La Légion d’honneur est la plus haute décoration française. L’avoir ou pas n’a guère d’importance. On ne la demande pas. On ne la refuse pas. Il y a des gens remarquables, mais parfois aussi des gens méprisables, qui l’ont. Il y a des gens remarquables, mais parfois aussi des gens méprisables, qui ne l’ont pas. Ce qui est intéressant, dans le cas exemplaire du général Dumas c’est qu’il s’agit d’un personnage historique hors du commun et totalement effacé des livres d’histoire à cause de la couleur de sa peau et de ses origines. D’autant plus que la réussite de ce républicain de gauche avait été fulgurante et qu’il est absolument inattaquable. Même Philippe de Villiers est obligé de se découvrir devant ce « bleu » qui démissionna pour ne pas massacrer les Vendéens, ses adversaires. Le courage et l’honneur personnifiés. Or le général Dumas est le seul général de l’histoire de France, depuis la création de l’ordre en 1802, à ne pas avoir été gratifié de cette décoration. Parce que c'était un "nègre" et qu'en France, depuis 1802, les "nègres", on ne les aime pas trop. Surtout pas en généraux. Au fait, combien de nègres généraux dans la France de 2009, Monsieur le ministre de la Défense ? Vous ne tenez pas de statiistiques ethniques. Vous avez raison. Mais pensez-y de temps en temps. Outre les exploits du général Dumas, son fils est une figure constitutive de ce que certains appellent l’identité française. J’ai expliqué dans mon dernier livre, "Le Diable noir" (éditions Alphée-Jean-Paul Bertrand) en quoi le général Dumas est sans conteste le modèle principal de tous les romans de son fils et, en particulier, des "Trois Mousquetaires". Une évidence qui rend malades beaucoup de racistes, obligés de contourner le problème.

En 2001, avant l’élection présidentielle, Jacques Chirac, qui manquait d’idées - c’est le moins que l’on puisse dire – a écouté la proposition d’une de ses conseillères, Valérie Terranova : transférer les cendres d’Alexandre Dumas au Panthéon. Ni Terranova ni, a fortiori, Chirac, n’imaginaient un seul instant le service qu’ils allaient rendre au général Dumas et le vilain tour qu’ils jouaient à Dominique de Villepin, dont la fascination pour Napoléon, contre toute attente, allait sérieusement entraver les ambitions. Je me suis empressé d’occuper la brèche depuis huit ans, faisant sauter les verrous (dont la napoléonite) avec les moyens appropriés. Alexandre Dumas honoré par la République, voilà qui oblige la République – tôt ou tard - à honorer le général Dumas. Le fils a consacré sa vie à venger son père et certaines vengeances durent longtemps. Alexandre, outre qu’il a subi toute sa vie le racisme de ses contemporains, a toujours voulu que justice soit rendue à son père. Et il l’a écrit dès 1838 en réclamant un monument qui devait n’être érigé qu’en 1913 à Paris, détruit bien sûr par les nazis en 1943, réinstallé symboliquement le 4 avril 2009 à mon initiative (place du général-Catroux à Paris). Ce monument gigantesque, figurant des fers d’esclave rompus, insiste avec toute la lourdeur nécessaire sur l’aspect le plus dérangeant de l’histoire des Dumas : le général Dumas était né esclave dans la colonie de Saint-Domingue, aujourd’hui République d’Haïti.

