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Friday, March 05, 2010

Etats-Unis : les enjeux du vote de la résolution sur le génocide des Arméniens



LEMONDE.FR | 05.03.10 | 13h45  •  Mis à jour le 05.03.10 | 14h37

ux Etats-Unis, l'adoption, jeudi 4 mars, de la résolution HR 252 portant sur la reconnaissance du génocide des Arméniens, en commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants, comporte à la fois des enjeux extérieurs et intérieurs.
Sur le plan extérieur, trois enjeux sont à relever :
  • Pousser la Turquie à ratifier le protocole signé avec l'Arménie. Les Etats-Unis, très impliqués dans le rapprochement entre l'Arménie et la Turquie, expriment ici leur impatience devant la lenteur du processus de ratification du protocole de normalisation des relations entre la Turquie et l'Arménie, signé le 10 octobre à Zurich (Suisse). Depuis plusieurs mois, Washington avait plus ou moins averti Ankara que plus la procédure de ratification tardait, plus les risques de voir le Congrès se saisir de la résolution sur la reconnaissance du génocide des Arméniens augmentaient.

    D'où, pour la première fois, le peu d'empressement de l'administration américaine à dissuader le Congrès de voter une résolution sur le génocide des Arméniens. En effet, à plusieurs reprises, Barack Obama, Hillary Clinton et Philip Gordon, sous-secrétaire d'Etat aux affaires européennes et eurasiennes, ont signalé aux autorités turques qu'Ankara avait tout intérêt à ratifier ce document. Or la Turquie conditionne cette ratification à un règlement de la question du Haut-Karabakh, théâtre d'une guerre entre les Arméniens et les Azerbaïdjanais entre 1990 et 1994. Depuis l'accord de cessez-le-feu signé en 1994, cette guerre remportée par les Arméniens est l'objet d'un processus de paix mis en place par un groupe de contact de l'OSCE appelé "Groupe de Minsk", co-présidé par la Russie, la France et les Etats-Unis. A l'unisson, Américains, Russes et Français ont affirmé à Ankara que les deux dossiers (Haut-Karabakh et normalisation entre l'Arménie et la Turquie) étaient indépendants, et que toute interférence de l'un sur l'autre pouvait créer une confusion générale et faire ainsi échouer les deux processus. Le vote des congressistes américains met désormais un peu plus la pression sur Ankara.
  • Orienter le Caucase du Sud vers Washington. Si l'administration Obama a modéré ses interventions auprès de sa majorité démocrate au Congrès, c'est aussi pour tenter de déplacer le curseur du Caucase du Sud vers les Etats-Unis. Rival de la Russie, qui a enregistré un sursaut de leadership dans la région depuis sa victoire sur la Géorgie en 2008, Washington, avec cette technique du soft power (vote d'une résolution), vise directement l'Arménie, alliée de la Russie.

    Si ce vote permet à Washington d'obtenir davantage l'écoute d'Erevan dans la région en lui faisant prendre ses distances avec Moscou, les Américains s'ancreraient davantage dans les réalités du Caucase du Sud et pourraient compter sur le soutien moins du régime de Sarkissian que de la société civile arménienne. Ainsi ce vote s'adresse autant à la Turquie qu'à l'Arménie et la Russie. Rappelons que la Russie est opposée à la reconnaissance du génocide des Arméniens par Washington, notamment pour des raisons stratégiques. Moscou avait en effet déjà mal réagi à un vote similaire en 2007 à la Chambre des représentants. Les Russes n'ignorent pas que Washington cherche à s'attacher les faveurs des trois pays du Caucase du Sud à la fois pour des questions stratégiques, politiques et énergétiques.
  • Pousser la Turquie à rompre avec sa diplomatie équivoque. Ce vote en commission revêt également un mécontentement de la part de Washington à l'égard d'une diplomatie turque équivoque au moins dans trois dossiers : Iran, Israël, Russie. Membre de l'OTAN et du G20, la Turquie s'est considérablement rapprochée de la Russie, tient un discours ambigu à l'égard de l'Iran et critique systématiquement Israël pour sa politique régionale. Contrairement aux Américains, aux Européens et aux Israéliens, qui exigent de l'Iran un renoncement à son programme nucléaire, les Turcs ont multiplié les appels à la modération envers Téhéran, considérant qu'il fallait comprendre les inquiétudes des Iraniens.

