Le 19 avril 1943, les derniers Juifs du ghetto de Varsovie se soulèvent contre leurs oppresseurs. Sans espoir de survie, encore moins de victoire, ils vont tenir tête héroïquement aux soldats et SS allemands pendant un mois.
C'est le premier soulèvement d'une ville dans l'Europe nazie et une manifestation éclatante de la capacité de résistance des juifs.
Des héros ordinaires
Le chef du soulèvement, Mordechai Anilewicz, est un jeune Juif ordinaire, fils d'une poissonnière, à l'opposé des héros de cinéma. Comme les autres insurgés, il n'a aucune formation ni aucune prédisposition pour l'action militaire. Rien, dans son enfance, ne laisse entrevoir de prédispositions à l'héroïsme. Rien sinon la conscience du bien et du mal, du devoir et de la lâcheté.
Le 23 avril 1943, il écrit dans une dernière lettre :
«Les Allemands ont fui par deux fois du ghetto. L'une de nos compagnies a résisté 40 minutes et une autre s'est battue pendant plus de six heures... Nos pertes en vies humaines sont faibles et ceci est également une réussite...
Grâce à notre radio, nous avons entendu une merveilleuse émission relatant notre lutte. Le fait que l'on parle de nous hors du ghetto nous donne du courage.
Soyez en paix, mes amis de l'extérieur ! Peut-être serons-nous témoins d'un miracle et nous reverrons-nous un jour. J'en doute ! J'en doute fort !
Le rêve de ma vie s'est réalisé. L'auto-défense du ghetto est une réalité. La résistance juive armée et la vengeance se matérialisent. Je suis témoin du merveilleux combat des héros juifs...» (source : Yad Vashem, Jérusalem)
«Les Allemands ont fui par deux fois du ghetto. L'une de nos compagnies a résisté 40 minutes et une autre s'est battue pendant plus de six heures... Nos pertes en vies humaines sont faibles et ceci est également une réussite...
Grâce à notre radio, nous avons entendu une merveilleuse émission relatant notre lutte. Le fait que l'on parle de nous hors du ghetto nous donne du courage.
Soyez en paix, mes amis de l'extérieur ! Peut-être serons-nous témoins d'un miracle et nous reverrons-nous un jour. J'en doute ! J'en doute fort !
Le rêve de ma vie s'est réalisé. L'auto-défense du ghetto est une réalité. La résistance juive armée et la vengeance se matérialisent. Je suis témoin du merveilleux combat des héros juifs...» (source : Yad Vashem, Jérusalem)
Le retour des ghettos
Quand, en 1939, les Allemands occupent l'ouest de la Pologne, ils rencontrent sur place des communautés juives très importantes, qui représentent en moyenne dix pour cent de la population mais sont concentrées dans les villes où elles ont développé une culture originale. Varsovie, par exemple, compte 380.000 juifs sur 1.300.000 habitants.
La majorité des trois millions de juifs polonais d'avant-guerre parlent et écrivent leyiddish, une langue qui mêle l'allemand et l'hébreu. Ils font du commerce, publient des livres et composent des chansons dans cette langue. Ils éduquent aussi leurs enfants en yiddish, le polonais, le russe et l'allemand étant réservés à l'enseignement supérieur.
En Pologne comme en Tchécoslovaquie et dans tous les autres pays d'Europe centrale et orientale que viendront à occuper les nazis, les Juifs sont progressivement regroupés dans des quartiers clos sous surveillance policière, des«ghettos» d'un nouveau genre où ils sont amenés à survivre dans l'ignorance de leur avenir.
À l'origine des ghettos
Les ghettos du Moyen Âge sont nés du souci des juifs de se regrouper pour mieux résister aux exactions et aux pogroms.
A Fès (ou Fez), au Maroc, en 1438, est établi le premier «mellah» ou quartier réservé aux juifs. En invitant les juifs de sa capitale à s'établir dans ce quartier, le souverain veut les soustraire aux violences que leur font subir les musulmans.
