Je viens de recevoir mon second passeport. Je suis ce qu’on appelle une binationale : j’ai toujours eu deux nationalités, mes parents étant eux-mêmes binationaux. Je suis née et j’ai grandi à l’étranger, mais depuis l’âge de 12 ans, je vis en France avec des papiers exclusivement français. Jusqu’à ce matin.
Pendant toutes ces années en France, je n’ai jamais ressenti le besoin de demander un second jeu de papiers. J’étais française, point. La question ne se posait ni pour moi ni pour mon entourage. Vous m’auriez demandé ma nationalité, il y a encore six mois, je vous aurais répondu française. Une évidence.
Lorsque je voyage, à l’étranger je me présente toujours comme française. J’aime Paris, le pot-au-feu, les côtes sauvages de Bretagne, Proust, Zola et Maupassant, Romain Gary, le Pommard, la garrigue provençale, le foie gras et le cinéma français. Et puis un jour, le doute est apparu.
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Le renouvellement de mes papiers
La première alerte, c’était il y a quelques années. J’ai dû renouveler mon passeport et ma carte d’identité en même temps. Et là, on m’a dit non.
« Ce n’est pas si simple que ça ma petite dame, vous devez prouver que vous êtes bien française. »
Tout d’abord, je ne suis la petite dame de personne. Enfin, d’où sort cette idée que je devrais prouver quelque chose ? S’en suit un dialogue kafkaïen :
« Je suis française, regardez mon passeport et ma carte d’identité.
– Ils sont périmés.
– Je le sais bien puisque je suis là pour les refaire !
– Il me faut une preuve de votre nationalité.
– Mon permis de conduire, peut-être ?
– Ce n’est pas une pièce d’identité…
– Vous êtes née à l’étranger...
– Oui, je suis au courant.
– Où est votre certificat de naturalisation ?
– Je n’en ai pas pour la bonne et simple raison que je n’ai pas été naturalisée. Je suis née française.
– Prouvez-le… »
Voilà comment je me suis retrouvée à devoir justifier de quelque chose qui jusqu’alors était une évidence. Personne n’avait songé à le remettre en question.
« Ah, vous n’êtes peut-être pas française »
Vous vous êtes déjà posé la question de comment on prouve sa nationalité ? Moi, jamais. C’est la première fois que j’y étais confrontée. Première étape, remplir un formulaire à choix multiples. Vous êtes :
- Naturalisé(e)
Réponse : Non, j’ai déjà expliqué pourquoi
- Né(e) en France de parents étrangers
Réponse : Non, je ne suis pas née en France
- Né(e) à l’étranger de parents français
Réponse : … de parents binationaux
Le verdict de la gentille dame de l’état civil derrière son guichet :
« Ah mais alors, vous n’êtes peut-être pas française ! »
Je regarde partout dans le bureau de ma petite mairie de quartier à la recherche d’une caméra cachée. Rien. Je tente de conserver mon calme et je reprends tout depuis le début. Réponse de la dame (qui a une solution) :
« Mais non ma petite dame, il n’y a que trois cases, si vous n’êtes dans aucune de ces situations, vous n’êtes pas française. Vous êtes mariée, n’est-ce pas ? Oui. Alors, vous pouvez faire une demande pour acquérir la nationalité française puisque votre mari est français. »
Les bras m’en tombent. C’est non, non et non. Plutôt crever. Il est hors de question de demander une naturalisation par mariage. JE SUIS française. Je suis née française, j’ai fais mes études en France, j’ai eu des enfants français en France, je paie mes impôts en France. Je suis française.
Beaucoup sont dans mon cas
Passons rapidement sur les semaines qui ont suivi, pendant lesquelles j’ai dû me déplacer, me bagarrer, me justifier, menacer, fournir tous les papiers en possession de ma famille depuis l’ère précambrienne. Et même avant.
MAKING OF
Laurence ne préfère pas préciser sa deuxième nationalité : elle ne veut pas « trop incarner » ce témoignage. « L’idée, ce n’est pas qu’on parle de moi mais de la situation que tout un tas de gens vivent. »
« Profondément dérangée » par la teneur du débat en France, déçue par « la position de repli » de l’un de ses deux pays, elle a contacté par e-mail Rue89. E.B.
Arrêtons-nous un instant sur un détail, qui n’en est pas un : physiquement je ressemble à une gauloise. Je ne suis pas bronzée, mes cheveux ne sont pas crépus, mes yeux ne sont pas bridés, mon nez n’est pas épaté. J’ai fini par avoir gain de cause, mais que ce serait-il passé si j’étais née à Tunis, Phnom Penh ou Kinshasa ?
