétri par deux mille ans de cultures chrétiennes combien même ces ci-devant candidats à la nationalité n’ont qu’un rapport lointain avec la religion chrétienne, n’empêche ils sont « comme nous », traduction : ils peuvent être français, Certains français de fraîche date poussent le ridicule jusqu’à se « croire plus royalistes que le roi » N’a-t-on pas vu Manuel Val - avec des ascendants espagnols - émettre le souhait qu’il y ait plus blancos dans sa circonscription ?. Par contre, on peut être français depuis un siècle, le nom patronymique et surtout l’appartenance à une sphère cultuelle sont des « marqueurs indélébiles ».
On se souvient de l’article pathétique de Mustapha Kessous, journaliste au Monde, où il décrit le racisme ordinaire. On se souvient aussi de ces beur(e)s qui, las d’attendre un hypothétique ascenseur social, en viennent à revendiquer leur paléo-racine en reprenant les noms de Mohamed au lieu de Jean-Pierre de Rachida au lieu de Caroline. Sur quelle vision de l’histoire doit alors reposer l’identité nationale ? Celle d’une France gauloise, continuée par les rois, accomplie définitivement avec la République ? Ou celle d’une France métissée, faite de diversités culturelles et ethniques, ouverte sur l’avenir ?
Qu’est-ce qu’être français au XXIe siècle cinquante ans après le jugement sans appel du général ? Doit-on comme le réduit le débat actuel, à tenir à distance le musulman au point qu’à la 4e génération on parle encore de l’origine des beurs ? Nous donnons la parole à Jean Baubérot qui répond magistralement et avec humour au président Sarkozy :
« Tu as écrit une tribune dans Le Monde (9 décembre) qui a retenu toute mon attention. En effet, tu t’adresses à tes « compatriotes musulmans », et c’est mon cas, moi Mouloud Baubérot, frère siamois de celui qui tient ce blog. Avant, par politesse, il faut que je me présente très brièvement. Ma famille provient de Constantine, ville française depuis 1834 et chef-lieu d’un département français depuis 1848. Nous sommes donc d’anciens Français. D’autres nous ont rejoints peu de temps après et sont devenus Français, en 1860, tel les Niçois et les Savoyards. Et au siècle suivant, d’autres sont encore venus. Certains de l’Europe centrale, bien différente de notre civilisation méditerranéenne. Mais, comme tu l’écris très bien, nous sommes très « accueillants », nous autres. Alors nous avons donc accueilli parmi eux, un certain Paul Sarkozy de Nagy-Bosca, qui fuyait l’avancée de l’Armée rouge en 1944. Nous sommes tellement « accueillants » que nous avons fait de son fils, ton frère siamois, immigré de la seconde génération, un Président de notre belle République. Comment être plus accueillants ? Mais faudrait quand même pas tout confondre : entre lui et moi vois-tu, c’est moi qui accueille, et lui qui est accueilli. Ne l’oublie pas. (...) Quand les Sarkozy sont devenus Français, le ciel de Paris s’ornait d’une Grande Mosquée, avec un beau minaret. Je suis d’accord, moi Mouloud qui t’accueille, je dois te faire « l’offre de partager (mon) héritage, (mon) histoire (ma) civilisation), (mon) art de vivre ». Tiens, je t’invite volontiers à venir manger un couscous avec moi. (...) » (5)Belle lettre en vérité de monsieur Jean Bauberot (Mouloud pour les besoins du plaidoyer) qui permet de situer les véritables enjeux. Ceci dit, ce plaidoyer pour la tolérance pourrait être complété en ajoutant que la paix entre l’Eglise et la République est venue en partie d’un modus vivendi : la République ayant laïcisé les attributs de l’Eglise. Ainsi sur les 11 jours chômés dans l’année 9 sont à caractère religieux- on se souvient du tollé provoqué par la proposition de la commission Stasi de permettre que l’Aïd el Kebir et la fête juive du Kippour soit déclarées fêtes nationales chômées et payées. Point n’est besoin de les « identifier ». Les Musulmans de France dans leur immense majorité veulent vivre avec dignité leur culture. Ils connaissent les fils rouges à ne pas dépasser, ils savent ou ils doivent savoir qu’ils sont dans un vieux pays de tradition chrétienne. Pourtant leur identité religieuse n’est nullement un frein à leur patriotisme.