Pour les mêmes raisons, en 1516, est établi à Venise le premier quartier réservé du monde chrétien. Il se situe sur un terrain proche d'une fonderie, où étaient jetés les déchets de celle-ci. D'où le nom de ghetto donné à ce quartier (du vieil italien «ghettare», jeter). Le mot connaîtra hélas une triste fortune.
Les nazis avancent le même prétexte que leurs lointains prédécesseurs pour créer de nouveaux ghettos, quitte à susciter eux-mêmes des pogroms. Dans les faits, leurs ghettos sont un premier pas vers l'élimination des Juifs.
En 1939-1940, encore incertains sur le sort à réserver aux Juifs, les nazis veulent en premier lieu les mettre à l'écart du reste de la population et les briser en tant qu'êtres humains et communauté sociale. Ils veulent aussi, tant qu'à faire, exploiter leur force de travail et les dépouiller de leurs biens.
Les ghettos vont remplir ces fonctions avant que le relais ne soit pris par les camps d'extermination, à partir de la fin 1941. On recense à la fin de la Seconde Guerre mondiale un millier de ghettos, de la Pologne à la Grèce : les plus petits comptent quelques centaines de personnes, les plus grands des dizaines ou des centaines de milliers, comme à Varsovie, le plus grand, ou à Lodz.
Cette «ghettoïsation» ne semble pas avoir été planifiée à Berlin. Elle est le produit d'initiatives locales.
Le ghetto de Varsovie
En novembre 1940, quelques mois à peine après l'invasion allemande, les Juifs de la capitale polonaise et des environs, au nombre d'environ un demi-million, sont regroupés dans un quartier transformé en ghetto et isolé du reste de la ville par des barrières, des murs et des façades aveugles.
Le quartier étant coupé en deux par une artère, les Juifs passent d'un côté à l'autre par une passerelle. Le ghetto occupe 300 hectares , soit une densité d'environ 150.000 habitant/km2 (c'est quatre à cinq fois plus que le maximum observé dans une ville normale).
Les habitants se voient accorder par l'occupant une ration quotidienne de 184 calories. C'est dix fois moins que le minimum indispensable au maintien en bonne santé et qui plus est, cette nourriture se présente sous une forme rebutante (pain noir, légumes défraîchis, viandes avariées....). Autrement dit, pour simplement survivre, les Juifs du ghetto, toutes classes sociales confondues, vont devoir chercher d'autres sources d'approvisionnement et celles-là ne leur seront accessibles que par des petits boulots, des trafics illicites ou le marché noir.
Les anciennes élites intellectuelles se déclassent faute d'être utiles à la survie du groupe tandis qu'accèdent au sommet de la hiérarchie sociale les truands et mafieux en tous genres. Ceux-là sont en effet les mieux outillés pour gérer les trafics avec les Allemands et les Polonais de l'extérieur. Pour faire circuler les objets de valeur et l'argent caché dans les bas de laine, ils organisent des monts-de-piété ou... des cercles de jeux. Troublant paradoxe : ces brutes, en général, soutiennent les mouvements de résistance et apportent leur écot aux associations d'entraide.
Les gens qui le peuvent s'emploient dans les ateliers du ghetto. Leurs principaux donneurs d'ordres sont les fournisseurs de l'armée allemande. Pour les soldats de la Wehrmacht, ils produisent en particulier des pièces d'habillement.
Au final, on estime que les habitants du ghetto de Varsovie arrivent à une moyenne de 600 calories par jour, ce qui reste globalement très insuffisant et entretient la disette. Cette situation humiliante et déstabilisante va se prolonger pendant près de dix-huit mois, jusqu'aux premières déportations. Dix-huit mois pendant lesquels chacun essaie simplement de survivre.