Je pensais être tombée sur une fonctionnaire faisant de l’excès de zèle. J’avais tort. Deux ou trois ans plus tard, quand mon père a eu lui aussi du mal à refaire ses papiers après un vol, j’ai découvert que le problème était plus vaste.
A la même époque, je l’ignorais, de nombreuses personnes étaient dans le même cas que moi. Des descendants de juifs polonais venus se réfugier en France pour fuir la barbarie ou des franco-algériens né avant l’indépendance de l’Algérie en 1962… Des témoignages diffusés dans la presse m’ont appris que certains binationaux, comme moi, avaient passé de nombreux mois sans aucun papier. Assignés à résidence faute de passeport, ils étaient dans l’incapacité de quitter le territoire. Certains d’entre eux ont du faire appel aux services d’un avocat. D’autres ont jeté l’éponge et redemandé des papiers dans leur « second » pays.
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Un débat instrumentalisé
Le gouvernement français s’inquiète. Attention à ne pas se laisser envahir par des cohortes de binationaux assoiffés de sang et de prestations sociales. La question des binationaux revient régulièrement sur le tapis. J’y pense. Que se passera-t-il lorsque mon passeport viendra à expiration ? C’est reparti pour un tour ? Encore se justifier ? Encore prouver ? Je ne suis pas une vraie française ? Une française à moitié peut-être ?
Au printemps 2011, les binationaux refont la une des journaux :
- quotas dans le football ;
- sorties médiatiques d’Eric Zemmour ;
- la candidature d’une Franco-Norvégienne pour 2012 fait parler ;
- proposition d’amendement, par Lionnel Luca, député UMP des Alpes-Maritimes, stipulant que « l’acquisition de la nationalité française est subordonnée à la répudiation de toute autre nationalité » ;
- Thierry Mariani (UMP), alors secrétaire d’Etat aux Transports, de suggérer la création d’un registre des doubles nationaux. Dans l’hypothèse où la France serait « un jour mêlée à un conflit interétatique ». Et pourquoi pas un serment d’allégeance aux armes de la France pendant qu’on y est ?
Houlà houlà, on se calme. Mais quel est le problème ? La perspective d’un conflit armé entre la France et le Luxembourg ? Un afflux de footballeurs australiens ? Qui veut la peau des binationaux ? Pourquoi ? La proximité des élections présidentielles peut-elle expliquer cette mobilisation ? Ça non, vraiment je ne peux pas le croire.
Mais de quels binationaux parle-t-on ? Tous ? Ou certains plus binationaux que d’autres ? Les Franco-Américains devront-ils répudier leur nationalité américaine ? Carla Bruni, Franco-Italienne sera-t-elle contrainte de signer le registre de Thierry Mariani ? Cette éventuelle limitation, voire suppression, de la double nationalité vise-t-elle les Franco-Suisses ? Suis-je moi-même une menace pour la société française ? Ou s’agit-il plus précisément des Franco-Maghrébins ? Des Franco-Subsahariens ? Voire des Franco-Musulmans ? On peut tout imaginer.
« Vous ne m’aimez pas, je me barre »
Alors voilà. Comme quatre à cinq millions d’autres français, j’ai deux nationalités. La mienne n’est pas très exotique et je ne suis pas directement visée par ces mesures à l’étude et autres effets d’annonce. Peu importe, je me sens concernée.
La France on l’aime ou on la quitte. Fort bien, moi c’est pareil. Vous ne m’aimez pas, je me barre. La France m’a payé des études, ma famille et moi-même avons pu nous soigner aux frais du contribuable, de mon côté je participe à l’économie du pays, je m’acquitte de mes impôts, mes enfants paieront pour vos retraites… mais si je ne suis pas suffisamment française pour vous, ça peut s’arranger. Il n’y a pas grand chose qui me retient dans un pays qui hiérarchise de la sorte ses citoyens.
Pour la première fois depuis mes 12 ans, je me suis rapprochée de l’ambassade de mon « deuxième pays ». Au service de la nationalité j’ai expliqué le sens de ma démarche. Pour la première fois depuis mes 12 ans, j’ai ressenti le besoin de clamer que j’avais une seconde nationalité. Et que ce n’était pas grave. Comme Joséphine Baker, j’ai deux amours. J’ai deux pays. J’ai deux cultures. Et c’est tout sauf un problème. C’est une richesse.
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