« Contrairement à moi, puisque tu n’es en France que depuis une seule génération, tu as encore beaucoup de choses à apprendre quant aux « valeurs de la République (qui) sont partie intégrante de notre identité nationale ». Vu ta fonction, il faut que tu l’apprennes vite car « tout ce qui pourrait apparaître comme un défi lancé à cet héritage et à ses valeurs condamnerait à l’échec. » Mais, je ne suis pas inquiet : tu es très doué. (...) D’abord, la laïcité, ce n’est nullement « la séparation du temporel et du spirituel » comme tu l’écris. Le « spirituel » et le « temporel », ce sont des notions théologiques, et cela connotait des pouvoirs. (...) En laïcité, seul « le peuple » est souverain, et donc le seul « pouvoir » est le pouvoir politique qui émane de lui. (...) » (5)
Morts pour la France
« Tu fais preuve d’une curieuse obsession des minarets et tu sembles assez ignorant à ce sujet. Pour être concret, je vais te raconter l’histoire de France en la reliant à ma propre histoire d’ancien Français, du temps où toi, tu ne l’étais pas encore. Pendant la guerre 1914-1918, mon arrière-grand-père est mort au front, comme, malheureusement, beaucoup de Français, de diverses régions : Algérie, Savoie, ou Limousin,...Car nous avons été environ 100.000, oui cent mille, musulmans à mourir au combat pour la France. Nous étions déjà tellement « arrivés » en France, que nous y sommes morts ! Ces combats avaient lieu dans cette partie de la France appelée « métropole ». Ma famille y était venue, à cette occasion, et elle y est restée. A Paris, précisément. Comme nous commencions à être assez nombreux, et provenant, outre la France, de différents pays, la République laïque a eu une très bonne idée : construire une mosquée, avec un beau minaret bien sûr. Elle avait décidé, en 1905, de « garantir le libre exercice du culte ». « Garantir », c’est plus que respecter. C’est prendre les dispositions nécessaires pour assurer son bon fonctionnement. Pourquoi passes-tu tant de temps, dans ton texte, à nous parler des minarets ? (...) De plus, et je vais t’étonner Nicolas, les laïques, ils aimaient bien les minarets. Quand on a posé la 1ère pierre de la mosquée, le maréchal Lyautey a fait un très beau discours. Il a déclaré : « Quand s’érigera le minaret que vous allez construire, il montera vers le beau ciel de l’Ile de France qu’une prière de plus dont les tours catholiques de Notre-Dame ne seront point jalouses. » (5)
Pour rappel les Algériens qui montaient à l’assaut de la colline de Wissembourg avant la débâcle de Sedan en 1870, outre le fait qu’ils y ont décimé pour conquérir un bout de colline et y planter le drapeau français étaient des musulmans à part entière et des patriotes – à leur corps défendant à part entière - , il fut de même de ceux qui eurent à combattre les Allemands dans l’enfer de Verdun ; on les gavait de vin eux les musulmans !! - d’où l’expressionaboul gnole - devenu plus tard bougnoule un sobriquet démonétisant l’indigène. Les descendants de ceux qui sont morts pour la France ont choisi de vivre en Europe, ils souhaitent le faire dans la dignité. Ils veulent vivre d’une façon apaisée et sans ostentation leur spiritualité à l’ombre des lois de la République. Ce débat sur l’identité outre le fait qu’il débouchera sur un non lieux risque de remettre aux calendes grecques "ce désir de vivre ensemble" dont parle si bien Renan.
Pr Chems Eddine CHITOUR
Ecole Polytechnique Alger enp-edu.dz
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