N’est-il pas étrange et contradictoire de constater que les investissements dans l’outil de production (quel qu’il soit) se maintient à des niveaux anémiques, alors même que les profits atteignent des records?
Les déboires de nos économies n’ont pas commencé avec la crise financière des années 2007 et 2008. Loin de là puisque, en réalité, une redistribution substantielle des richesses et des revenus s’est opérée depuis le début des années 2000. Au détriment des salaires et en faveur des profits enregistrés par les entreprises, par le secteur financier et par leurs actionnaires. Pour autant, n’est-il pas étrange et contradictoire de constater que les investissements dans l’outil de production (quel qu’il soit) se maintient à des niveaux anémiques, alors même que les profits atteignent des records et, ce, dans une conjoncture où les coûts de financement sont à leur plus bas historique ?
A cet égard, l’exemple d’Apple assis sur des centaines de milliards de dollars est révélateur de ces entreprises peu soucieuses de s’impliquer dans l’économie réelle dès lors qu’elles n’en tirent pas un bénéfice direct et immédiat. Ne nous étonnons donc pas si nos économies subissent une déprime quasi-chronique, si la consommation est en berne et si les revenus des ménages se dégradent.
En effet, la proportion de la rémunération allouée au travail dans le revenu national est graduellement réduite, tandis que les profits des entreprises (financières et non financières) atteignent des sommets. Sans pour autant que celles-ci soient motivées à investir davantage dans l’économie. Bien au contraire en fait, puisque ces investissements à destination des appareils de production sont aujourd’hui à leurs plus bas niveaux historiques.
Sinon, comment expliquer la somme phénoménale de 1.8 trillions de dollars détenue par les banques américaines auprès de leur Réserve fédérale ? Auprès de cette Fed – qui rémunère ses établissements financiers y conservant leurs dépôts – et qui s’est lancée dans des programmes massifs de création monétaire censés soulager l’économie. Pour créer en fait un monstre puisque les réserves bancaires stockées auprès d’elle ont été multipliées … par 1000, pour atteindre aujourd’hui environ 1.8 trillions de dollars contre moins de 2 milliards en 2008 !
Loin d’accomplir leur mission d’intermédiation et de pourvoyeuses de liquidités en faveur de l’économie réelle, les banques ont opté de conserver les liquidités généreusement allouées par les baisses de taux quantitatives au sein de leur banque centrale, tout en récoltant au passage une rémunération - certes faible- mais garantie. En finalité, comme c’est une proportion infime des ces liquidités fraichement imprimées par les banques centrales qui trouvent le chemin du système productif, on comprend mieux pourquoi cette création monétaire intense et sans précédent n’a pas dégénéré en hyper inflation.
Si d’une part l’économie est donc quasiment privée des liquidités mises par les banques centrales à disposition du secteur financier, et si elle doit faire face d’autre part à des entreprises qui ne réinvestissent pas leurs profits : il est impératif de trouver un autre mécanisme de transmission. Pourquoi nos banques centrales ne feraient-elles pas de leurs propres citoyens les ultimes bénéficiaires de sa politique monétaire ? Ne serait-il pas nettement plus productif (et autrement plus moral) pour les banques centrales qu’elles augmentent leur base monétaire en arrosant de liquidités - non les banques - mais la population ?
Chaque citoyen – riche ou pauvre, avec ou sans emploi- recevrait donc une certaine somme à dépenser, à investir, pour rembourser sa dette, ou tout simplement à déposer dans sa banque, qui l’utiliserait dès lors pour prêter. L’argent et le crédit étant à l’évidence des instruments et des leviers à connotation sociale aigüe, nos responsables (économiques, politiques, financiers) n’ont-ils pas l’obligation morale de procéder à une redistribution des ressources par temps de forte crise, au détriment du créancier et en faveur du débiteur, en faveur du chômeur et des bas revenus en général ? Moduler la valeur conférée à l’argent est de salut public – et d’une incontestable efficacité économique – dans un contexte chargé de déficits comme le nôtre.
Alors que la Fed est sur le point de ralentir, voire d’arrêter, sa création monétaire, la Banque centrale européenne n’aura pas d’autre choix que de lancer un programme similaire. En effet, dans notre monde globalisé, il importe peu quelle banque centrale imprime de la monnaie, pour peu que ce soit une institution majeure comme la BCE. Et l’opposition féroce de la Bundesbank ou du gouvernement allemand n’y changera rien car seule cette création monétaire empêchera l’escalade mortifère des frais de financement des dettes périphériques et relancera ces économies.
C’est la Réserve fédérale US qui a poussé cette logique de création monétaire vers des degrés inégalés. C’est également elle qui a délibérément augmenté de manière hyperbolique la taille de son bilan, dans le but avoué de promouvoir l’inflation. En réalité, les baisses de taux quantitatives furent un message subliminal adressé à l’économie : une sorte d’engagement de la part de la banque centrale qui promettait dorénavant d’être « irresponsable ». Quel cran, en effet, pour une banque centrale – dont la mission est la stabilité des prix – que de poursuivre ouvertement l’objectif de relancer l’inflation afin de redémarrer son activité économique !
Alors que les « baisses de taux quantitatives européennes » semblent désormais d’actualité, la BCE osera-t-elle en faire bénéficier – non le système financier – mais d’abord les citoyens européens ?
(*) Michel Santi est économiste, auteur de « L'Europe, chronique d'un fiasco politique et économique », « Capitalism without conscience » . Son dernier ouvrage est «Splendeurs et misères du libéralisme» (l’Harmattan)
Lundi 9 Décembre 2013
MICHEL SANTI*
Ben Bernanke - Président de la FED
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