La Légion d’Honneur a été créée par Napoléon la veille du jour où il rétablissait l’esclavage dans les colonies françaises. Et le grand maître de la Légion d’Honneur n’est autre que le président de la République, Nicolas Sarkozy. J’ai profité de la première l’occasion de le croiser, le 8 février 2008 et là, les yeux dans les yeux, je lui ai posé clairement la question : «Vous qui parlez de rupture, allez-vous oui ou non réintégrer le général Dumas dans ses droits et lui accorder la Légion d’honneur à titre posthume, ce que votre prédécesseur a refusé de faire ? ». Imaginez bien la scène. C’était à l’Elysée et cela a duré environ deux minutes. Nicolas Sarkozy ne connaissait pas le général Dumas et ne s’en est pas caché. Il m’a demandé de lui adresser un exemplaire la première biographie que j’avais publiée en 2002, Alexandre Dumas le dragon de la Reine (épuisé) et promis qu’après avoir lue, il ferait le nécessaire. Donc il peut faire le nécessaire. L’après-midi, le livre était sur son bureau. Naturellement, il a fallu secouer le cocotier car les conseillers du président de la République ne se sont guère empressés de «faire le nécessaire». Outre que plusieurs d’entre eux se moquent éperdument du général Dumas et ne comprennent pas (ou ne veulent pas comprendre) le caractère exemplaire de cette cause, eu égard à mon engagement pour la cause des descendants d’esclaves, mes positions contre le coup d’Etat en Haïti en 2004, mon obstination à dénoncer certains voyous qui se disent proches du Président et nuisent gravement à son image, mon mépris pour l’esclavagiste Napoléon et surtout pour les racistes qui le glorifient, mon analyse des préjugés coloniaux français - que d’aucuns disent dévastatrice - et surtout à mon indépendance, cela peut se comprendre. J’ai dû insister. Nicolas Sarkozy m’a adressé une lettre très polie pour ne pas dire aimable. Les termes étaient minutieusement pesés. Après avoir lu mon livre, apparemment, ou l’avoir fait lire par des conseillers qui lui ont rédigé une note détaillée, il reconnaissait non seulement les mérites du général Dumas, mais la dette de la France à son égard. La dette. C’est Nicolas Sarkozy qui a utilisé ce mot et la lettre est signée de sa main. Pour ce qui est de la Légion d’Honneur, suivant l’avis de ses conseillers, il s’est abrité derrière la réglementation en vigueur (qu’il a cependant tout loisir de modifier à sa guise) : pas de remise de décoration à titre posthume, si ce n’est pour les militaires morts au combat dans le mois qui suit leur décès. La grande chancellerie n’a pas envie d’être submergée de demandes qui, pour être examinées, demanderaient un travail considérable. Très bien. Alors j’ai utilisé un argument imparable : le général Dumas était de droit membre de la Légion d’Honneur. La législation raciste de Napoléon l’a empêché de faire valoir ses droits. À Nicolas Sarkozy de réintégrer solennellement le général Dumas dans ses droits et de montrer qu’à travers ce geste la République française – au-delà des préoccupations à court terme d’un politicien de droite qui doit forcément ménager l’extrême droite s’il veut être réélu - condamne le racisme, y compris la négrophobie. Une pétition a été mise en ligne le 14 avril 2009. Elle a déjà recueilli plus de 2000 signatures – parmi lesquelles des intellectuels du monde entier - jusqu’à présent dans l’indifférence des principaux médias français. Même Villers-Cotterêts, la ville qui a accueilli le général Dumas en 1789, mais aussi la ville de France où le vote pour le Front national est le plus important, a pris position. La pétition a en effet été relayée par le maire de cette commune, Jean-Claude Pruski (PS), la plupart de ses adjoints et de nombreux administrés. Leur signature figure en bonne place sur la pétition. Le nombre des pétitionnaires augmente de jour en jour. Les politiques finiront par prendre position. Le secrétaire d’Etat à l’Outre mer, Yves Jego, l’avait fait avec courage avant d’être remercié comme on sait. Idem pour Yazid Sabeg, commissaire à la diversité et à l’Egalité des chances, qui a tout de suite compris l’enjeu de ce dossier. Quelle sera l’attitude de Marie-Luce Penchard qui vient de succéder à Yves Jego et qui est parfaitement au courrant (puisque nous nous sommes rencontrés, je crois, le 8 décembre 2008 à ce sujet, et à la demande de Claude Guéant) ? Et les socialistes : Frêche ou Dumas ? Et l'ancien lieutenant Le Pen, qu'en dit-il du général Dumas ? Et Finkielkraut, la "belle intelligence française", récemment promu officier de la Légion d'Honneur par NS, va-t-il signer la pétition du "normalien noir" pour le "général noir" ? Et les francs-maçons de France, vont ils la signer la pétition pour leur frère Dumas, injustement écarté de l'honneur français ? Etr les anciens combattants, vont-ils rester indifférents à ce brave des braves qui, le sabre à la main, ceint de son écharpe tricolore, résista seul sur un pont à une horde d'Autrichiens déchaînés contre le Diable noir ? Tout cela parce qu'il avait, lui le "nègre", l'ancien esclave, le sans-papiers, l'Africain qui était entré dans l'histoire par la grande porte, une certaine idée de la france et de l'honneur français ? La Légion d’honneur du général Dumas est un dossier majeur car la décision que prendra Nicolas Sarkozy, très observée aux Antilles, mais aussi à l’étranger - et en particulier aux USA - montrera sa position réelle par rapport au racisme qui gangrène une certaine France depuis 1802. Peut-il imaginer de se rendre en Haïti, comme il en avait le projet, sans avoir préalablement rendu justice au général Dumas ? Quelle serait sa réaction si Barack Obama en personne, un jour - who knows ? - se sentait obligé de lui parler de cette affaire ? Certains proches du président américain n’ont-ils pas déjà signé la pétition ?

pour signer: http://www.claude-ribbe.com/index.php?option=com_petitions&view=petition&id=47&Itemid=74

Les éléments du débat sont sur facebook (extrait des lettres de Nicolas Sarkozy et Yves Jego, preuve que le général Dumas était bien membre de droit de la Légion d'honneur)

http://www.facebook.com/home.php#/note.php?note_id=136782589084&ref=mf