    Israël, durement critiqué par le duo de l'exécutif turc Gül-Erdogan, a vu ces derniers temps un sentiment pro-arménien se profiler à la Knesset comme à l'étranger, notamment aux Etats-Unis, où le lobby pro-israélien est particulièrement actif. Jusqu'à maintenant, Israël, partenaire stratégique de la Turquie, a toujours refusé de reconnaître le génocide des Arméniens, au nom de la Realpolitik. Mais, cette année, plus de trente députés de la Knesset ont appelé Israël à le reconnaître publiquement. Aux Etats-Unis, le lobby pro-israélien, divisé sur la question arménienne, s'est, dans ce vote au Congrès, manifestement moins impliqué qu'à son habitude en faveur de l'allié turc d'Israël.

Ce vote revêt également trois enjeux aux Etats-Unis :
  • Répondre à une promesse de campagne. Lorsqu'il était candidat à l'élection présidentielle, Barack Obama avait à maintes reprises reconnu le génocide des Arméniens. Une fois élu, le nouveau président avait profité du rapprochement arméno-turc pour renoncer au "G word" (pour génocide), considérant que "tout en ne changeant pas de position", il fallait laisser "les peuples arménien et turc trouver les voies de la réconciliation". Ces déclarations ont secoué l'électorat des Armenian-American (1,5 million de personnes aux Etats-Unis), déçus par ce qu'ils appellent la volte-face de Barack Obama. A quelques semaines de la date commémorative du génocide des Arméniens, le 24 avril, ce vote en commission constitue en quelque sorte un début de compensation répondant à une promesse de campagne. Ce que les administrations précédentes n'ont pu faire, l'administration Obama pourrait l'envisager...
  • Des élections de mi-mandat problématiques pour les démocrates. Ce vote de la résolution HR 252 a lieu à sept mois des élections de mi-mandat (novembre 2010) qui s'annoncent difficiles pour la majorité démocrate au Congrès. En un an, l'administration Obama a, en effet, perdu d'importantes élections partielles (gouverneurs, sénateurs), y compris dans son bastion démocrate du Massachusetts (en remplacement du poste de Kennedy). Plusieurs congressistes ont saisi cette occasion pour limiter les dégâts, notamment les élus de Californie, de Floride, du New Jersey, qui comptent d'importantes communautés arméniennes. La présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, élue de Californie, tient à conserver sa majorité et donc son poste après 2010.
  • Un message du lobby pro-arménien à l'Arménie. La diaspora arménienne, qui compte 4 millions de personnes est, sinon hostile, du moins très réservée quant au protocole de normalisation des relations entre l'Arménie et la Turquie. Aux Etats-Unis, entre les désillusions provoquées par Barack Obama et les critiques envers le régime de Sarkissian, signataire du protocole avec la Turquie, les Armenian-American ont dépensé beaucoup d'énergie pour obtenir du caucus arménien (groupe d'amitié) au Congrès l'introduction de la résolution HR 252 avec l'espoir de provoquer la colère de la Turquie, dont la réaction négative attendue compromettrait encore un peu plus la ratification du protocole entre l'Arménie et la Turquie.
La balle est désormais dans le camp de la Turquie, qui vient de rappeler son ambassadeur aux Etats-Unis, Namil Tan, "pour consultations". Deux options s'ouvrent donc pour Ankara :
Hypothèse pessimiste : la Turquie, mal à l'aise avec ces protocoles qui ne font pas l'affaire de son allié azerbaïdjanais, peut voir dans ce vote de la HR 252 l'occasion de se retirer de la table des négociations avec Erevan, sans endosser la responsabilité de l'échec puisqu'elle imputerait ce résultat négatif à Washington.
Hypothèse optimiste : la Turquie introduit au Parlement le protocole arméno-turc et le fait voter par sa commission des affaires étrangères sans amendement, au risque de provoquer la colère de Bakou. Ce qui permettrait à Ankara d'une part de "passer le bébé" des protocoles au Parlement arménien, plaçant ainsi le focus international sur Erevan ; d'autre part d'éviter une poursuite de la procédure d'adoption de la résolution HR 252 à la Chambre des représentants.
Car le résultat du vote (23 voix contre 22) ne plaide pas en faveur d'un examen de la résolution en séance plénière de la Chambre des représentants. Ce scénario s'était déjà opéré en 2007 sous la pression de l'administration Bush. Ce serait là une nouvelle fois une marque de pondération de Washington envers son allié Ankara, incontournable pour les intérêts américains en Afghanistan et en Irak. Rien n'indique en effet que si la Turquie entame un examen favorable du protocole avec l'Arménie, le Congrès américain poursuive la procédure d'adoption de la résolution HR 252. Si celle-ci n'est pas adoptée d'ici à novembre 2010, tout serait annulé et devrait recommencer de zéro.

Gaïdz Minassian

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