La surpopulation, le manque d'hygiène, le manque de nourriture et de médicaments, les épidémies et les famines, le froid et la chaleur, les humiliation et brutalités de tous ordres ont raison d'un grand nombre d'habitants du ghetto, faibles, attachés à des principes d'un autre âge ou malchanceux. Beaucoup meurent soit de faim, soit de maladie. À moins que leur chemin ne croise celui d'un SS en vadrouille dans le ghetto qui, sur un caprice, va les battre ou les abattre.
Dans les hôpitaux, les médecins confrontés à un manque cruel de médicaments sont confrontés à de douloureux cas de conscience : vaut-il mieux réserver les médicaments disponibles aux malades qui ont les plus grandes chances de survie et sacrifier les autres, ou plutôt les répartir de façon équitable jusqu'à épuisement des stocks, avec la quasi-certitude de perdre tous les malades à brève échéance ?...
Malgré ces tragédies - ou à cause d'elles -, les habitants du ghetto entretiennent une vie culturelle intense. C'est, pour beaucoup, une façon de s'accrocher à la vie... La présence de 40 à 50 musiciens de niveau international conduit à la formation d'un orchestre symphonique. Il donne en deux ans 50 concerts payants en faisant salle comble, cela malgré le danger qu'il y a à sortir de chez soi ! Notons aussi que le ghetto inclut, outre les synagogues, quatre églises en activité pour quelques milliers de Juifs convertis au christianisme, lesquels n'en sont pas moins persécutés par les nazis !
La «Grande Déportation»
Comme tous les ghettos, celui de Varsovie est administré par un conseil juif («Judenraat»). Un ingénieur, Adam Czerniakow, a été désigné par la mairie de Varsovie pour le présider. Le 22 juillet 1942, les Allemands lui demandent une liste d'enfants en vue de les transférer vers l'Est, dans des camps de travail (c'est le motif officiel).
Il est possible qu'Adam Czerniakow ait eu des informations sur la vraie nature de ces convois par le biais de Juifs évadés du camp d'extermination de Chelmno. Plus vraisemblablement a-t-il considéré qu'envoyer des enfants dans des camps de travail revenait de toute façon à les condamner à mort. En homme d'honneur, il ne supporte pas de participer à cette infamie et choisit de se suicider. Il laisse une lettre émouvante à ses coreligionnaires pour s'excuser de son geste mais ne fournit aucune information sur ce qu'il aurait pu savoir du sort des futurs déportés.
C'est donc sans Czerniakow que les Allemands entament la «Grande déportation»... Jour après jour, 5.000 à 6.000 personnes sont emmenées à la Umschlagplatz et, de là, transférées en train vers Treblinka. À chaque habitant du ghetto qui s'inscrit pour le pseudo-camp de travail, les Allemands donnent trois kilos de pain et un pot de confiture ! Cela suffit à lever bien des hésitations ! On se dit : «Pourquoi nous donneraient-ils du pain s'ils voulaient nous massacrer ?».
Le 12 septembre 1942, quand cette première déportation s'achève, il ne reste que 60.000 survivants dans un ghetto dont la surface a été drastiquement réduite par les Allemands.
Compromissions à Lodz
Lodz, troisième ville de Pologne, n'a pas été, comme Varsovie et Cracovie, enclavée dans le «Gouvernement général», entité territoriale destinée par les nazis au regroupement des Polonais, mais annexée au Grand Reich.
Sa communauté juive est donc, à titre transitoire, enfermée dans un ghetto hermétique. Dans les faits, celui-ci va perdurer jusqu'en août 1944, soit plus longtemps qu'aucun autre, du fait de l'installation en son sein d'importantes industries textiles. Ce complexe industriel résulte de la coopération entre le président du conseil juif du ghetto et le commandant allemand de la place. Ledit président, un sioniste octogénaire du nom de Rumkovski, voit dans sa fonction la consécration de sa vie. Insensé, il rêve de constituer à Lodz, avec la bienveillance des Allemands, un mini-État juif dont il serait le chef. Ainsi pousse-t-il la folie jusqu'à faire imprimer des timbres à son effigie.
Plus gravement, il coopère avec les Allemands lorsque ceux-ci entament les déportations et réclament les enfants ! Dans une proclamation au ton déchirant, il explique à ses coreligionnaires que les livrer est sans doute la moins mauvaise façon de préserver l'avenir. Mais ses compromissions ne serviront à rien : tous les survivants du ghetto de Lodz, lui compris, seront déportés dans les camps d'extermination.
La révolte
Le 18 janvier 1943, au plus fort de la Seconde Guerre mondiale, tandis que laWehrmacht est prise au piège à Stalingrad, les Allemands entament une deuxième«Aktion» (déportation). Mais cette fois, les ultimes survivants du ghetto de Varsovie n'ont plus guère de doute sur le sort qui les attend...
Parmi eux figurent une centaine de responsables de mouvements de jeunesse. Ces jeunes gens ont travaillé dans des fermes jusqu'en novembre 1942 avant d'être reconduits au ghetto par les Allemands. Ils n'ont pas connu les famines et les tourments des deux premières années du ghetto et ont conservé leur énergie intacte. Ils organisent immédiatement la résistance. Ils s'enfuient, se cachent et ripostent aux tentatives allemandes tant bien que mal, avec les pauvres armes dont ils disposent.
Ces résistants déploient une énergie phénoménale pour aménager des caches souterraines et des bunkers de fortune sous les habitations. Ils espèrent de la sorte se donner les moyens de résister plusieurs mois aux Allemands.
Le 19 avril 1943, quand 850 soldats allemands pénètrent en force dans le ghetto pour liquider celui-ci, les résistants les attendent de pied ferme, barricadés dans leurs bunkers et leurs caves. Au nombre de 3.000 environ, ils sont regroupés principalement dans l'Organisation des Combattants Juifs, commandée par Mordechai Anilewicz, et l'Union Juive Armée de Pawel Frenkiel. 600 seulement disposent d'armes à feu.
Les hommes d'Anilewicz se cachent dans tout le ghetto cependant que ceux de Frenkiel tentent d'arrêter les Allemands à l'entrée du quartier.
Le général SS Jürgen Stroop, qui dirige l'opération, est pris de court par la rébellion. Il fait venir 2000 hommes et des chars en renfort. Dès lors, les Allemands vont incendier systématiquement les immeubles et propulser du gaz dans les souterrains pour en déloger les résistants, immeuble par immeuble, cave par cave. Ces derniers, malgré le déluge de moyens déployé par l'ennemi, vont tenir pendant un mois.
6.000 Juifs trouvent la mort dans les combats ou se suicident (c'est le cas de Mordechai Alinewicz, le 8 mai 1943), 7000 sont fusillés sur place. Les autres sont déportés. Une poignée de miraculés vont échapper à la mort en s'enfuyant par les égoûts. Parmi eux, Marek Edelman. Il va rejoindre la résistance non-communiste et mettra un point d'honneur à demeurer en Pologne après la chute du nazisme, poursuivant la lutte contre toutes les oppressions. Il mourra couvert d'honneurs le 2 octobre 2009, à 90 ans.
Le ghetto est rasé sitôt l'insurrection écrasée. Cette absolue tragédie va devenir pour les Juifs et les adversaires du nazisme le symbole de l'esprit de résistance et du renouveau.
André Larané.
Contrition
Le 7 décembre 1970, le chancelier allemand Willy Brandt se rend en Pologne et signe le traité de Varsovie par lequel la République Fédérale Allemande reconnaît la frontière germano-polonaise de l’Oder-Neisse, imposée par les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale.
Après la signature, le chancelier se rend au Mémorial du résistant juif du ghetto, pour un dépôt de gerbe. Il se recueille et s’incline, puis, à la surprise générale, contre toutes les règles protocolaires, ploie les jambes et se met à genoux. Pendant de longues secondes, il demeure dans cette attitude d’humilité inhabituelle aux hommes d’État, faisant acte de contrition au nom du peuple allemand.
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